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Le Hafia et le football total

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Dans mon article « ce sont eux qui étaient des footballeurs », j’ai dit que le Hafia pratiquait le football total avant le barça et un de nos compatriotes trouve l’affirmation mensongère et affirme que le football total est une philosophie que le Hafia ne pratiquait pas. Il enfonce le clou par ceci « Vous savez le problème chez nous en Guinée, c'est la tendance à exagérer et surtout à nous glorifier des faits moins glorieux. »

Comme je ne suis pas fort dans les petits commentaires sur les articles, je préfère alors écrire un texte pour mieux étayer mes propos pour un débat d’idées.

Alors voici quelques interviews des joueurs du Hafia qui me serviront dans mon analyse.

 

Djibril Diarra dit «  le Hafia était une grande équipe ; pourquoi une grande équipe de football ? Parce que tous ceux qui ont appartenu à cette équipe sont arrivés au moins au secondaire…, au seuil de l’université ; c’est très important. Cela veut dire que ce sont des gens capables de réfléchir ».

 

Chérif Souleymane dit « il y avait au sein du Hafia un groupe choc qui était capable de faire des analyses ; composé pas peut être d’intellectuels mais de gens qui réfléchissaient un peu pour donner une ligne de conduite à l’équipe ; alors on s’est dit qu’il fallait faire quelque chose pour notre pays pour une résonnance internationale et c’est ainsi que nous avons décidé la conquête des trophées »

 

Jacob Bangoura « il y avait l’amitié, il y avait la franchise, chacun de nous était pour son prochain ; que ce soit à l’internat que l’on faisait, à l’époque on pouvait y rester un mois   sans que l’on puisse aller à la maison ; il y avait parmi nous des mariés et certains avaient des enfants mais l’ambiance qu’on avait créée parmi nous, on était même pressé quand on était en ville, de nous dire, vous rentrer à l’internat tel jour. La force était là-bas et on s’aimait »

 

Mon analyse : avant de vous livrer mon analyse, je dois dire que ma passion pour le foot ne date pas d’hier ; mon père à joué au foot et presque tous ses enfants y compris une de mes sœurs Madeleine qui a fait parler d’elle sur des stades, à Cuba ; je me suis bien débrouillé à mon niveau et je crois avoir une bonne lecture du jeu.

Le plus doué de nous tous, Etienne s’est noyé à Toulouse (paix à son âme), il n’a donc pas eu l’occasion de réaliser son rêve : devenir professionnel.

 

C’est après sa noyade que celui qui vient après lui, Moussa avait décidé d’être pro ; il fut recruté dans le centre formation de St Etienne, puis de celui de Bastia dans lequel il fut le meilleur buteur de son équipe. Il a joué quelque peu dans le Syli national espoir avec Pascal Feindouno (son ami) avant de décrocher sur blessure et autres ennuis ; aujourd’hui, il prépare son diplôme d’entraineur en Angleterre.

 

Je suivais de très près le championnat français et les coupes européennes ; tout cela pour dire que je connais un peu le foot et je crois avoir une bonne lecture du jeu ; c’est fort de cette petite expérience, je que suis allé interviewer les joueurs du Hafia.

 

Pour faire une grande équipe, il faut d’abord réunir des joueurs talentueux et le Hafia en avait ; des talents purs. 

Le football étant un jeu collectif donc d’équipe, il faut, pour réussir, une cohésion dans le groupe et cette cohésion existait dans le Hafia grâce à l’amitié ; Chérif Souleymane affirme « je vous dis franchement, on riait, il était très difficile de trouver dans notre groupe, quelqu’un qui pouvait se fâcher et même s’il se fâchait, on était en mesure de le mettre dans l’ambiance ».

 

C’est cette cohésion qui amène la solidarité en dehors et sur le terrain ; Ibrahima Fofana calva dit « je jouais en défense et quand je n’étais pas en forme, ce sont les autres qui me couvraient pour ne pas montrer la faille ; on était solidaire » et Djibril Diarra d’ajouter « il ya avait des émulations, il y avait la diversité mais on était un groupe compact, solide et on avait la même vision ».

 

Dans une équipe, il faut de la discipline individuelle et collective ; Bernard Sylla dit «  au foot, on ne peut pas s’amuser et jouer » et pour ce qui de la discipline collective je laisse la parole à Chérif « quand on découvrait un d’entre nous, entrain de faire de la délinquance, on n’hésitait pas à le faire tendre par quatre gaillards ; on s’imposait une discipline »

 

Sur le terrain, cette solidarité, cet objectif commun, la disponibilité pour les autres au profit de l’équipe et l’envie de surcroit de faire plaisir au peuple de Guinée (ils le disent tous), les poussaient à gagner.

Djibril Diarra d’ajouter «  dans des moments difficiles, nos entraineurs avaient de la peine à former une équipe ; ce sont nous joueurs, en restreint, on se regardait en face pour se dire la vérité ; des critiques et auto critiques pour former l’équipe type qui allait jouer le lendemain et chaque fois que nous l’avons fait, le Hafia est sorti vainqueur. »

 

Petit Sory dit « il y avait six, sept à huit joueurs capables de marquer le but donc quand un couloir était bloqué, il y avait toujours une solution pour marquer ; voilà pourquoi, il était presque impossible d’arrêter le Hafia ».

 

Talentueux et polyvalents, ces joueurs n’hésitaient pas à accepter un  poste assigné pour le bien collectif ; en 1972, Morciré Sylla était gardien de but contre le Simba Club de l’Ouganda, il jouait avant centre, milieu, stoppeur et il fut libéro au triplé en 1977.

 Chérif Souleymane, avant centre finira libéro ; en tout cas il l’était quand le Syli National (ossature Hafia), à joué la coupe d’Afrique des Nations en Ethiopie en 1976.

 

Monsieur Mamady Camara à l’époque Directeur des sports, raconte ces anecdotes « à Kampala, j’étais dans les tribunes ; quand le Hafia a marqué, le président Idi Amine a dit professional ; je n’étais pas loin derrière lui et en fin de rencontre, le public ougandais applaudissait le Hafia. Une autre anecdote, nous étions justement à Kampala, quand il y a eu le tirage au sort de la coupe des nations ; quand on s’est retrouvé dans la même poule que l’Egypte, les joueurs ont dit que l’Egypte les avait battu 4 à 2 au Soudan ; qu’ à la prochaine rencontre, qu’ils n’auront besoin ni d’entraineur, ni d’encadreurs ; les égyptiens seront onze et eux onze aussi sur le terrain ; qu’ils vont les mettre le même score et effectivement le jour dit, la Guinée gagna  4 à 2 contre l’Egypte. Je ne peux oublier tout cela ; Vous savez, à un moment donné dans l’histoire d’un pays, on se retrouve avec une génération exceptionnelle et ces joueurs sont de celle là ; je connais beaucoup d’histoires que je vais vous raconter ».

Malheureusement, il n’était plus de ce monde quand je suis allé en Guinée ; paix à son âme.

 

L’équipe c’était forgée un concept de jeu, une tradition de l’offensive donc de la gagne qui était appliquée sur tous les terrains ; en finale de 1975 Jacob Bangoura dit « on voulait gagner au match aller, tout comme au retour » ; Le Hafia a gagné ses trois coupes en battant ses adversaires à l’aller comme au retour.

Leur tradition de jeu était pratiquée sur tous les stades peu importait l’adversaire et le lieu. Au Suruléré stadium de Lagos, devant plus de cent mille spectateurs, Papa Camara dit «les nigérians ont marqué en premier ; nous n’avons pas paniqué et nous avons continué à faire notre jeu» ce qui démontre le mental de l’équipe et la confiance en leurs possibilités.

 

Quand une équipe gagnait à domicile, elle n’était jamais rassurée puisque le Hafia pouvait à tout moment renverser la vapeur ; mené 0-2 à Kinshasa contre le Vita club, le Hafia le remporta 3-0 à Conakry ; mené 0-3 à Bouaké contre l’ASSEC d’Abidjan, le Hafia le remporta à Conakry 5-0 ; en 1972, mené 2-3 à Lumumbashi contre le TP Mazembé ; tenez vous bien, cette équipe déclara forfait le jour du match à Conakry d’où ce titre d’un journal zaïrois « forfait bête du TP Mazembé »

 

Quand le Hafia devait jouer dans un pays donné, des supporteurs quittaient tous les pays limitrophes pour les voir jouer ; Ousmane Bangoura Garinche raconte « l’on avait joué un match contre le Ghana à Accra et perdu deux buts à un, des supporteurs venus des pays limitrophes vinrent nous voir en pleur dans les vestiaires pour dire que nous avons refusé de jouer ; alors nous étions étonnés, contre une équipe du Ghana ! Refuser de jouer ! C’est pour vous dire la confiance que ces supporteurs avaient en nous ».

La philosophie de la victoire était si forte qu’une perte était toujours douloureuse « nous étions outrés, frustrés, quand on perdait un match de football » dixit Chérif Souleymane.

 

Si le football total est une tradition, une philosophie de jeu pratiquée par une équipe, quelque soit les circonstances et les lieux, alors je dis sans risque de me tromper que le Hafia  a bien pratiqué l’a bien avant le Barça. Eh oui, l’occident n’a pas le monopole des bonnes choses.

 

De 1972 à 1978, le Hafia a joué cinq finales de la coupe des clubs champions ;  trois gagnées (en 1972, 1975 et 1977), en remportant à chaque fois à domicile et à l’extérieur ; de 1975 à 1978, ils ont joué quatre finales consécutives ; combien d’équipes dans le monde peuvent se glorifier d’un tel parcours sur leur continent ?

 

Alors quand notre compatriote dit « Vous savez le problème chez nous en Guinée, c'est la tendance à exagérer et surtout à nous glorifier des faits moins glorieux » ; je me demande bien, si tous ces faits cités sont moins glorieux, qu’est ce qui est glorieux aux yeux de ce compatriote.

 

Moi je dis, que le problème en Guinée, pour certains, est de ne pas avoir de la considération pour ce qui est guinéen.

 

Quand j’ai écris que Petit Sory fut élu meilleur ailier droit devant Jairzinho du Brésil, un jeune me demanda de raconter les histoires du Hafia sans chercher à embellir, comme si dans le football, un guinéen ne pouvait pas faire mieux qu’un brésilien ; ce fut le cas pourtant en 1972 au Brésil.

 

Dans la musique par exemple ; quand le Bembeya Jazz alla jouer à Cuba, Aboubacar Demba Camara interpréta si bien la célèbre chanson «  Guantanamera » que son auteur le considéra comme son fils adoptif ; il déclara que de toutes les interprétations, celle de Demba fut la plus proche de l’original.

 

Dans un autre domaine, il y a quelques années, j’avais interviewé à la radio, Mr Mamady Keita djembéfola ; considéré comme le meilleur percussionniste du monde ; il a des écoles au Japon et un peu partout ; il racontait toutes les considérations et les attentions qu’il avait au Japon par exemple mais n’avais eu aucune reconnaissance en Guinée.

Que voulez-vous ; c’est une des marques guinéennes.

 

Mon Tonton à Paris, Jean Jacques Lao, raconte : « j’ai rencontré un marocain dans le métro et dans nos causeries, il a demandé des nouvelles des Maxime et Petit Sory et d’ajouter qu’ils ont été les fiertés de l’Afrique ».

 Eh oui, ce sont les autres qui reconnaissent la valeur de nos héros et nous sommes forts à ne chanter leurs louages que quand ils meurent ; made in Guinea.

 

J’ai une grande passion pour le Hafia mais pas débordante au point d’inventer ou d’embellir quoi que ce soit ; je veux tout simplement transmettre fidèlement leurs témoignages et faire connaître leurs exploits à la nouvelle génération.

 

Justement, il faut d’ailleurs continuer à recueillir ces témoignages parce qu’ils disparaissent un à un et, ceux qui sont là commencent à oublier ; Papa Camara et Jacob Bangoura par exemple ; à un moment donné, ne se souvenaient plus et disaient « il y a tellement longtemps maintenant ou j’ai oublié beaucoup » ; j’ai eu à les rappeler certains faits.

Je laisse le mot de la fin à Ibrahima Fofana Calva « aux jeunes qui ne nous ont pas connu, je veux tout simplement leur dire que nous nous sommes aimés » ; une philosophie que malheureusement, la génération suivante n’a pu perpétuée.

 

Une question pour finir ; connaissez-vous l’attaque pyramidale ? Si oui, bravo ; si non, moi non plus ; c’est Chérif Souleymane qui raconte cette anecdote.

 

 Le président Sékou Touré en fin connaisseur du football, convoquait parfois les joueurs du Hafia pour donner des leçons de foot ; eh oui, sans blague ; un jour donc, il les convoqua pour une leçon dont le thème était «  l’attaque pyramidale ». Je n’invente rien, Chérif Souleymane raconte…

 

Je voulais juste vous donner l’eau à la bouche, la vidéo de cette anecdote sera dans mon prochain article.

Courage, patientez ; lol

Paul Théa

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