Le Président Alpha Condé face à la presse internationale: entretien réalisé conjointement par le journal Le Monde, l'AFP et RFI

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Le chef de l’Etat guinéen, président de l’Union africaine, est à Paris pour mobiliser des bailleurs de fonds autour du développement de son pays. Sept ans qu’il préside aux destinées de la Guinée et pourtant Alpha Condé continue de détonner parmi ses pairs.

Le protocole, il s’en fiche. Indexer en public ses ministres ne le gêne pas le moins du monde. A 79 ans, il demeure un chef d’Etat à nul autre pareil. Un hyperprésident qui centralise tout, a un avis sur tout, qui ne ménage pas ses amis.

Président en exercice de l’Union africaine jusqu’à la fin de l’année, M. Condé est à Paris les 16 et 17 novembre pour lever des fonds – jeudi son pays a déjà reçu des engagements de partenaires publics et privés pour un montant de plus de 20 milliards de dollars (17 milliards d’euros) – afin de financer son plan national de développement économique et social.

Cet entretien a été réalisé conjointement avec l’Agence France-Presse (AFP) et Radio France internationale (RFI).

Comment qualifiez-vous la situation au Zimbabwe ?

Nous estimons que c’est un coup d’Etat. Le président [Robert] Mugabe est en résidence surveillée, il n’est donc pas libre. La situation interne au Zimbabwe est un peu compliquée par l’action de certains qui veulent éliminer des gens qui se sont battus pour l’indépendance et ont contribué à faire de ce pays un modèle. Il y a une situation complexe, mais cela ne peut en aucun cas justifier un coup d’Etat.

C’est pourquoi l’Union africaine a fait une déclaration pour dire clairement que nous exigeons le retour à l’ordre constitutionnel et que nous n’accepterons jamais de coup d’Etat. Les problèmes politiques doivent être résolus au sein de la ZANU-PF – le parti au pouvoir – et non par l’intervention de l’armée.

L’Union africaine condamne par principe les coups d’Etat, mais vous-même vous avez été élu en 2010 à l’issue d’une transition militaire. Ne peut-il exister des coups d’Etat salutaires ?

Cela était valable avant, quand il y avait des partis uniques, des partis qui pouvaient rester quarante ou cinquante ans au pouvoir. Ce n’est plus le cas. Même si tout n’est pas parfait, l’Afrique a démontré sa capacité à organiser des élections et à prendre son destin en main. Aujourd’hui, donc, nous n’acceptons plus les coups d’Etat, la prise de pouvoir par la force.

Dans le cas du Zimbabwe, nous savons qu’il y a des problèmes internes qui ont entraîné une crise qui fait craindre pour les élections de 2018, mais nous pensons que la société zimbabwéenne est suffisamment mûre pour pouvoir organiser ces scrutins. Il est évident que la tentative d’éliminer de grands dirigeants de la lutte pour l’indépendance, qui ont fait partie des plus grands soutiens du président Mugabe, pose problème mais nous pensons qu’avec nos amis de la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC) nous allons trouver une solution pour qu’il y ait des élections libres et transparentes en 2018.

N’est-ce pas une triste fin pour Robert Mugabe ?

Je n’ai pas à porter d’appréciation. Ce sont les Occidentaux qui portent des appréciations sur nos chefs d’Etat. Nous pensons qu’ils sont élus par un peuple, et tant que le peuple les soutient ils doivent rester. Nous n’acceptons plus qu’on nous dicte qui doit rester, qui doit partir. La démocratie, c’est la volonté populaire.

Quand un président comme [le Rwandais] Paul Kagamé fait le bonheur de son peuple, pourquoi doit-il partir ? Moi je fais confiance aux peuples, particulièrement au peuple africain, au peuple zimbabwéen qui a mené l’une des luttes armées les plus exemplaires. N’oubliez pas que Londres n’a pas respecté ses engagements. L’accord de Lancaster [texte sur l’avenir de la Rhodésie du Sud, futur Zimbabwe, signé en décembre 1979] établissait que le Royaume-Uni indemniserait les propriétaires fonciers blancs après la réforme agraire, ce qui n’a pas été fait. Cela, on oublie de le dire.

Depuis août, au Togo, l’opposition manifeste contre un éventuel troisième mandat du président Faure Gnassingbé. Comment dénouer cette crise ?

Nous pensons que cette crise se résoudra par le dialogue. Au niveau de l’Union africaine, nous avons déjà pris des contacts. Mon ambassadeur est allé là-bas, j’ai rencontré le président Faure Gnassingbé, et ces jours-ci je vais recevoir les différents leaders de l’opposition. Nous allons nous asseoir autour d’une table et essayer de voir comment l’Union africaine peut les accompagner pour trouver une issue pacifique, une solution négociée. Nous sommes pour la liberté de manifester mais à condition que les manifestations soient encadrées.

En tant qu’ancien opposant, comprenez-vous les manifestants togolais qui disent cinquante ans de pouvoir de la même famille, ça suffit ?

C’est au peuple togolais de décider. Moi je n’ai pas à porter de jugement. Mon cas personnel est particulier : tous mes amis présidents ont été premier ministre ou président de l’Assemblée. Si vous prenez les présidents du Mali, Ibrahim Boubacar Keïta, du Niger, Mahamadou Issoufou, ils ont été premier ministre et président de l’Assemblée. Moi, je suis le seul président qui a mené près de cinquante ans de lutte politique avant d’arriver au pouvoir.

Cela ne me donne pas pour autant l’autorité pour critiquer ou donner des conseils aux autres. Nous pouvons discuter amicalement. C’est ce que j’ai fait avec Faure Gnassingbé, qui est venu en Guinée et avec lequel je suis parti à Monrovia [la capitale du Libéria] pour conseiller à nos amis libériens d’accepter la décision de la Cour suprême de reporter le second tour de la présidentielle. Nous allons donc continuer à discuter dans le cadre de l’Afrique pour que le Togo puisse avoir des institutions qui répondent à la volonté populaire.

Pourquoi le principe d’alternance est-il toujours aussi difficilement admis par les dirigeants du continent ?

On ne fait pas de l’alternance pour l’alternance. On fait de l’alternance lorsque les peuples le veulent. Pourquoi voulez-vous qu’il y ait une alternance quand un président gère bien son pays avec l’accord de son peuple ? C’est quand il y a un bilan négatif ou bien quarante années au pouvoir sans résultat que l’on peut parler de nécessité d’alternance. (…) A un moment pour guérir un mal, on a fait un dogme.

Il y a aussi que l’alternance amène très souvent une chasse aux sorcières. Si l’on prend le cas de la Gambie, l’Union africaine, la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao), les Nations unies (ONU) ont signé un communiqué commun donnant des garanties à Yahya Jammeh. A la suite de cela, il est parti, mais si après on le poursuit, on saisit ses biens, il est évident que cela n’encourage pas les présidents à accepter un départ.

C’était la même chose avec Charles Taylor [ancien président du Libéria]. En France, quand un chef d’Etat quitte le pouvoir, il a son bureau, du personnel. Il faut créer les conditions d’existence des présidents quand ils quittent le pouvoir. Si la démocratie marche dans les autres pays, c’est parce que le président qui part sait qu’il bénéficiera de certains avantages. Nous avons des progrès à faire dans ce domaine, mais il ne faut pas oublier que l’Europe a mis des siècles pour cela et que la démocratie est encore jeune en Afrique.

Vous plaidez pour des solutions africaines aux problèmes africains. N’est-ce pas maintenir les problèmes du continent en vase clos alors que le monde est de plus en plus ouvert ?

Non, nous disons qu’il faut laisser l’Afrique trouver des solutions africaines en collaboration avec les autres. Nous n’avons pas dit que c’était un vase clos, mais quand il y a des problèmes en Europe, c’est réglé par l’Union européenne (UE) et pas par les Etats-Unis. Idem pour l’Asie. Nous voulons une coopération d’égal à égal, que l’on considère les pays africains comme des Etats souverains. Que les pays occidentaux nous accompagnent, pas qu’ils nous imposent.

Il y a quelques mois, vous appeliez les Africains à couper le cordon avec la France. Aujourd’hui vous êtes à Paris pour lever des fonds pour le développement de la Guinée. C’est le paradoxe Alpha Condé ?

Quand on a un cordon ombilical, c’est que l’on est encore bébé. Donc, quand je dis qu’il faut couper le cordon ombilical avec la France, cela veut dire que nous devons avoir des relations entre Etats souverains et égaux. Cela ne veut pas dire couper les relations.

Mais nous voulons aujourd’hui que la France considère les Etats d’Afrique francophone comme des Etats adultes et que l’on discute de partenariats. Combien de chefs d’Etat ont dit qu’ils allaient mettre fin à la Françafrique ? Les présidents Mitterrand, Chirac, Sarkozy, Hollande, tous ont dit qu’ils allaient mettre fin à la Françafrique. Pourquoi ? Parce que la Françafrique n’est plus ce qui convient aujourd’hui. Mais ils ne l’ont pas fait.

Quand vous prenez les pays anglophones, ils ont des rapports d’Etats souverains avec le Royaume-Uni. Couper le cordon ombilical, ça veut dire que nous sommes devenus majeurs. Mais je sais que la France, au fond, est d’accord de couper ce cordon, car c’est ce qui lui convient aujourd’hui le mieux.

A la fin novembre est prévu à Abidjan un sommet Union africaine - Union européenne. Ne craignez-vous pas un dialogue de sourds entre une Europe qui ne voit l’Afrique que sous le prisme des migrations et de la sécurité et l’Afrique qui n’attend de l’Europe qu’un appui à son développement ?

Il y a un certain nombre de points d’accord aujourd’hui. Nous sommes tous d’accord pour dire que le changement climatique entraîne la diminution des ressources, donc la pauvreté, donc le terrorisme, donc l’immigration. Nous sommes d’accord sur les causes, ce qui facilite la recherche de solutions.

Il est évident que l’Europe ne peut pas se barricader en disant : pas d’immigration tant que les jeunes Africains n’auront pas de travail. La conséquence sera que beaucoup encore se noieront dans la Méditerranée. Entre la Commission de l’Union africaine, celle de l’UE, nous travaillons ensemble depuis quelques mois ; je pense que nous trouverons une solution consensuelle lors du sommet, car tout le monde est d’accord pour dire que pour mettre fin à l’immigration et au terrorisme, il faut le développement économique.

Il faudra par la suite que les promesses soient tenues, comme l’ont dit le président Emmanuel Macron et la chancelière Angela Merkel à Bonn (Allemagne) lors de la COP23. Mais nous ne venons pas en mendiants. Nous voulons plus d’investissements que d’aides.

L’ONU a dénoncé l’accord migratoire signé entre la Libye et l’Italie. Qu’en pensez-vous ?

L’Union africaine n’a pas été associée à cet accord comme il se devrait, mais nous sommes cependant reconnaissants à Rome pour tous les efforts faits pour accueillir des immigrés. L’Italie est le pays qui reçoit le plus d’immigrés africains. Nous pouvons être contre la politique d’un pays, ce qui est le cas, mais n’oublions pas que Lampedusa se trouve en Italie.

La force du G5 Sahel se met en place. Pensez-vous qu’elle aura longtemps besoin de l’appui français ?

Je dis souvent : pourquoi voulez-vous qu’un citoyen du Bangladesh vienne mourir en Afrique ? Il y a vingt mille casques bleus en République démocratique du Congo depuis vingt ans, pour quel résultat ? C’est pour cela que nous pensons que la lutte contre le terrorisme en Afrique ne peut être faite que par des Africains.

Le G5 Sahel est un excellent modèle. On ne peut accepter de mourir que si l’on a une cause à défendre. Nous demandons donc à nos partenaires de nous accompagner avec des financements, de la logistique, du renseignement. Je pense que nous sommes sur la bonne voie, mais le problème de fond est que l’on ne pourra pas vaincre le terrorisme par les armées mais par la lutte contre la pauvreté.

Vous êtes venus à Paris pour lever des fonds. Souvent ce type de rencontre aboutit à des promesses qui ne sont pas concrétisées. Comment l’éviter ?

C’est le suivi. Il faut systématiquement aller chez nos amis qui ont fait des promesses et leur présenter des projets concrets. Persévérer, car si vous n’allez pas constamment les voir, vous êtes responsable de l’échec. Dès maintenant, nous allons envoyer des missions chez tous ceux qui nous ont promis des financements pour atteindre les objectifs de notre plan quinquennal.

La Chine vient de vous accorder un prêt de 20 milliards de dollars sur vingt ans. Que répondez-vous à ceux qui disent que vous avez gagé l’avenir de votre pays ?

Ce sont des gens qui ne veulent pas que la Guinée avance. Ce que nous avons signé est clair. Nous n’avons pas fait de troc avec Pékin. Nous n’avons pas donné des mines, hypothéquer contre des financements. Quand les sociétés chinoises vont exploiter nos mines, les royalties vont servir à rembourser le prêt chinois. Ce sont les activités des sociétés chinoises ou celles d’autres pays qui vont aider à rembourser Pékin. Ce que nous avons fait avec la Chine, c’est de nous assurer le financement de nos infrastructures.

Pour attirer les investisseurs, mieux vaut un climat politique apaisé. Cependant de nouvelles tensions sont apparues entre l’opposition et vous. Pourquoi le débat politique en Guinée n’arrive-t-il pas à se débarrasser de la violence, de l’invective ?

Ce qu’il faut comprendre, c’est que l’opposition guinéenne n’est pas une opposition comme les autres. Ce sont des gens qui ont dirigé ce pays, qui ont été premier ministre et qui après cela ont créé des partis. Comme ils voient que la Guinée avance et que nous sommes en train de réussir là où ils ont échoué, c’est pour eux une condamnation à mort.

La Guinée est en retard à cause de ces cadres qui ont géré le pays. Comme ils n’ont pas de programme et qu’ils ne peuvent pas promettre, car ils ont déjà un bilan, ils créent de la violence pour empêcher le pays d’avancer. Le peuple n’est pas aveugle et il décide sans influence extérieure. Les opposants qui parlent de violences, moi j’ai eu combien de militants massacrés quand j’étais dans l’opposition ?

Il y a une question lancinante en Guinée : allez-vous modifier la Constitution pour briguer un troisième mandat en 2020 ?

C’est le peuple qui décidera. Je suivrai ce que le peuple de Guinée voudra faire. (…) On pense que les Africains sont comme des mineurs pour que l’on décide à leur place. Qui demande aux Asiatiques de limiter les mandats ou de gouverner comme ça ?

Cela signifie que vous n’excluez pas un troisième mandat ?

Pour le moment, ce n’est pas à l’ordre du jour. Pour le moment, ce qui m’intéresse, c’est comment satisfaire le peuple de Guinée. Comment tenir les engagements que j’ai pris avec le peuple de Guinée.

Source: Le Monde

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