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La douleur indocile de Williams Sassine, l’insurgé de Guinée

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La Française Elisabeth Degon ressuscite la destinée singulière de cette figure des lettres africaines dans une biographie très documentée. Non, décidément, Williams Sassine « n’était pas n’importe qui ». Romancier, dramaturge, journaliste, cette figure de la littérature africaine n’aura jamais mâché ses mots et aura été fidèle à son engagement jusque dans la mort.

Décédé à l’aube du 9 février 1997 devant sa machine à écrire alors qu’il s’apprêtait à taper l’une de ses « chroniques assassines » pour le journal satyrique  Le Lynx auquel il collaborait depuis cinq ans, l’écrivain guinéen aura passé sa vie à défendre les gens de peu, les gens de rien, ceux à qui les politiques auront volé les indépendances en usurpant le pouvoir et en confisquant la parole. Lui qui, à 17 ans, aura été envoyé, lors du « complot des enseignants » de 1961, au camp Alpha Yaya où il a passé cinq jours, racontera-t-il par la suite, « sans manger, sans boire,  au soleil de six heures du matin jusqu’à huit heures du soir », aura payé jusque dans sa chair le prix de la liberté.
Un corps affaibli par des années de gagne-petit à se battre pour toucher de quoi vivre alors qu’il est invité dans le monde entier pour parler de littérature. Un corps fatigué et un esprit las, qui se sera réfugié dans l’alcool, au cœur des maquis où, au plus proche du peuple, il aura puisé l’inspiration.

Dans la biographie, extrêmement linéaire mais fort documentée, que lui consacre Elisabeth Degon, Williams Sassine, Itinéraires d’un indigné guinéen (Karthala), l’ancienne bibliothécaire française décrit un homme usé, à la fois ambitieux et modeste, conscient de son talent littéraire – bien qu’il s’évertue à minimiser l’acte créatif – mais prêt à aucun compromis pour le mettre en valeur. Par des anecdotes savoureuses, Elisabeth Degon, qui a rassemblé de précieux témoignages, montre à quel point Sassine pouvait détester l’establishment et la grossièreté des hommes de pouvoir, quels qu’ils soient. Et de nous raconter comment l’auteur, « invité et reçu par l’ambassadeur [de France à Conakry], se permet de lui enlever son cigare de la bouche et de dire : “On vous a appris à recevoir les gens comme ça, le cigare à la bouche ?” ».

« Un des meilleurs de sa génération »

Impertinent, rebelle, qui ne fera partie d’aucun mouvement particulier, Williams Sassine a tiré sa « force de son métissage qui fait de lui un insoumis, un indocile, celui qui ne se plie ni aux dogmes, ni aux idées reçues », estime Elisabeth Degon.

Né en 1944 à Kankan, la deuxième ville du pays, d’un père libanais chrétien maronite et d’une mère guinéenne musulmane, Williams Sassine s’est toujours senti mis à l’index à cause de cet héritage pluriel. Une stigmatisation qu’il évoque à travers le personnage de l’albinos dans Mémoire d’une peau. Et qui aura été sans doute renforcée par l’abandon du père qui a caché son mariage guinéen à sa famille restée au Liban.

Quittant la Guinée, en 1962, pour tenter de poursuivre ses études en France, le jeune homme, extrêmement brillant, connaîtra vingt-huit années d’un long exil, l’entraînant à partir de 1966 sur les routes d’une Afrique nouvellement indépendante à la construction de laquelle il prend part comme enseignant, installé successivement en Côte d’Ivoire, en Sierra Leone, au Niger, au Gabon, en Mauritanie, avant le retour définitif en Guinée en 1988. Sassine a la « bougeotte et partout, il ressent son statut d’étranger ». Il ne parviendra jamais à se sentir chez lui dans cette Afrique qui n’est pas la sienne.


« Celui qui dit : “Tu n’es pas heureux ? Tu es en Afrique, tu n’es pas exilé” oublie que “c’est la Guinée que j’aime et dans la Guinée, c’est Kankan que j’aime et à Kankan, c’est mon quartier et dans mon quartier, c’est la case où j’ai vécu, mais ça on peut pas comprendre ça… et je ne souhaite à personne de vivre cela », expliquera celui qui écrira que la « Guinée est très belle, vue de très loin » tant le retour au pays natal sera douloureux. Pendant son exil, Williams Sassine écrit, beaucoup, et publie un roman tous les trois ans. Le rythme s’interrompt une fois installé à Conakry.

C’est le début de la déchéance. Celui qui partageait le plateau d’« Apostrophes » avec, entre autres, Tierno Monenembo et André Brink lors de l’émission spéciale que Bernard Pivot a consacrée à « l’Afrique noire racontée par ses romanciers » en 1979, se retrouve sans ressources. « On dit qu’il est un écrivain qui compte dans le paysage littéraire, un des meilleurs de sa génération, et pourtant, il chôme. Son humour, son sens de l’observation aigu et décalé sur la vie, distraient et amusent, son intelligence fuse, mais elle perturbe et dérange. Il se retrouve étranger dans son pays. Ce n’est pas ce qu’il attendait ! », écrit Elisabeth Degon, qui plus qu’un portrait de l’auteur du Jeune Homme de sable esquisse celui d’une époque, de la Guinée des années 1960 jusqu’à la fin des années 1990.

« Réalités bouleversantes et inconfortables »

Williams Sassine se fait alors chroniqueur « assassin » de la vie politique, sociale et religieuse de la Guinée. Chaque semaine, dans Le Lynx fondé par des journalistes formés en Côte d’Ivoire, il livre une lecture acerbe et sarcastique de ce pays devenu « un concentré de la sauce du sous-développement, l’arôme Maggi des marmites vides ». Lui qui pensait « écrire en vain » aura profondément marqué le paysage littéraire et intellectuel guinéen en donnant voix aux exclus.

« Lire Sassine n’est pas une évidence, reconnaît Elisabeth Degon, il faut accepter d’entrer dans son monde tourmenté, d’ouvrir les yeux sur des réalités bouleversantes et inconfortables. Son monde n’est pas un monde paisible ni agréable, ni rassurant. Il parle de la souffrance, de la violence, quelquefois de la douceur de la vie. Il faut également accepter de le suivre dans les digressions répétées qui auraient gagné à être rabotés et polies. » Sont-ce ces défauts qui expliquent que l’œuvre de Sassine soit aujourd’hui si peu lue ? Il faut reconnaître qu’elle est peu accessible. Certains de ses ouvrages sont demeurés longtemps indisponibles, d’autres devenus extrêmement rares et coûteux. Un problème auquel Sassine, qui a publié essentiellement chez Présence africaine, aura été confronté durant toute sa carrière.

Par Séverine Kodjo-Grandvaux (contributrice Le Monde Afrique, Douala)

Source: Le Monde

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