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Pour Malado Kaba, ministre de l’Économie, « on peut s’endetter quand il s’agit d’investir dans des projets productifs »

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Rationaliser les dépenses, rétablir la crédibilité de l’État et, surtout, mener les réformes à leur terme : la ministre de l’Économie et des Finances revient sur ses priorités. Elle est née au Nigeria et a grandi en France, où elle a obtenu en 1994 un DESS en économie du développement à la faculté de Nanterre, en banlieue parisienne.

Elle a passé une bonne partie de sa carrière en tant que consultante auprès de l’Union européenne (UE), pour laquelle elle a géré pendant près de quinze ans d’importants programmes de soutien macroéconomique, d’appui institutionnel et de développement social, en Afrique et dans les Caraïbes.

Pourtant, Malado Kaba dit n’avoir « jamais cessé de [se] sentir guinéenne ». Elle était depuis dix-huit mois directrice pays, en Guinée, de l’Africa Governance Initiative (la fondation de l’ex-Premier ministre britannique Tony Blair) lorsqu’elle a été nommée ministre de l’Économie et des Finances, en janvier 2016. Sa mission ? Redresser la situation économique et financière du pays, fragilisé par deux ans d’épidémie d’Ebola et par la chute des cours dans le secteur extractif, principal pourvoyeur de recettes.

Depuis un an, elle n’a pas relâché la pression. « Je suis une fonceuse, je tiens ça de ma mère », confie l’énergique quadragénaire, qui garde de ses années de missions pour l’UE un goût prononcé pour la méthode et l’efficacité. Ses deux gardes du corps sont toujours en alerte, sa chargée de com monte et descend les escaliers en permanence, et, derrière la porte de son bureau, le claquement sec de ses talons accompagne les pas d’une Malado Kaba bien résolue à ancrer une culture du résultat au sein de son ministère et à mener les réformes engagées à leur terme.

Jeune Afrique : Comment se porte l’économie guinéenne ?

Malado Kaba : Elle se porte mieux. Mais elle a été frappée par un double choc : l’épidémie d’Ebola [en 2014 et 2015] et la baisse du coût des matières premières. En 2015, notre taux de croissance avoisinait 0 %, nos réserves internationales étaient très largement entamées, notre déficit public était important et la plupart de nos indicateurs étaient dans le rouge.

Notre premier travail a été de stabiliser le cadre macroéconomique, et cela a payé. Pour 2016, la croissance est estimée à 5,2 %, l’inflation est stabilisée autour de 8,6 %, nos réserves ont été reconstituées à un peu plus de trois mois d’importation, et notre excédent budgétaire s’établit autour de 1 % du PIB.

Tout cela n’a été possible que grâce à une politique budgétaire prudente, à une mobilisation importante de nos recettes et à un meilleur contrôle des dépenses publiques. Cela nous a permis de conclure positivement notre programme macroéconomique soutenu par le FMI et les partenaires au développement. C’est le fruit d’un travail d’équipe et de notre engagement vis-à-vis des populations, et c’est une première dans l’histoire de notre pays. Car mettre en œuvre des réformes n’est pas toujours facile ! Mais ce n’est qu’une étape.

Quelles réformes avez-vous engagées ?

Nous faisons beaucoup pour améliorer la gouvernance. C’est très important de recrédibiliser le ministère de l’Économie et des Finances aux yeux de nos concitoyens. Avec le ministère du Budget, nous avons mis en place des mesures qui ont permis de sécuriser les recettes en limitant les intermédiaires, sources de fuites.

Le secteur minier reste notre priorité

Nous avons également créé un système de guichet au sein des banques commerciales afin d’éviter, là aussi, les intermédiaires, et avec la nouvelle loi sur la gouvernance des entreprises publiques, qui a déjà été discutée et adoptée à l’Assemblée nationale, nous avons engagé un grand chantier.

Un certain nombre de mesures ont par ailleurs été prises pour renforcer la résilience du secteur de la santé. Avec Ebola, nous avons accru le budget qui lui est consacré et, parallèlement, nous avons mis en place un meilleur suivi des dépenses. Grâce à cette meilleure gestion, même si certains se plaignent, les secteurs prioritaires que sont la santé, l’éducation et la justice ont pu bénéficier dans des délais raisonnables des ressources dont ils avaient besoin pour réaliser leurs activités.

Enfin, en matière d’énergie, nous avons mis en place un contrat de gestion pour Électricité de Guinée (EDG), dont l’objectif est d’améliorer la gouvernance du secteur, et nous avons augmenté les tarifs de l’électricité.

Quels sont les secteurs prioritaires de l’économie guinéenne ?

Je ne vais pas vous étonner en disant que le secteur minier reste notre priorité. C’est le principal contributeur de la croissance. Nous lui avons donné une très forte impulsion en l’ouvrant à de nouveaux investisseurs, parmi lesquels des entreprises chinoises. C’est ce qui s’est passé pour la bauxite, par exemple, avec la Société minière de Boké [SMB, consortium créé en 2014 réunissant les groupes chinois Winning Shipping et Shandong Weiqiao, la société guinéenne United Mining Supply (UMS) et l’État guinéen]. La Compagnie des bauxites de Guinée [CBG, qui exploite notamment le gisement de Sangarédi, dans la région de Boké] a quant à elle un plan d’extension très prometteur.

Le secteur de l’électricité peut favoriser le développement des PME et l’entrepreneuriat des femmes.

Dans le secteur énergétique, le complexe hydroélectrique de Kaleta, inauguré en septembre 2015, est satisfaisant et augure lui aussi de bonnes perspectives, en particulier pour le secteur agricole et agroalimentaire, qui était sinistré après Ebola. Le secteur de l’électricité est très structurant pour l’ensemble de notre économie. Cela peut favoriser le développement des PME et l’entrepreneuriat des femmes.

La majeure partie des Guinéens vit encore au-dessous du seuil de pauvreté. Comment rendre la croissance plus inclusive ?

C’est vrai, notre croissance n’est pas aussi inclusive qu’on le voudrait car elle est portée par le secteur minier, lequel, on le sait, ne redistribue pas beaucoup. Il nous faut donc miser davantage sur l’agriculture. Ce secteur redistribue énormément : nous devons impérativement le dynamiser en formant mieux ses cadres, les agriculteurs de demain.

La Guinée est un pays champion pour engager des réformes innovantes, mais, très vite, ça se délite

Il nous faut aussi intensifier la coopération avec les pays frères du continent, en particulier la Côte d’Ivoire, le Sénégal et le Mali. Le vieux rêve de panafricanisme revient à la mode, et les populations nous devancent, le commerce est hyperactif de part et d’autres des frontières. Nous sommes donc « condamnés » à promouvoir l’intégration régionale ! Notre population est nombreuse, c’est un immense potentiel de marché… Notre objectif, c’est de viser pour demain une croissance à deux chiffres, dont tout le monde profitera.

Quelles sont vos priorités pour accompagner cette dynamique ?

Pour relever définitivement notre économie, nous devons anticiper davantage et, notamment, rationaliser nos dépenses d’investissement en disposant d’études de faisabilité des projets. Il nous faut aussi rétablir la crédibilité de l’État. Notre grand chantier, c’est celui de la passation des marchés publics : nous avons lancé un audit en 2015 pour mieux appréhender cette étape avec le secteur privé.

Se pose aussi la question de la stratégie à adopter afin de financer nos besoins en infrastructures. On doit mobiliser nos ressources intérieures, l’épargne nationale et, s’il faut s’endetter, pourquoi pas ? Tous les pays s’endettent. Mais la question est de savoir quel type d’endettement est acceptable. On peut s’endetter si c’est pour créer des richesses, pour investir dans des projets productifs à même de fournir les ressources qui permettront de rembourser la dette.

Le développement de sources énergétiques vertes est une évidence pour nous.

La Guinée a signé l’accord de Paris sur le climat. Va-t-elle miser sur une économie verte ?

Nous sommes en retard sur la question du climat, qui est impérieuse pour tout le monde et touche tous les secteurs. Cela étant, le développement de sources énergétiques vertes est une évidence pour nous. On a un potentiel hydraulique immense, du soleil… De nombreux fleuves, qui traversent toute la région, prennent leur source en Guinée. Mon ministère continue de travailler sur la dimension environnementale. Mais, vous savez, l’économie verte, ça commence par de tout petits détails. Par exemple, dans mes services, j’encourage mes collaborateurs à utiliser moins de papier.

Avec le retour à la normale, le tourisme peut-il devenir un axe de développement ?

On estime en effet que la Guinée a un potentiel très fort en la matière. Grâce au retour des investisseurs étrangers, le tourisme d’affaires est en pleine expansion. Nous avons su développer les capacités d’accueil, avec l’hôtel Noom et le Sheraton, et Conakry peut devenir un bon centre d’affaires dans la région. Mais il nous reste à améliorer encore l’état des infrastructures, en particulier celui des routes. Cela fait partie de nos priorités.

Selon vous, que faut-il encore améliorer pour que la croissance s’installe durablement ?

Il nous faut une volonté indéfectible dans la mise en œuvre des réformes, c’est ce qui nous fait défaut parfois. La Guinée est un pays champion pour lancer des idées et engager des réformes innovantes, mais, très vite, ça se délite, car il n’y a pas de suivi ni de discipline. Il est crucial d’avoir une méthode et d’utiliser notre potentiel. La jeunesse est là, et elle en veut. À mon niveau, j’ai recruté de jeunes Guinéens pour la communication de mon ministère. Ils sont épatants. Il faut juste leur donner une chance…

Il faut être un peu fou ou rêveur pour vouloir redorer le blason de la Guinée…

Vous savez, même si je ne suis pas la plus jeune des ministres, je n’ai que 45 ans ; et je suis une femme. De la part du président, c’est un pari qu’il fallait oser faire ! Il a donné ce signal, la parité hommes-femmes, la jeunesse, pour que les choses bougent sur le continent.

Le chef de l’État est au fait des innovations et des révolutions technologiques. Il faut être un peu fou ou rêveur pour vouloir redorer le blason de la Guinée… Mais les gens commencent à croire en nous. Et l’on constate un retour de nos cerveaux. Pour ma part, j’ai longtemps vécu à l’étranger, mais je n’ai jamais cessé de me sentir guinéenne. Aujourd’hui, j’écris une petite page d’histoire dans mon pays, et c’est exaltant !

 

François-Xavier Freland

Source: jeune afrique

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