En Guinée, Rio Tinto s'apprête à lancer Simandou, une mine de fer hors-norme qui vise l’acier vert

001506883 896x598 cGigantesque projet porté par Rio Tinto et des acteurs chinois, la mine de fer de Simandou, doit enfin commencer à produire en 2025. Celle qui attise les passions minières depuis le siècle dernier, doit en particulier répondre aux besoins émergents de l'industrie de l'acier vert.

Gigantesque. Hors-normes. Inouï. Depuis des décennies, le fer de Simandou (République de Guinée) excite les passions et accumule les superlatifs. Au point que les montagnes verdoyantes du même nom, situées à l’extrême sud-ouest du pays d’Afrique de l’Ouest, bien loin de la capitale Conakry, sont connues de tous les acteurs miniers du monde. En dessous se trouve «le plus grand gisement de minerai de fer à haute teneur encore inexploité», explique à L'Usine Nouvelle Gerard Rheinberger, directeur du projet Simandou chez Rio Tinto. D’où une certaine effervescence alors que l’exploitation industrielle arrive enfin, après des années de péripéties politiques, de questionnements industriels et de controverses légales autour de ce giga-projet. Début décembre, le géant minier anglo-australien a annoncé à ses actionnaires son plan d’investissement à 6,2 milliards de dollars pour développer Simandou, avec pour objectif de commencer à produire dès 2025. C'est à dire demain. 

Le plus grand projet d’infrastructure d’Afrique

Preuve du gigantisme du projet : cette somme ne concerne que la part de Rio Tinto, qui exploite la partie sud du gisement, et ce via une coentreprise baptisée Simfer (dans laquelle il est majoritaire, aux côtés d’un consortium d’entreprises chinoises mené par le géant de l’aluminium Chinalco). Un autre consortium, WCS, possède les deux blocs du nord du gisement (il rassemble le singapourien Winning International Group, l’autre géant chinois de l’aluminium Hongqiao et, depuis peu, un autre colosse chinois de l’acier Baowu Steel). Le 4 février 2024, le Conseil guinéen (l’équivalent du Parlement) a validé le plan de développement conjoint de la coentreprise qui réunit autour du projet Simfer, WCS, et le gouvernement guinéen dirigé par la junte au pouvoir depuis 2021.

Au-delà des mines elles-mêmes, la difficulté consiste à mettre en place les infrastructures indispensables pour évacuer les quantités de fer qui seront extraites à Simandou, située entre le Liberia et la Côte d’Ivoire et loin des accès du pays à la mer. «Le projet comprend la construction de plus de 600 kilomètres de chemin de fer traversant le pays d’est en ouest pour rejoindre la côte Atlantique, ainsi que d’infrastructures portuaires», liste Gerard Rheinberger en détaillant le montage complexe derrière ces infractuctures. Rio Tinto doit notamment construire un embranchement ferroviaire de 75 km pour rejoindre la ligne principale (construite par WCS), un quai maritime de transbordement dans le port guinéen de Morébaya, et les routes nécessaires pour que ses camions miniers se déplacent dans les montagnes. L’entreprise indique avoir 5000 salariés sur le projet (à 85% guinéens) et est en train d’achever la construction de «nouvelles bases-vie pouvant accueillir 5000 lits supplémentaires».

L'entreprise anglo-australienne n’a pas toujours voulu parier si gros sur Simandou. Après avoir obtenu un permis d’exploitation en 1997, puis avoir dû en céder une partie, elle était allée jusqu’à chercher à vendre ses parts dans le projet en 2016. Rio Tinto a aussi été éclaboussé par les nombreuses affaires de corruption qui ont entouré le projet, et a accepté en mars 2023 de payer 15 millions de dollars à la Securities and Exchange Commission américaine, sans reconnaître sa culpabilité. Aujourd’hui, il s’agit d’avancer vite. «La demande mondiale d'acier devrait augmenter de 24% d’ici 2050, tirée principalement par les marchés émergents, liste Gerard Rheinberger. L'Europe et les États-Unis ont aussi adopté de nombreuses mesures incitatives soutenant les efforts de décarbonation de l'industrie sidérurgique, qui représente 8 % des émissions mondiales de CO2»,

Géologie adaptée pour l’acier vert

Un passage par la géologie permet de comprendre ces deux arguments. Tout d’abord, le gisement est exceptionnel par sa taille. Les deux blocs du sud que possède Rio Tinto dans le cadre Simfer, totalisent des ressources minérales estimées à 2,9 milliards de tonnes de fer ! Lorsque Simfer arrivera à pleine puissance, en 2028, elle devrait produire 60 millions de tonnes de fer par an. WCS, qui devrait commencer à produire un peu plus tard, doit extraire des quantités similaires. A titre de comparaison, les 17 mines de Rio Tinto dans la région du Pilbara, en Australie, ont produit plus de 330 millions de tonnes de fer en 2023.

Ensuite, le minerai lui-même entre en jeu. En moyenne, le gisement contient entre 65,3% (pour les ressources) et 66,1% de fer (pour les réserves), «le tout avec peu d'impuretés», inventorie Gerard Rheinberger. Des teneurs élevées, grâce auxquelles Rio Tinto espère viser le marché de l’acier "vert". «Une partie de ce minerai est particulièrement adapté au raffinage par le biais de technologies viables et moins énergivores, telles que la réduction directe (appelée DRI ndlr) ou les fours à arc électrique (EAF)», confirme Gerard Rheinberger. Contrairement aux traditionnels hauts-fourneaux qui alimentent l’industrie sidérurgique mondiale depuis des siècles et consomment du charbon, le DRI permet de transformer le minerai de fer en acier en utilisant du gaz naturel, voire de l’hydrogène. Des options qui émettent moins de CO2… mais nécessitent des teneurs en fer élevées. 

L’intérêt accru de Rio Tinto pour Simandou se comprend donc aisément, d’autant que ses mines du Pilbara produisent du minerai moins riche en fer qui pourrait avoir du mal à trouver sa place dans un monde décarboné. Un constat qui risque de chambouler le marché du fer. «Nous prévoyons que les exportations de minerai de fer d’Australie, qui représentent autour de 60% du total mondial, atteindront un pic dans les deux prochaines années avant d’entrer dans un déclin graduel de long-terme», écrit Simon Flowers, président et analyste en chef de Woodmac dans une note récente sur le sujet. Des technologies se développent pour augmenter les teneurs en fer, ou utiliser du minerai peu riche avec de l'hydrogène mais, selon le cabinet britannique, les minerais les plus riches devraient pouvoir se vendre avec un important bonus d’ici la fin de la décennie. Et rebattre (un peu) les cartes sur le marché du métal le plus extrait dans le monde. 

Source L'USINENOUVELLE: 

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