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Vu de Guinée Conakry. Ce que l’Afrique attend du président Macron

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Sur le continent, plus que la victoire de Macron c’est la défaite de Le Pen et de l’extrême droite que l’on retient. D’autant plus que, selon cet éditorialiste guinéen, les contours flous du projet africain du président élu n’augurent pas d’une rupture.

Comme chez beaucoup de Français, l’élection d’Emmanuel Macron est loin de susciter un débordement de joie en Afrique. Ce n’est pas la grande ivresse. D’Alger au Cap et de Dakar à Addis-Abeba, on ressent juste du soulagement. Celui que procure la défaite de Marine Le Pen. Parce que la grande peur c’était que la candidate du Front national, prêchant le repli sur soi, le rejet de l’autre, le durcissement de l’immigration et l’eugénisme à la française, sorte victorieuse de l’élection. Cette sombre perspective évitée, l’Afrique se frotte les mains. Car pour le reste, elle ne sait que très peu de choses du nouveau président.

On sait tout juste que les immigrés africains n’auront pas la peur au ventre comme si c’était Marine Le Pen qui l’avait emporté. De même, on devrait moins étiqueter les Français d’origine africaine. Bref, le multiculturalisme de la France devrait continuer à prévaloir de manière un peu plus assumée. Mais sur bien d’autres choses, les Africains attendent de voir Macron à l’action.

Ascension fulgurante

Toutefois, cette méconnaissance relative du nouveau président français n’empêche pas une certaine fascination qu’il exerce sur une large partie de la jeunesse africaine en général et sur celle qui se rêve une carrière politique en particulier. Le fait qu’Emmanuel Macron ait en si peu de temps réussi à supplanter les grandes formations de l’espace politique français séduit chez bon nombre de jeunes du continent ayant trop longtemps subi le diktat du droit d’aînesse, au sein de partis politiques très peu enclins à l’ouverture.

Ainsi, dans beaucoup de pays et dans la perspective d’échéances futures, bien de jeunes leaders aimeraient rééditer l’exploit du fondateur d’En Marche ! Eux aussi aimeraient sortir de leur attentisme, se libérer du peu de confiance qu’ils ont en eux-mêmes et faire montre à la fois de personnalité et de charisme, pour contraindre quelques aînés à aller à la retraite. Mais cette fascination-là n’a rien à voir avec les idées d’Emmanuel Macron. Elle s’inspire essentiellement de l’ascension fulgurante de l’ancien ministre de l’Économie.

Accueillir des immigrés

Pour ce qui est des idées, la campagne électorale n’ayant pas réservé de la place à l’Afrique, les Africains s’en tiennent à quelques bribes ramassées çà et là au gré des sorties du candidat Macron. On sait tout juste qu’à la différence de Marine Le Pen, il ne diabolise pas l’immigration. S’alignant au contraire sur la position d’Angela Merkel, il pense que la France peut encore accueillir des immigrés et soutient ouvertement qu’elle le fasse.

De même, sur la question du terrorisme, sans céder à la complaisance, il refuse le raccourci selon lequel les immigrés issus du Maghreb et du Moyen-Orient sont à l’origine des attaques ciblées dont le pays a été victime ces dernières années. À l’inverse, il voit dans la stigmatisation, l’intolérance, la culture de la peur et la propagation de la haine de l’autre, des sources potentielles de radicalisation.

Prisme économique

Mais sur la politique qu’Emmanuel Macron pourrait mener en Afrique, il est tout aussi évasif que confus. D’abord, sur la base des propos qu’il avait tenus en Algérie sur la colonisation, il avait donné l’impression d’une rupture en perspective. Mais sous la pression de la droite et de l’extrême droite, il avait dû se raviser. Par ailleurs, il semble davantage voir l’Afrique sous le prisme économique. Ce qui l’intéresse en premier lieu, c’est le fait que le continent ait, ces dernières années, continué à avoir une croissance soutenue.

De ce point de vue, Emmanuel Macron qui ne fait pas mystère de ses idées libérales, pourrait réorienter la diplomatie française, de manière à servir davantage les intérêts des multinationales. En principe, rien de mal à cela, vu que c’est en partie pour cela que ses compatriotes l’ont élu. Mais du côté africain, on se préoccupe de savoir si cette vision économique ne triomphera pas des principes des droits de l’homme et de la démocratie.

Une préoccupation qui ne manque pas de pertinence quand on sait que sous le magistère de Hollande, Idriss Deby Itno s’est fait réélire dans des conditions peu transparentes, que Denis Sassou Nguesso a modifié la constitution avec la bénédiction de l’Élysée, qu’Ali Bongo Ondimba a volé les élections et que Joseph Kabila a imposé son glissement. D’autres dirigeants du continent caressant le rêve de modifier la constitution de leurs pays, les masses populaires africaines ne savent pas donc si, au moment venu, elles peuvent compter sur la fermeté de Macron.

Nouvelle approche

Enfin, sur l’aide publique au développement (APD) que la France réserve à l’Afrique, il ne faut pas s’attendre à une révolution de la part du nouveau président français. Se situant actuellement autour de 0,37 % du PIB français (soit 9,8 milliards d’euros), Emmanuel Macron n’envisage qu’elle soit portée à 0,7 % du PIB, objectif fixé par l’ONU, qu’à l’horizon 2022-2030. Mais en contrepartie de cette stagnation, le président français propose une nouvelle approche qui mettrait notamment les PME et la société civile africaines au centre de l’appui au continent. Serait-ce suffisant ? Attendons de voir.

Boubacar Sanso Barry

Source: Courrier international

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