En Guinée, Ebola n'a pas altéré le rêve minier

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Dans son uniforme de minier impeccable et bien repassé, Namory Condé n’a pas vraiment l’allure d’un gouverneur, ni d’un magnat du secteur minier qui génère 80 % d’entrée de devises de l’Etat guinéen et encore moins d’un acteur incontournable capable de peser sur le cours mondial de la bauxite.

Depuis Kamsar, village côtier devenu ville minière de plus de 350 000 habitants à 250 km au nord de Conakry, cet ingénieur sage et facétieux de 62 ans est pourtant tout ça à la fois.

Son bureau au mur tapissé d’une carte du monde est un de ces centres névralgiques de l’économie globale et le poumon économique de la Guinée, pays parmi les plus pauvres de la planète malgré un trésor de ressources minières enterré dans son sous-sol. « Je suis une poche de richesse dans une zone de pauvreté où je fournis l’électricité, l’eau gratuitement, les soins médicaux et je règle les conflits », dit cet ancien de BHP Billiton devenu, en 2014, directeur général de la Compagnie des bauxites de Guinée (CBG). Cette société, parmi les plus vieilles d’Afrique, est détenue par l’Etat (49 %) et par le consortium international Halco Mining (l’américaine Alcoa et l’anglo-australienne Rio Tinto à hauteur de 23 % chacune et 5 % détenus par la société basée en Suisse Dadco).

L’épidémie n’a pas atteint l’industrie de la bauxite


Avec la mine de Sangarédi, à 132 km de l’usine et du port minéralier de Kamsar, où chargent des cargos de 229 mètres, la CBG fournit en bauxite l’Amérique du nord et l’Europe dont l’usine d’alumine de Gardanne en France, via le port de Fos-sur-Mer. Désormais, les géants des mers partent aussi vers la Chine dont la demande est estimée à plus de 29 millions de tonnes en 2015, en hausse de 8,7 % par rapport à 2014.

A quelques mètres de là, des investisseurs d’Abou Dhabi construisent leur propre quai pour exporter le minerai vers les Emirats Arabes Unis. Des capitaux du monde entier affluent dans cette petite ville polluée pour satisfaire la demande des industries automobiles et aéronautiques notamment. Mais la population n’en voit que la poussière rouge dégagée par la bauxite – même si elle bénéficie de davantage d’emplois que dans le reste du pays.
« Si un problème survient à Sangarédi ou à Kamsar, l’industrie mondiale le ressent immédiatement », souligne un consultant minier français de passage. Depuis que l’Indonésie s’est interdit, en 2014, d’exporter sa bauxite brute pour mieux la transformer sur place, la Chine s’est tournée vers la Guinée qui devrait aussi profiter, à moyen terme, de l’amenuisement du minerai en Jamaïque, autre gros producteur.
Malgré l’épidémie d’Ebola qui a ravagé l’économie du pays, l’industrie de la bauxite n’a pas réduit son activité. Au contraire. Entre 2013 et 2014, la production de la CBG est passée de 13,5 à 15,2 millions de tonnes. Un record pour cette société dont les revenus irriguent les caisses de l’Etat, avec près de 13,6 millions d’euros d’impôts. Et la CBG prévoit d’investir un milliard de dollars dans l’extension de l’usine et de son quai pour atteindre une production de 22,5 millions de tonnes en 2018.
« Ebola a créé un certain marasme, certes, mais n’a pas vraiment eu de conséquences sur les sociétés qui sont déjà en phase de production », constate le libano-guinéen Fadi Wazni, directeur général de la société de logistique minière UMS. Lui vient de former un consortium avec le leader chinois de la production d’aluminium et un transporteur maritime de Singapour, Winning Shipping, pour exporter 5 millions de tonnes via le fleuve Rio Nunez à compter de cet été.

Peser sur les cours mondiaux de bauxite

Le ministère des mines, à Conakry, veut croire que l’heure est enfin venue de s’imposer sur ce marché aux perspectives encourageantes, toujours dominé par l’Australie, avec une production de prés de 77 millions de tonnes. « A partir de 2018, on prévoit de produire 60 millions de tonnes de bauxite. Notre objectif est d’atteindre 100 millions de tonnes sur les 250 millions produites dans le monde et ainsi pouvoir influer sur les cours », prédit un conseiller du ministre des mines. Et d’ajouter : « Sur le marché de la bauxite, la Guinée peut devenir ce que l’Arabie saoudite est au pétrole. »
A Miami, où s’est tenue en février la 21e conférence internationale de la bauxite et de l’alumine, Nava Touré, secrétaire général du ministère des mines, s’est retrouvé au centre de l’attention. « Tous parlaient de la Guinée comme réservoir et de la Chine comme centre de consommation. Le nouvel axe serait ainsi Conakry - Pékin », rapporte avec prudence cet ingénieur calme et discret.

Toutefois, la bauxite n’est qu’un compartiment du coffre-fort minier guinéen qui renferme toujours la plus grande réserve de fer non exploitée au monde : Simandou. Le nom de ce massif montagneux proche des frontières de la Côte d’Ivoire et du Liberia est désormais connu dans le monde entier comme étant le décor d’une vaste affaire de corruption présumée.

Le mirage du fer de Simandou

A Conakry, on veut désormais oublier ce qu’on qualifie parfois de « tentative de hold-up » du diamantaire franco-israélien Beny Steinmetz accusé par le gouvernement d’Alpha Condé d’avoir usé de corruption afin d’acquérir, en 2009, les droits sur la moitié de cette montagne, les blocs 1 et 2, pour 160 millions de dollars. Et ce avant de revendre la moitié de sa société quelques mois plus tard au géant minier brésilien, Vale, pour 2,5 milliards de dollars. Plusieurs tribunaux ont été saisis. Début mai, la justice britannique a contraint Beny Steinmetz Group Resources (BSGR) à lui remettre des milliers de pages de documents internes sur cette transaction.


Sans attendre le résultat définitif de ces procès, les autorités guinéennes, pour qui la corruption ne fait aucun doute, s’apprêtent à lancer les appels d’offres pour les blocs 1 et 2 litigieux avant la fin de cette année. Tout en menant la bataille sur un autre front : les gigantesques travaux nécessaires à l’exploitation des blocs 3 et 4, attribués en 2014 à l’anglo-australien Rio Tinto. Ils piétinent. Le géant minier traîne des pieds et gère ses blocs comme un « réservoir », d’autant que la chute du cours du fer rend ce méga-projet risqué. « Rio Tinto souhaite un report préliminaire de six mois renouvelable pour cas de force majeur de par Ebola. Ce que nous n’avons pas encore accepté. Justifier tous les retards par Ebola ne suffit pas », explique Nava Touré.

Dilemme logistique et travaux pharaoniques

Les investissements nécessaires pour l’exploitation du fer de Simandou sont colossaux : 20 milliards de dollars. Et les travaux pour permettre d’acheminer le fer de cette montagne reculée vers la côte se révèlent pharaoniques : 670 km de voie ferrée, dont plus de 25 km de tunnel à creuser, sans oublier les infrastructures portuaires.


Pourtant, c’est bien là l’enjeu crucial pour la Guinée qui cherche par tous les moyens à désenclaver les zones minières et faire ainsi sauter le verrou logistique qui obère le secteur. Le gouvernement attend de ce projet 1,2 milliard de dollars de recettes fiscales et la création de 45 000 emplois, pour pouvoir ensuite franchir l’étape de la transformation de la bauxite en Guinée, puis diversifier l’économie.

Mais les analystes restent sceptiques. « Au regard du cours du fer, le projet Simandou n’est pas rentable et le lancement de ces grands travaux peut être compromis, souligne le consultant indépendant Michel Billard de la Motte. La relance de l’exploitation de la bauxite se révèle plus sûre. 2016-2017 correspond au redémarrage du secteur minier guinéen, à condition d’une stabilité politique et d’un développement des infrastructures. »


Ce ne sont pourtant pas les excuses qui manquent aux investisseurs pour temporiser. Outre Ebola et les perspectives économiques mondiales, il y a aussi les tensions politiques. Depuis le 23 mars, les partis d’opposition au président d’Alpha Condé multiplient les manifestations et les opérations << villes mortes >> à Conakry et partout dans le pays. L’activité risque d’être ralentie, voire gelée jusqu’à la tenue de l’élection présidentielle fixée au 11 octobre. Tant que les investissements massifs resteront virtuels, les revenus miniers seront dérisoires : moins de 16 euros par habitant.
 

 

Joan Tilouine Kamsar et Conakry, envoyé spécial

Source: Le Monde

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