De l’idée du pouvoir dans les sociétés africaines

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La propension des leaders africains à s’accrocher ou à s’éterniser au pouvoir n’est pas toujours d’origine exogène. A voir de près, on se rend compte que la relation avec le pouvoir est la même à tous les niveaux de commandement. Le comportement des acteurs est-il influencé par certaines réalités culturelles présentes dans la société traditionnelle ? Nous limitons cette réflexion à la société bantoue qui recouvre aujourd’hui une quinzaine de pays.

De prime abord, prenons la représentation de l’homme fort. L’idée répandue selon laquelle il faut un homme fort pour incarner des institutions fortes tirerait son origine de la société traditionnelle où la conquête avait force de loi. Le chef était un conquérant fort. Un chef faible était renversé et la chefferie changeait de main et/ou de lignée. La pratique de coups d’Etat n’était donc pas absente. Le pouvoir s’arrachait aux différents prétendants. La légitimité d’un chef était fonction de sa capacité à tenir son royaume d’une main de fer. Sa crainte était fonction de sa force de frappe. Des Présidents comme Mobutu ou Bokassa incarnaient ce modèle de chef fort doté du pouvoir de décider unilatéralement de ce qui est bien ou mauvais pour le peuple. On note aussi une forte sympathie pour Mugabé, Obiang Nguema, Kadhafi, Dos Santos, etc., considérés malgré leur gestion patrimoniale comme étant des « guides », des « hommes forts » ou des « visionnaires » dont l’Afrique a besoin.

Aussi, la forte propagation de la « logique des tours » dans la représentation de l’alternance au pouvoir serait le résultat du rejet de la croyance traditionnelle à l’existence des lignées de personnes fortes destinées à gouverner. Ce serait un bienfait de l’avènement de la société égalitaire. Par exemple, en Côte d’Ivoire, on faisait croire que seuls les Baoulé (tribu du centre) étaient prédestinés au pouvoir. Le colon ne pouvait qu’utiliser cette réalité pour diviser en vue de mieux régner. Ainsi, au Cameroun, certaines autorités politiques ne se gênent pas de dire à la suite du colon qu’elles ne soutiendraient pas un pouvoir Bamiléké (tribu de l’ouest) où les guerres de (dé)colonisation ont été très rudes.

Ensuite, la préférence accrue pour le néo-présidentialisme (concentration du pouvoir sur le Président de la République) n’est pas seulement le fait de la copie du système politique français. Le chef était le dépositaire de tous les cinq pouvoirs : judiciaire, militaire, législatif, exécutif et mystique. A noter que l’on collectait les différentes forces mystiques du royaume pour les remettre au chef pendant son intronisation. Ainsi, après sa prise du pouvoir en 1982, Paul Biya du Cameroun, le « Nnom ngui [chef des chefs en beti] », avait fait le tour du pays pour se faire initier. Aussi, Guillaume Soro, l’un des hommes forts en Côte d’Ivoire, organise régulièrement des tournées pour se faire introniser. C’était aussi le cas des Présidents Ali Bongo du Gabon et Sassou Nguesso du Congo qui se sont fait installer, entre autres, sur les sièges les plus élevés de leurs loges maçonniques respectives. Ce rituel symbolique consacrant le super-chef connote, à l’image du roi, la volonté de s’éterniser au pouvoir comme le témoignent les velléités de modification des constitutions dans le but de lever le verrou sur la limitation du nombre de mandat. Dans ces conditions, il est difficile de faire passer dans les milieux politiques africains qui ne manquent pourtant pas d’esprit critique, l’idée du partage du pouvoir au nom de l’intérêt supérieur de la nation.

A cela, s’ajoute l’influence de la verticalité des relations père-fils, homme-femme, frère-sœur, supérieur-subalterne, etc. Les pratiques anti-démocratiques s’apprennent dans la famille et se développent ensuite dans les cercles professionnels et sociaux, pour atteindre leur paroxysme dans le milieu politique. La verticalité des relations sociales est un sérieux obstacle à la coopération politique. Par exemple, on entend que lorsqu’on gagne les élections, on gouverne et lorsqu’on perd, on s’oppose. Difficile d’envisager une direction collégiale plurielle comme en Suisse (horizontalité des relations) qui aurait permis à l’Afrique de sauver des dizaines de milliers de vies humaines et d’assurer la continuité des politiques publiques depuis les indépendances. Plus significatif, on observe que des personnalités disposant des mêmes idées s’opposent quand même à cause des guerres de leadership. Des milliers d’organisations luttant pour la même cause refusent de fusionner. Par exemple, au Cameroun, on enregistre plus de 200 partis de gauche qui n’envisagent pas de former une coalition. En 2010 en Côte d’Ivoire, les programmes politiques des candidats Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara étaient considérés comme étant « un original et une photocopie » mais, les deux hommes se sont quand même affrontés au point de faire officiellement 3000 morts et de laisser leur pays en lambeaux.

Même si le besoin d’alternance au pouvoir était absent puisque la monarchie était de mise, les guerres de succession étaient rudes et le perdant n’acceptait pas sa défaite car, la vassalité était perçue comme un manque de virilité. Cela pourrait contribuer à expliquer culturellement la difficulté des candidats africains à reconnaître leurs défaites. Comme le témoigne le putschiste Dadis Camara de la Guinée, le chef qui accepte de partir est considéré comme un traître par son clan qui souhaite conserver les avantages du pouvoir. Les profiteurs recherchent des « sorties honorables » ou des « postes juteux » au mépris des lignes politiques. D’ailleurs, le phénomène de transhumance politique est, pour des organisations internationales comme la Francophonie, l’un des principaux facteurs gênants de la démocratisation de l’Afrique.

Enfin, les velléités de sécession ne sont pas d’origine exogène. Au lieu d’accepter la vassalité, le candidat malheureux choisissait de se rebeller ou de s’exiler à la conquête d’un territoire lointain où il pouvait proclamer son indépendance. La volonté de renversement des rapports de force était permanente et le déclenchement des guerres était légitime de même que la volonté de (re)conquête d’un territoire perdu. La prise du pouvoir par la force était un signe de bravoure. L’ex-rebelle ivoirien, Guillaume Soro, ne marchait donc pas sur les œufs lorsqu’il faisait l’apologie de la rébellion à l’Assemblée Nationale du Cameroun en juin 2014.

Bref, il appartient aux Africains de barrer la voie aux opportunistes en faisant une lecture critique des pratiques ancestrales qui établissaient une verticalité dans la conception du pouvoir.

Par Louis-Marie KAKDEU, PhD & MPA

Source: Audace Afrique

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