GUINEE : Démocratie, Pays Légal et Pays Réel

 
 
 
27  septembre 2011, des centaines de milliers de Guinéens veulent défiler  pacifiquement à Conakry et dans d'autres villes du pays à l'appel de  l'opposition guinéenne réunie autour du Collectif des partis politiques  (UFDG, UFD, UFD, NGR, GECI, NFD) et des représentants de la Société  civile pour la finalisation de la Transition. Et voilà, le pouvoir du  Président Alpha Condé, pris de panique qu'un immense rassemblement de  l'opposition ne mette à nu le roi, qui montre aussitôt et sans masque,  sa tentation totalitaire sur le pays.
IL interdit toute manifestation. Or le droit de manifestation est légalement reconnu en République de Guinée. Alpha Condé, opposant historique en a, par moment, bénéficié par la marée humaine jaune de ses partisans venant l'accueillir, à chacun de ses retours au pays sous la dictature militaire. Alors sans même insister sur le total reniement de ce pour lequel, il était perçu, c'est-à-dire l'introduction de la démocratie en Guinée, on ne peut qu'approuver le Rapport d'Amnesty International sur la manifestation du 27 septembre 2011 où il est écrit: « Le Président Alpha Condé a recours aux mêmes méthodes brutales que ses prédécesseurs ». Et de fait, comme eux, tout ce qui n'a pas été ou n'est pas silence sur leur dérives de gouvernance est jugé « injuste et infondé ».
Quoi qu'il en soit, un pouvoir intelligent et soucieux de paix sociale n'aurait pas ravivé des tensions déjà assez élevées mais aurait recommandé aux organisateurs de la manifestation une rigueur afin d'éviter tous débordements, tout en veillant, de son côté, à surveiller des provocateurs qui pourraient se situer parmi ses soutiens. Au total, cette manifestation qui se voulait pacifique s'est soldée encore par quatre morts , des blessés et des arrestations, par l'intervention violente des forces de l'ordre aux côtés desquelles, on signale la présence de chasseurs traditionnels (donzos). Genre de milice privée supplétive, au service d'un Etat républicain? Si cette présence est avérée, quelles réalités est-on en train d'implanter ou de renforcer en Guinée? Mais ce contexte constitue ,à n'en pas douter, un indicateur du désarroi et de la faiblesse du pouvoir du Président Alpha Condé.

Réalités institutionnelles toujours chaotiques

En Guinée,où tout paraît être un vaste théâtre de marionnettes, les marionnettistes en chef qui se succèdent et se ressemblent, n'arrivent plus à amuser un large public. Mais à des degrés divers chacun d'eux s'est gargarisé, à sa manière du mot démocratie, mot magique s'il en fut des indépendances africaines. Force est cependant de constater que, même parmi ceux qu'on désigne comme l'élite guinéenne en ayant une idée théorique; un large pan n'est réellement pas prêt pour l'implantation d'un embryon de régime démocratique,compatible avec la norme internationale. Tout démontre cette réalité de la Guinée, depuis la bataille de l'élection présidentielle de 2010 jusqu'à ce jour.
Est-il nécessaire de rappeler ce que peut représenter un régime politique de démocratie? Aussi simple et limité que ce rappel doit être ici , je le crois, pour le large public de nos concitoyens, que constituent les lecteurs d'un site internet. Ce régime politique est celui dans lequel le pouvoir émane du peuple et est contrôlé par le peuple sans distinctions liées à l'ethnie (comme en Guinée), à la naissance, à la richesse ou à la compétence. C'est ce que résume la formule célèbre: « Le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple » qui est devenue l'une des définitions canoniques, exprimant la souveraineté du peuple. En général, les démocraties sont indirectes ou représentatives, le pouvoir s'exerçant par l'intermédiaire de représentants désignés par élections généralement au suffrage universel de nos jours. On a assisté, autrefois, dans des pays devenus de grandes démocraties, au système d'élections au suffrage censitaire où le vote était réservé aux personnes qui s'acquittaient d'un impôt: le cens. C'était à partir de cette référence de suffrage censitaire que des juristes avaient forgé le concept de pays légal, (forcément minoritaire dans la population totale du pays, les riches étant toujours moins nombreux que les pauvres). Cette définition était faite par opposition aux membres du corps social, c'est-à-dire le pays réel.
La réalité sociopolitique d'un pays comme la Guinée est que, depuis son indépendance, les seuls membres du pouvoir d'Etat constituent le pays légal qui impose, par toute une batterie de subterfuges,les oripeaux d'une démocratie. Mais la réalité institutionnelle est assise sur une absence d'éthique, un non respect des engagements,des tripatouillages (parfois suivis de violences) des élections dites transparentes pour toujours arriver ou durer au pouvoir. Tels sont quelques leviers de commande qu'use et abuse le pays légal ou l'Etat (en tant qu'institution) dans ce type de démocratie formelle. A la longue (53 années pour la Guinée), le pays réel, c'est-à- dire, le pays profond, est las et ne suit plus vraiment ce que les Guinéens appellent péjorativement la mamaya gouvernementale. Les aînés, parmi eux, savent,cependant, que la mamaya était, dans le passé, une manifestation de réjouissance populaire. Elle est devenue,avec « Les soleils des indépendances » (Ahmadou Kourouma, 1927-2003, écrivain ivoirien), une danse du ventre qui anime bien des serviteurs du pays légal pour s'enrichir ou pour survivre. Les flux des déclarations d'allégeance au chef de l'Etat l'attestent, ces temps derniers . Mais je n'ai jamais pensé que la danse du ventre concerne tous les membres du pays légal. Elle constitue sans aucun doute l'un des principaux adjuvants de la consolidation de l'état stationnaire, pour ne pas dire régressif, du pays. Elle contribue aussi indéniablement à l'extrême faiblesse des institutions guinéennes. Celles-ci fonctionnent à l'aulne des humeurs du Président de la République. Aussi, n'est-il pas étonnant de relever tant d'incohérences dans le fonctionnement de l'Etat..
Il faut que les Guinéens soient , au regard des expériences catastrophiques du pays légal sur le pays réel , nombreux à ne plus se taire sur ce qui ne semble pas aller dans le bon sens. Les pouvoirs publics sont très souvent entourés de personnages limités dans leurs perceptions de l'avenir. Ceux qu'ils considérèrent comme des hérétiques ,c'est-à-dire, en dehors des schémas complaisants de pensées en honneur , ne doivent pas tomber dans les conformismes de courtisans, s'ils désirent que la Guinée triomphe des dures lois de la rigueur qui va régir ce XXIe siècle. Le grenouillage des thuriféraires des régimes successifs de ce pays ont toujours voulu pousser les citoyens à l'abdication de tout esprit critique. Dans « Littérature, révolution et entropie », l'écrivain russe, Evgueni Ivanovitch Zamiatine (1884-1937), disait : « Les hérétiques sont le seul et amer remède contre l'entropie de la pensée humaine ». Il faut des hérétiques pour dénoncer l'idéologie des pardons faciles prônés par le pouvoir d'Alpha Condé et qui font croire qu'on peut enterrer des ignominies au détriment de la justice. On ne peut rien construire sur des faux- semblants. Nabbie Ibrahim « Baby » Soumah a raison d'écrire dans son article, A tout « saigneur », tout honneur: « Il n'y a pas de paix sans justice, ni de pardon sans justice ;il n'y a pas de vérité sans justice, ni de réconciliation sans justice restauratrice , réparatrice. Le rétablissement de la justice sera le seul garant d'une réconciliation et d'une paix durable. » Mais ceux qui, avec le Président , semblent déjà s'accrocher au pouvoir comme leurs prédécesseurs, l'entendront-ils? Ce n'est pas sûr. Ce qui l'est, dans l'existence des 53 année de la République de Guinée et que les Guinéens conscients ont constaté,est que le recours à n'importe quels subterfuges (mensonges, recours à l'arbitraire et à la force, à l'action occulte de marabouts et de féticheurs, etc), n'ont pas permis à un régime de réaliser un décollage économique et social tangible du pays, ni protégé les Présidents pour l'éternité. D'aucuns diront qu'une cinquantaine d'années est temporellement peu de chose dans la vie d'une nation, certes, mais dans les années 1950 , notre pays disposait, déjà, d'éléments structurels qui auraient pu contribuer à ce décollage si les pouvoirs en place depuis 1958, avaient eu la capacité de les entretenir: chemin de fer Conakry-Niger, principales villes électrifiées, routes carrossables régulièrement remises en état, etc. Seul le pouvoir politique les avait intéressés. Une cinquantaine d'années a permis à des pays d'Amérique latine et d'Asie d'enregistrer des changements notables dans de nombreux domaines. J'ai,à plusieurs reprises, fait ces rappels pour les jeunes générations,pour leur signifier que le fossé (source d'enlisement) n'a fait que se creuser, en Guinée, entre, d'une part, le pays légal uniquement préoccupé de pouvoir politique et, d'autre part, le pays réel qui se sent peu concerné. Ce sont ces deux pays qu'il faut réconcilier en même temps qu'il faut recoudre le tissu social du pays réel que le pays légal n'a cessé de déchirer pour pouvoir accéder ou se maintenir en place. Recoudre le tissu social,c'est aller vers plus de progrès collectif. Alors, pourquoi, avec les moyens d'Etat, des mesures énergiques ne sont-elles pas prises pour faire cesser les stigmatisations ethniques systématiques? .

Il est encore temps de combler le fossé que le pays légal a creusé dans le corps social.

La Guinée n'a connu que de rares moments de communion nationale :indépendance, 1958-1960; euphorie qui a suivi le coup d'Etat militaire des Colonels Lansana Conté- Diarra Traoré, 1984-1985; même type d'euphorie à la suite du coup d'Etat militaire du Capitaine Moussa Dadis Camara et du Conseil national pour la Démocratie et le Développement (CNDD) en décembre 2008. On n'a pas constaté, au plan national, la répétition des scènes de liesses populaires précédentes, après l'élection présidentielle de novembre 2010, tant des leaders s'étaient cramponnés à des fiefs ethniques jusqu'à oublier de se forger une stature d'homme d'Etat . Il est inutile de revenir sur les invectives et les slogans d'exclusion et même de violences qui ont émaillé cette élection. On en subit encore, dix mois après les effets pervers sur la cohésion nationale guinéenne. Le Président Alpha Condé n'a pas semblé prendre en compte l'exacte mesure du fossé qui s'était encore plus élargi et a ,au contraire, cru que des voyages à travers le monde, combleraient son déficit de reconnaissance à l'intérieur de son pays. Depuis son élection, il a déjà fait plus d'une dizaine de voyages à l'étranger et aucun déplacement notable à l'intérieur de la Guinée pour remercier ses électeurs et tenté de jeter des jalons entre guinéens de différents bords politiques avant l'organisation officielle de la réunion sur la Réconciliation . Les voyages à l'étranger, (nous sommes loin de leurs effets des années 1960), n'auront probablement aucun impact positif notable pour la Guinée. Ce comportement d'un autre temps, montre aussi un autre aspect incontestable du fossé qu'il continue de creuser entre pays légal et pays réel que j'indiquais ci-dessus. La grande erreur du Président est de croire, comme ses prédécesseurs, que par des manoeuvres plus ou moins transparentes, qu'il concocte à l'écart du pays réel, il tirera la Guinée de l'enlisement. Son meilleur allier pour le faire ,ce n'est ni l'Europe, ni l'Asie, ni en l'Amérique mais le corps social , tout le corps social du pays réel en Guinée et son adhésion comme en 1958-1960. L'activisme de tous les manoeuvriers subalternes de l'entourage présidentiel ne constituera que des entraves à la claire vision des choses.
 
Et l'enlisement se poursuivra si...
 
Si la stratégie de changement,annoncé par le candidat Alpha Condé, ne trouve pas un début de mise en place visible par tous,c'est sa crédibilité qui posera et qui pose déjà questions, aussi bien en Guinée qu'à l'étranger. On l'a déjà écrit, le changement, dans l'état structurel mental et physique de la Guinée d'aujourd'hui ne peut pas être l'effet d'une baguette magique mais,on ne l'a pas suffisamment dit, par des symboles: des hommes et des femmes nouveaux (venus de l'intérieur et de l'extérieur du pays), un début de style nouveau de gouvernance . Une telle démarche aurait, sans doute, montré au citoyen lambda que le changement s'annonce et aurait même attiré des électeurs. Mais c'est par calcul tacticien, à court terme, pour les élections législatives, que le Président a appelé auprès de lui des hommes qu'il avait tant dénoncés sous Lansana Conté comme étant les responsables de la catastrophe du pays, c'est à l'installation de tout le protocole désuet d'Etat et c'est à la progression rampante d'une forme de dictature qui n'a pas encore jeté le masque qu'on a assisté: utilisation abusive des moyens d'Etat pour le Parti au pouvoir et ses partisans (RTG, par exemple), apparente indifférence de l'Etat quand des militants de l'opposition sont victimes de condamnations abusives « pour attroupement », autrement dit pour droit de réunion. Cette fuite en avant ne mènera pas à la réconciliation et par conséquent pas à un quelconque changement. Mais l'enlisement du pays n'en pourra que se poursuivre.

Le champ ouvert de plus en plus à des erreurs de gouvernance

Au nom des traditions, c'est l'inquiétant retour à des pratiques des temps très anciens comme variables dans la gouvernance d'un Etat au XXIe siècle,qui conduira à la multiplication des erreurs dans la gouvernance en Guinée. C'est le recours inutile , pour résoudre des problèmes d'un Etat de ce siècle à des consultations occultes de la part de ceux qui doivent gouverner rationnellement qui constitue leur extrême point faible; bref, tout le monde à recours à l'ignorance. Qui, de haut en bas de la hiérarchie gouvernementale, n'a pas ses marabouts et ses féticheurs qu'il consulte fréquemment? Ceux-ci n'ont jamais cessé, dans des incantations, de promettre monts et merveilles pour le bonheur du Président et du pays. Cela fait 53 années qu'on attend toujours ce bonheur! Mais le drame pour la Guinée est que les prédictions des oracles que je viens de citer,sont à la source de bien des erreurs que nos gouvernants continuent de cumuler. C'est bien d'un drame national qu'il s'agit. Les enfants du pays qui sont allés sous d'autres cieux s'éduquer, se frotter à d'autres cultures, pouvaient, pensait-on, tirer le meilleur du bon sens populaire formulé par « les voyages forment la jeunesse ». Mais certains, au retour au pays, ont oublié ou presque tout ce qu'ils ont appris ou vu, préférant entendre sur leur passage: « ah! Celui-ci est un bon, il n'a pas changé ». Or tout en respectant les meilleurs aspects et dynamiques des pratiques sociales de leur propres cultures, savoir en mettre au rancart pour être dans la marche des nations vers plus de progrès humain, c'est cela aussi aider son pays. Mais, plus concrètement, c' est au spectacle de ce qui se vit en Guinée avec les recours aux archaïsmes dont quelques- uns ont été rappelés et la persistance de despotismes surannés dans la sphère gouvernementale,et qui sont autant d'obstacles à l'évolution du pays, qu'il faut que les Guinéens engagés dans la politique active, s'organisent. Le temps des leaders « démiurges » des indépendances africaines est révolu. Ce qui se passe en Guinée n'est que la reproduction de schémas politiques vermoulus. Au delà des problèmes de personne, l'opposition politique doit s'organiser solidement pour sauver la nation. Ce n'est pas le bricolage politicien en cours qui le réussira.

Ansoumane Doré (France)

Ansoumane Doré

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