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Conakry (Guinée) est capitale mondiale du livre 2017 ! (Par Ulrich Talla Wamba)

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Même si beaucoup de personnes découvrent le projet « Capitale mondiale du livre », il faut noter qu’il commence à entrer dans les habitudes des amoureux de la pratique livresque des pays africains. Après Alexandrie (Égypte) en 2002 et Port Harcourt (Nigeria) en 2012, c’est au tour de la ville de Conakry d’obtenir le privilège d’accueillir la grande caravane mondiale. Quels sont les secrets de cette nomination ? Quelles en sont les opportunités ?

M. (me) le maire et livre…

Il est exactement 11h (mi-janvier), quand nous descendons dans une mairie de Yaoundé, où nous demandons à être renseignés sur l’initiative d’un collectif consultatif chapeauté par l’Unesco, relevant du livre, de la littérature et de la lecture. Ébahi, l’un des responsables rencontrés, se dit perdu et pas au courant d’une telle initiative encore moins venant de l’Unesco. Le constat piteux se dégage donc sur le rôle des mairies dans le développement des activités culturelles de leurs populations… Les maires ont-ils une responsabilité dans la construction du patrimoine culturel et littéraire de leurs circonscriptions ? Quelles en sont leurs responsabilités au juste ? Sans aucun doute ! Eh bien parce que dans les pays développés, la question ne se pose même pas, mais alors dans les pays du tiers-monde à l’exception de quelques-unes (mairies), ces sujets sont bien factuels, rituels et à côté des vraies préoccupations qui reposent sur des taxations diverses et des célébrations de mariage.

Si cet article n’a pas la prétention d’apporter un jugement de valeur sur la qualité des maires et leurs missions respectives dans les sociétés contemporaines, il tient quand même à rappeler la responsabilité de celles-ci dans le processus d’appui des professionnels du domaine, par la voie notamment de la valorisation et la visibilité plus nette des lettres et cultures locales. C’est en tout cas, (et c’est bien) l’une des missions du programme international « Capitale mondiale du livre » qui a transmis la couronne à la capitale guinéenne, Conakry, à l’occasion de la 17e édition de l’évènement.

En Comité consultatif, l’Unesco, l’Union internationale des Éditeurs (Uie) et la Fédération internationale des associations et institutions de bibliothèques (Ifla) se réunissent tous les ans, au siège de l’organisme des nations unies pour la culture, à Paris afin d’examiner et choisir selon des critères bien définis la ville qui portera au courant d’une année pleine, des attentions particulières des professionnels et amoureux du livre. Après Madrid (2001), Alexandrie (2002), New Delhi (2003), Anvers (2004), Montréal (2005), Turin (2006), Bogota (2007), Amsterdam (2008), Beyrouth (2009), Ljubljana (2010), Buenos Aires (2011), Erevan (2012), Bangkok (2013), Port Harcourt (2014), Incheon (2015), Wroclaw (2016), c’est donc l’occasion pour la ville de Conakry de démontrer son savoir-faire et d’exposer aux yeux du monde, son grenier littéraire très riche et bien pauvre : riche parce que ce pays d’Afrique de l’Ouest est pourvoyeur de grosses plumes, mais pauvre parce que celles-ci sont en très peu nombre et vivent dans les mêmes conditions que ceux du reste du continent.
La Guinée, ou le calvaire du livre…

Un ensemble d’éléments bien construits ont pu convaincre le comité de sélection, pour l’attribution de « Capitale mondiale du livre » à la ville de Conakry, mais cependant plusieurs réalités froides et diverses comme dans plusieurs autres régions du continent stéréotypent le décor flambant.

Le livre, une denrée rare…

Comme plusieurs pays d’Afrique, la Guinée est victime du piège de la rareté du livre. Pas pour cause d’un manque d’histoires ou de poèmes à faire éclore, mais plutôt à cause du tissu éditorial qui reste archaïque et désuète quelques fois. L’ambition des autorités politiques de rendre le pays émergent d’ici 2035, est une voie que les professionnels des métiers du livre espèrent voir revivre le livre « Made in Guinée ». Mais en attendant comme partout ailleurs, des initiatives isolées se sont formées et au fil des sacrifices et des sueurs écoulées, un élan collectif a pu naître et a ainsi contribué en la construction progressive et nette, d’une identité nationale de ponctuer l’univers livresque d’une empreinte… Une empreinte qui vit dans les écoles et autres espaces éducatifs, où les enfants grandissent en caressant le spectre du neuf des livres et du contenu éloquent de leurs histoires.

La Guinée reste fortement dépendante de l’étranger pour l’approvisionnement de son tissu éducatif scolaire notamment. Les écrivains et autres auteurs s’évertuent en général dans la précarité et l’anonymat la plus aboutie. Et pour les plus chanceux, c’est via des espaces d’éditions étrangères ou des filiales (Harmattan Guinée, en exemple) qu’ils réalisent leurs rêves, avec le risque de ne pas percevoir les retombés pécuniaires de leurs œuvres après les ventes. Mais bon ! C’est un détail… Que valent les retombées pécuniaires lorsque des manuscrits encombrent les armoires des chambres ?

La Guinée ne compte qu’une vingtaine d’éditeurs qui produisent en moyenne, 3 livres par an chacun. C’est hyper insuffisant pour une population en majorité jeune et scolarisée. Aussi, les bibliothèques ou les espaces de diffusion du livre sont orphelines. Seules quelques-unes de ces bibliothèques résistent et par-là, attirent un public généralement nanti, capable de se payer un abonnement mensuel ou annuel. Les structures occidentales (à l’exemple de l’Institut français) deviennent du coup un recours abusif et exclusif.

Le livre, un secteur qui souffre…

Malgré des efforts révolutionnaires de certains pour donner à nouveau sens à la pratique livresque, le livre est resté embrigadé dans les tracas d’une absence de politique nationale du livre éclairée, qui saurait permettre un meilleur véhicule de la denrée entre les différents mailons de la chaine ; de la production, à la consommation en passant par la distribution. Qui sont les éditeurs ? Que produisent ses éditeurs ? Quels sont les risques ? Comment réalisent-ils leurs produits éditoriaux ? Comment est assurée la distribution ? Qui sont les consommateurs ? Y a –t-il un retour des publications enclenchées ? C’est un ensemble de questionnements que le tissu éditorial et livresque du pays gagnerait à répondre, car :

  • La Guinée a un taux d’alphabétisation, parmi les plus bas de sa sous-région ;
  • La Guinée a une population pauvre, qui ne privilégie donc pas, la priorité à une éducation par l’achat du livre ou encore par la lecture-plaisir ;
  • La Guinée a une industrie du livre scolaire essentiellement tournée vers l’extérieur. Cet environnement est très dangereux pour un pays qui espère être émergent et donc être pourvoyeur d’une meilleure éducation de ses enfants et de ses entreprises nationales ;
  • La Guinée, comme de nombreux pays africains détient des filières fortement désorganisées et parfois non-solidaires qui préfèrent flirter avec des reliquats arrachés çà et là, dans un tel ou autre projet ;
  • La Guinée est en mal, face à l’avalanche numérique qui s’abat sur les plateformes mondiales. Le pays semble ne pas être préparé sur le sujet et par-là ne pourra que tituber sur les opportunités naissantes dans le domaine de promotion du livre et de la lecture au niveau régional et surtout national.

Conakry, la belle… Conakry la capitale !

Comme dans la plupart des pays africains, l’essentiel du tissu littéraire et culturel se niche dans les artères de la capitale. La conséquence directe est l’exode et la grande bénéficiaire dans le cas de la république de Guinée est évidemment Conakry. La ville-capitale détient l’essentiel des espaces culturels du pays. Elle est le pôle principal des conférences et autres activités telles que des forums, festivals ou salons de livre et expositions-ventes, qui bonifient l’élan de lecture et génèrent quotidiennement de nouveaux lecteurs et ainsi de nouveaux acheteurs et diffuseurs de livres.

La révolution « 72 heures du livre »

C’est sans doute le franc succès de cette manifestation littéraire qui a été le point d’orgue de la décision de la ville de se positionner pour l’accueil de la capitale mondiale du livre. A l’initiative privée, de l’association Guinée Culture, c’est le principal rendez-vous de rencontres livresques dans la ville, dans le pays. Pendant 03 jours, et tous les 23 avril (journée mondiale du livre), les amoureux et passionnés du livre, reçoivent l’insigne honneur de donner du sens à leur amour pour les activités livresques et artistiques. Fortement artistique et aussi politique, c’est l’occasion de s’afficher ou de s’abreuver pour plusieurs personnalités gouvernementales ou diplomatiques du pays.

Regroupant désormais près de 50.000 visiteurs, c’est une belle plateforme d’expression qui devrait être saisie par les acteurs des métiers du livre non seulement pour s’interroger sur leurs responsabilités, mais aussi et surtout de se questionner sur les nouvelles possibilités offertes par les technologies de l’information et de la communication pour la prospérité de leurs métiers respectifs. Le libraire devrait jouer son rôle. Le bibliothécaire devrait jouer son rôle. L’éditeur et l’auteur devraient également jouer leurs rôles.

Conakry : les attentes d’une ville… enthousiasmée

En postulant à cette prestigieuse reconnaissance, les autorités et professionnels du livre de la ville veulent inscrire leur circonscription dans le paysage socioculturel de la sous-région et du continent tout entier – ce qui est vraiment à encourager.

Entre autres attentes, des populations et des organisateurs de la cérémonie, nous pouvons lister :

  • Une amélioration des infrastructures de production, et de diffusion du livre ;
  • Une meilleure harmonisation des efforts de promotion de la lecture et du livre notamment dans les mœurs des populations citadines ;
  • Une meilleure mutualisation des forces et énergies en vue de la réalisation d’une Politique nationale du livre, solide et digeste ;
  • Un meilleur soutien du tissu de production livresque de la ville, du pays ;
  • Un attrait touristique important, car la forte visibilité générée par la grosse communication de l’organisme international, est une véritable opportunité pour les restaurateurs et autres patrons d’hôtels ;

La naissance d’un projet porteur et internationalement reconnu qui pourrait être le point fléché qui déclenchera l’émergence du livre et de la plume des jeunes guinéens et africains. L’ « Africa 39 » est aujourd’hui un trésor que le Nigeria ne se permettra pas d’oublier d’ici tôt ;

Le pays de Camara Laye, auteur mythique de l’enfant noir aura donc ainsi une fois de plus la possibilité de rendre réalité son rêve d’être une étoile qui éclaire le ciel terne de l’industrie livresque africaine. Les événements littéraires de la région, devraient également saisir l’occasion de mieux se faire connaitre à l’exemple du festival international Itinérante, car, ils représentent des voix assurées d’expressions communes.

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Par Ulrich Talla Wamba. Cet article a été publié précédemment dans le magazine des littératures africaines "CLIJEC, le Mag'".

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Merci à : Unesco, Uie, Ifla, Guinée Cultures.

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