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HRW estime que le gouvernement guinéen doit renforcer les efforts pour garantir la justice aux victimes des massacres du 28 septembre

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Le gouvernement guinéen devrait accroître son soutien à l’enquête ouverte au niveau national sur le massacre, les viols et autres exactions commis le 28 septembre 2009 afin de permettre sans délai l’engagement de poursuites équitables et crédibles pour les crimes perpétrés, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd’hui. Cette conclusion se fonde sur des recherches approfondies et une analyse détaillée des facteurs qui ralentissent la procédure d’instruction.

Les partenaires internationaux – notamment l’Union européenne (UE), les États-Unis et le Haut-Commissariat aux droits de l’homme – devraient également intensifier la pression et renforcer le soutien qu’ils apportent pour que justice soit rendue. Le rapport de 67 pages, intitulé « En attente de justice : La nécessaire traduction devant les tribunaux guinéens des responsables du massacre, des viols et autres exactions perpétrés dans le stade le 28 septembre 2009 », analyse les efforts déployés par la Guinée pour traduire en justice les responsables des crimes qui ont été commis. Ce jour-là, plusieurs centaines de membres des forces de sécurité guinéennes ont fait irruption dans un stade de Conakry, la capitale guinéenne, et ont ouvert le feu sur des dizaines de milliers de partisans de l’opposition qui participaient à un rassemblement pacifique. À la fin de l’après-midi, au moins 150 Guinéens gisaient morts ou mourants et des dizaines de femmes avaient subi des violences sexuelles d’une extrême brutalité, entre autres des viols individuels et collectifs. Plus de trois années se sont écoulées et les personnes impliquées n’ont pas encore été tenues de répondre de leurs actes.

« Les victimes des effroyables exactions perpétrées le 28 septembre 2009 attendent depuis plus de trois ans que justice soit faite », a souligné Elise Keppler, juriste senior au programme Justice internationale de Human Rights Watch. « Le Président Alpha Condé et d’autres responsables guinéens ont affirmé qu’ils soutenaient la lutte contre l’impunité, mais il faudrait qu’ils traduisent davantage leurs paroles en actes. Des poursuites crédibles contribueraient considérablement à faire entrer la Guinée dans une ère marquée par le respect de l’État de droit. » Le rapport est basé sur des recherches effectuées à Conakry en juin 2012 et sur des entretiens réalisés par la suite avec des responsables gouvernementaux, des avocats et autres praticiens du droit, des membres de la société civile, des journalistes, des victimes et des partenaires internationaux. Les affaires relatives à des crimes graves sont souvent sensibles et requièrent des ressources qui s’avèrent rares, a fait remarquer Human Rights Watch. Mais l’absence de justice peut entraîner de lourdes conséquences en risquant d’être le vecteur de nouvelles exactions dévastatrices pour la population et le développement national. L’impunité pour les violations des droits humains est un problème persistant qui touche la Guinée depuis des décennies. En février 2010, un procureur guinéen a nommé un pool de juges d’instruction chargés d’enquêter sur les crimes. Plus de 200 victimes ont été interrogées et des poursuites ont été intentées contre au moins sept personnes, dont le ministre guinéen chargé de la lutte anti-drogue et du grand banditisme et le ministre de la Santé au moment de la commission des crimes. Le gouvernement guinéen a également accepté la nomination d’un expert international proposé par le Bureau de la Représentante spéciale de l’ONU chargée de la question des violences sexuelles commises en période de conflit. L’expert appuiera les efforts en matière de lutte contre l’impunité.

Cependant, plus de trois ans après la perpétration des crimes, l’instruction n’est toujours pas clôturée et de nombreuses victimes n’ont pas encore eu la possibilité de faire leur déposition devant les juges. Ces derniers doivent par ailleurs encore interroger au moins deux suspects principaux – le Capitaine Moussa Dadis Camara, qui était président au moment où les crimes ont été commis, et le Capitaine Claude « Coplan » Pivi – ainsi que des témoins qui ne sont pas suspects mais sont membres des services de sécurité guinéens.

En 2011 et 2012, le pool de juges d’instruction était confronté à un manque de fournitures de base, entre autres des stylos, du papier et autre matériel, et il a fallu plus d’un an au Ministère guinéen de la Justice pour commencer à remédier à ce problème. Par voie de conséquence, le travail du pool a été véritablement suspendu de mai à septembre 2012, après quoi les juges ont repris leur travail lorsqu’une allocation supplémentaire et un ordinateur leur ont été fournis. La sécurité limitée des juges, les diverses responsabilités professionnelles qu’ils sont tenus de concilier et le fait que des suspects clés occupant des postes gouvernementaux n’aient pas été mis en congé constituent des défis supplémentaires.

Par ailleurs, la police judiciaire guinéenne doit encore permettre aux juges d’avoir accès à un site identifié comme pouvant abriter un charnier, et une requête introduite par les juges pour interroger l’ex-président au Burkina Faso à propos des crimes commis est toujours en souffrance. Pendant ce temps, certains suspects se trouvent en détention provisoire depuis plus longtemps que le délai maximum de deux ans autorisé par la loi guinéenne.

« L’instruction a enregistré quelques progrès importants, mais pour qu’elle soit menée à bon terme, le gouvernement guinéen doit apporter un plus grand soutien », a souligné Elise Keppler.

Human Rights Watch a appelé le gouvernement guinéen – en particulier le président et le ministre de la Justice – à respecter un certain nombre de critères clés pour veiller à ce que le pool de juges d’instruction puisse opérer efficacement. Le gouvernement devrait s’assurer que les juges disposent de ressources suffisantes et que leur sécurité soit garantie ; faciliter la nomination d’experts internationaux compétents en la matière ; mettre en congé les suspects clés qui occupent des postes gouvernementaux, tout spécialement lorsqu’ils risquent d’intervenir dans les enquêtes ; et s’employer à ce que les juges puissent interroger l’ex-Président Dadis Camara.

De plus, les juges devraient rapidement remédier à toute détention provisoire illégale de suspects, en faisant juger sans délai les personnes qui doivent rester en détention provisoire et en libérant les autres. Le ministre de la Justice devrait également mettre en place un programme de protection et de prise en charge des témoins et des victimes et appuyer une réforme du droit, entre autres en faisant en sorte que les crimes contre l’humanité soient reconnus comme des crimes au regard du droit guinéen et en abolissant la peine de mort.

Le rapport appelle également à un soutien international plus important à l’engagement de poursuites équitables et crédibles pour les crimes du 28 septembre.

Le rapport estime que la Cour pénale internationale (CPI) et le Bureau de la Représentante spéciale de l’ONU chargée de la question des violences sexuelles commises en période de conflit ont contribué de façon cruciale à promouvoir la justice pour les crimes perpétrés le 28 septembre 2009. Le Haut-Commissariat aux droits de l’homme a pour sa part soulevé certains problèmes et procuré de manière informelle certaines fournitures aux juges, mais il devrait jouer un rôle plus actif en poussant le gouvernement à faire en sorte que le pool de juges d’instruction puisse fonctionner efficacement.

Les principaux acteurs gouvernementaux et intergouvernementaux – entres autres l’UE, les États-Unis et la France – devraient accroître considérablement leurs contacts diplomatiques publics et privés avec les responsables guinéens pour insister sur le besoin de justice et veiller à ce que les juges puissent travailler efficacement. Par ailleurs, ces acteurs devraient encourager les demandes d’assistance financière et technique pour les efforts déployés dans des domaines tels que la protection et la prise en charge des témoins et des victimes, l’enquête médicolégale, la formation et la réforme du droit. Les partenaires internationaux ne semblent pas apporter de soutien direct à l’instruction et aux poursuites relatives aux crimes du 28 septembre.

Il faut noter que les États parties à la CPI et les Nations Unies s’engagent de plus en plus à identifier des moyens de contribuer à promouvoir la traduction des responsables devant des tribunaux nationaux. Cela maximiserait ce que la CPI appelle la complémentarité, principe en vertu duquel la cour n’intervient que lorsque les tribunaux nationaux sont dans l’incapacité ou n’ont pas la volonté de mener à bien les poursuites. Les efforts déployés en Guinée en faveur de la lutte contre l’impunité sont une occasion privilégiée de se rapprocher de cet objectif, a relevé Human Rights Watch.

En octobre 2009, le Bureau du Procureur de la CPI a décidé de procéder à un examen préliminaire de la situation en Guinée – État partie à la CPI depuis 2003.

Certains membres de la société civile et certaines victimes ont déclaré attendre que la Cour pénale internationale ouvre une enquête sur les crimes commis le 28 septembre 2009 afin que les responsables soient tenus de rendre des comptes.

Il reste à savoir si la cour pourra ouvrir une enquête en Guinée compte tenu du principe de complémentarité de la CPI. Mais même si elle venait à le faire, son champ d’application serait limité car elle est basée à des milliers de kilomètres, aux Pays-Bas, et ne se concentre que sur le crime de génocide, les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité, et sur les suspects ayant les niveaux de responsabilité présumés être les plus élevés.

« L’enquête menée par des juges guinéens pourrait constituer un test important pour la communauté internationale en ce qui concerne sa contribution à la lutte contre l’impunité au niveau national », a conclu Elise Keppler. « Les partenaires internationaux de la Guinée devraient adresser des encouragements, exercer des pressions et apporter un soutien pour optimiser les perspectives de justice pour le massacre commis dans le stade. »

Source HRW

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