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Ce nouveau bloc d'opposition qui veut secouer la démocratie

18158947lpaw 18159459 article jpg 5994778 660x287En vue des prochaines élections législatives et de la présidentielle de 2020, des leaders d'opposition se rassemblent pour défendre un débat « pluriel » et l'alternance démocratique. Proposer une alternative politique crédible, renforcer la démocratie : ces arguments pèsent lourd dans le discours de la Convergence de l'opposition démocratique (COD), une alliance de partis d'opposition formée ce vendredi à Conakry.

Après une année 2018 houleuse (grèves dans l'éducation, contestations des résultats des élections locales du 4 février 2018 et de la répression des manifestations, tensions liées à la hausse des prix du carburant), la Guinée amorce un nouveau tournant politique, avec en ligne de mire deux rendez-vous électoraux majeurs. D'abord, les législatives, initialement prévues en 2018 et attendues en 2019 – la date n'est pas encore fixée. Arrivés à expiration mi-janvier, les mandats des 113 députés de l'Assemblée nationale ont ainsi été prolongés par le chef de l'État Alpha Condé, tandis que la Ceni (Commission électorale nationale indépendante) a été renouvelée le 21 janvier. Ensuite, la présidentielle de 2020, dont d'éventuelles stratégies de maintien au pouvoir d'Alpha Condé, élu en 2010 et réélu en 2015, alimentent le débat politique.

Vers une opposition plurielle…

« Cette coalition de partis a pour but de qualifier et de consolider notre démocratie. Nous allons notamment dénoncer certaines dérives, en termes de corruption, d'atteintes aux libertés publiques et aux droits de l'homme », résume Ahmed Tidiane Sylla, responsable de la cellule de la communication de l'UFR (Union des forces républicaines). Le parti, 3e force politique de Guinée, avait d'ailleurs révélé en octobre 2018, peu après l'audit du fichier électoral par l'Organisation internationale de la francophonie, que celui-ci contenait plus de 1,3 million d'électeurs fictifs. Et avait réclamé un nouveau recensement électoral. « Si on vise des élections crédibles et transparentes, il faut des électeurs connus de tous, et non fabriqués », ajoute le représentant de ce parti étiqueté libéral dont le président Sidya Touré, ex-Premier ministre (1996-1999), a démissionné le 11 décembre dernier de sa fonction de haut représentant d'Alpha Condé – qu'il occupait depuis 3 ans.

Outre l'UFR, 5 partis ont pour l'instant officiellement rejoint la nouvelle alliance. Parmi eux, le Parti de l'espoir pour le développement national (PEDN) emmené par Lansana Kouyaté, un autre ex-Premier ministre, nommé dans le contexte du mouvement de grève générale de janvier 2007 ; le Parti des démocrates pour l'espoir (Pades) présidé par Ousmane Kaba, ou encore l'UFDG-renouveau, de Bah Oury, fondateur et ancien vice-président de l'UFDG (Union des forces démocratiques de Guinée), premier parti d'opposition dont il a été exclu en 2016. « La COD répond aussi un besoin pressant de sortir de la bipolarisation de la vie politique en Guinée qui conduit à une sorte de communautarisation, et d'avoir un débat pluriel permettant à un large éventail de leaders de s'exprimer », ajoute Ahmed Tidiane Sylla.

… Et un nouveau rapport de force ?

Quant à savoir si ce nouveau bloc vise aussi à faire barrage à une velléité de troisième mandat d'Alpha Condé, le communicant balaie la question : « Nous ne sommes pas inquiets. Aucune disposition de la Constitution ne permet actuellement au chef de l'État de briguer un nouveau mandat en 2020, et nous savons que la population guinéenne ne l'entendrait pas de cette oreille. » Méthode Coué ou mise en garde à peine voilée… Il n'empêche que l'inquiétude semble bel et bien poindre au sein de l'UFR, 3e force politique du pays. « Plusieurs lieutenants du parti tirent sur Alpha Condé depuis que Sidya Touré a quitté son poste de haut représentant du chef de l'État, et le discours pour s'opposer au 3e mandat s'est bien construit chez certains militants », analyse le politologue Kabinet Fofana.

Jusque-là, le président guinéen ne s'est jamais positionné clairement sur ses intentions pour la présidentielle de 2020. Mais dans son entourage, les encouragements à prolonger l'exercice du pouvoir ne manquent pas, note Kabinet Fofana : « Le ministre de l'Industrie Boubacar Barry a déjà laissé entendre que si le verrou constitutionnel sautait, il ne s'opposerait pas à un nouveau mandat ; le ministre des Sports et de la Culture Bantama Sow déclare régulièrement dans les médias que le peuple réclame un 3e mandat ; le maire de Kindia affirme qu'il soutiendra Alpha Condé s'il se représente… Sans parler des jeunes RPG-Arc-en-ciel (Rassemblement du peuple de Guinée, mouvance présidentielle), qui diffusent leur soutien sur les réseaux sociaux. »

Rumeurs de révision constitutionnelle

« Tous les signaux indiquent qu'Alpha tient à son 3e mandat et à s'éterniser au pouvoir », assure de son côté Alpha Boubacar, conseiller du président de l'UFDG Cellou Dalein Diallo, chef de file de l'opposition et adversaire d'Alpha Condé lors des présidentielles de 2010 et 2015. « Selon des sources proches de la présidence, une nouvelle Constitution est en préparation. L'objectif est de remettre les compteurs à zéro pour permettre au chef de l'État de se représenter à la présidentielle 2020 », poursuit-il. Et d'accueillir plutôt favorablement cette nouvelle alliance de partis d'opposition : « Nous félicitions ceux qui se sont retrouvés au sein de cette convergence de partis d'opposition. Chacun des blocs de l'opposition va se battre, et se retrouver autour d'objectifs communs, tels que l'alternance démocratique. »

La Convergence de l'opposition démocratique pourrait-elle toutefois affaiblir l'opposition républicaine, rassemblée autour de l'UFDG ? « Il n'est pas sûr que cette plateforme soit aussi critique vis-à-vis du pouvoir que l'est l'UFDG depuis 2010. Cellou Dalein Diallo occupe bien le terrain, et les élections communales l'ont conforté dans sa posture de véritable opposant, alors que les partis du nouveau bloc étaient peu présents, et que l'UFR, surtout, a pris pas mal de coups à l'issue de ce scrutin », décrypte Kabinet Fofana. Et de rappeler la force de frappe de l'UFDG : « C'est grâce à la pression qu'elle a exercée dans la rue que les législatives se sont tenues en 2013, puis, les élections locales de 2018, organisées avec 8 ans de retard. S'ils ne mettent pas la pression aujourd'hui, il n'est pas sûr que les législatives de 2019 aient lieu ».

L'UFDG toujours déterminée

Reste à voir comment l'opinion guinéenne réagira à cette reconfiguration de l'opposition guinéenne. Pour l'heure, les rapports de force semblent continuer de se jouer entre la mouvance présidentielle et l'UFDG. Samedi 16 février, de retour au pays après un séjour de plusieurs semaines à l'étranger, le véhicule de Cellou Dalein Diallo a été ciblé par les forces de l'ordre dans le cortège qui le menait de l'aéroport de Conakry à son domicile. Le chef de file de l'opposition a reçu des gaz lacrymogènes. Le 23 octobre 2018, déjà, alors qu'il s'apprêtait à rejoindre ses militants pour une manifestation interdite dans la capitale guinéenne, les occupants de son véhicule avaient été arrosés de gaz, avant qu'une balle ne traverse le pare-brise du véhicule et ne blesse légèrement son chauffeur. Pourtant, malgré ces incidents, la protection de Cellou Dalein Diallo n'a pas été relevée. « Après l'incident du samedi 16 février, des responsables politiques ou de la police ont dit que Cellou avait menti, qu'il versait dans la victimisation. C'est un mépris total. D'autant qu'une loi votée en 2014 prévoit la sécurisation du véhicule du représentant de l'opposition. Mais le budget pour faire appliquer cette loi est bloqué », déplore Alpha Boubacar. Ce type d'incident, loin d'affaiblir Cellou Dalein Diallo, conclut Kabinet Fofana, « écorne l'image du gouvernement, et renforce la détermination de ses militants ». Et, surtout, de celui qui demeure, en vertu du plus grand nombre de sièges dont il dispose parmi les opposants à l'Assemblée nationale (37) le chef de file de l'opposition.

Par Agnès FAIVRE

Source: Le Point Afrique

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