Les juristes guinéens sont-ils en vacances ?

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Le mois d'Août est généralement celui des vacances judiciaires, ce qui signifie que les magistrats sont en congés par roulement et seules les affaires urgentes font l'objet d'audiences. Par leur silence assourdissant, j'en déduis donc également que les juristes guinéens sont également en vacances, car j'ai constaté que personne n'avait réagi à la violation des textes par la Cour constitutionnelle.

Pourtant à y regarder encore de plus près dans son nouvel arrêt n°AC 048 du 14 Août 2017, on constate que le président de la Cour constitutionnelle (en réalité le vice-président Mohamed Lamine Bangoura, présenté pourtant comme professeur de droit, sic !!!) s'est davantage enfoncé dans ses « considérant », même si au final sa décision revient à confirmer la validité de l'élection d'un nouveau président de la CENI.

En effet, cette élection n'aurait jamais du faire l'objet d'un recours devant la Cour constitutionnelle, mais seulement devant la Cour Suprême (pour non respect éventuel du formalisme, mais pas sur le fonds), la seule habilitée à trancher ce genre de litige.

 

Une seule réaction, indirecte ???

J'ai lu avec intérêt le papier publié par Guineenews le 11 Août dernier de Youssouf Sylla1, qui se présente comme juriste – je ne le connais pas – et qui se pose des questions sur le rôle joué par la Cour constitutionnelle. Sans faire de la psychologie de comptoir, la véritable question sous-jacente qu'il posait en fait, était de savoir si la Cour constitutionnelle possède réellement les prérogatives qu'on lui prête. Un autre juriste, Mohamed Camara est allé un peu vite en besogne en affirmant que la Cour constitutionnelle était compétente pour régler les problèmes de règlement intérieur2.

J'ai déjà répondu à cette question3, nos textes s'étant croisés, en expliquant que la Cour constitutionnelle n'était pas compétente pour juger des conflits internes d'institutions, ce qui reviendrait à les diriger de fait. Pour préciser l'idée évoquée non seulement dans son texte, mais également par la Cour constitutionnelle, je vais commenter l'article 93 alinéa 4 de la Constitution4, repris par ailleurs dans l'article 37 de la Cour constitutionnelle5, car il est nécessaire de faire quelques précisions.

 

De l'article 93 de la Constitution

L'alinéa 1 de l'article 37 de la loi organique relative à la Cour constitutionnelle signifie clairement que la Cour constitutionnelle doit vérifier – quand elle est saisie – que conformément à la Constitution, tous les pouvoirs (exécutif et législatif, mais aussi judiciaire et institutionnel) ne s'immiscent pas dans les prérogatives de l'un ou des autres.

L'alinéa 2 de l'article 37 ci-dessus est plus restrictif, puisqu'il se limite à la vérification par la Cour constitutionnelle – quand elle est saisie – qu'un des 2 pouvoirs (exécutif et législatif), ne s'immisce pas dans les prérogatives de l'autre.

Enfin l'alinéa 3 dudit article ne concerne que les conflits persistant entre le Président de la République et l'Assemblée Nationale, au sens de l'article 92 de la Constitution.

Nulle part il n'est indiqué ici que la Cour constitutionnelle gère les conflits internes d'une institution, mais seulement les conflits entre institutions. Si on avait voulu qu'elle le fasse, on l'aurait écrit clairement. Or il n'était pas besoin de le faire, puisque les compétences de la Cour Suprême (voir ci-après) sont clairement explicites.

 

D'autres interrogations

Certains internautes ont écrit que la Cour constitutionnelle avait fait référence à l'article 10 de la loi organique relative à la CENI6, pour justifier sa décision. 

On rappelle que selon l'article 15 du même texte, l'Assemblée plénière est l'instance suprême des décisions de la CENI, avec un quorum des 2/3 pour siéger valablement. À partir du moment où l'article 17 dudit texte prévoit que l'Assemblée plénière peut procéder au remplacement partiel ou total du Bureau (donc de son président), sous réserve d'un quorum des 2/3, l'élection d'un nouveau président est conforme.

Dès lors il n'y a ni vacance, ni empêchement (Bakary Fofana n'étant par ailleurs ni décédé, ni démissionnaire). En outre Bakary Fofana demandait à la Cour constitutionnelle l'annulation d'une décision de l'Assemblée plénière, et non de constater qu'il était empêché.

De la même façon, ceux qui invoquent l'article 18 de la Cour Constitutionnelle7, qui stipule qu'elle peut statuer sur le règlement intérieur de la CENI, oublient de lire la fin du texte, qui précise que cela ne se fait que par rapport à la Constitution. Autrement dit est-ce que le règlement intérieur - le texte - respecte la Constitution en général et la loi organique sur la CENI en particulier ? Il ne s'agit pas de vérifier si tel ou tel - des personnes - applique correctement ou pas le règlement intérieur.

 

Une nouvelle violation de la Constitution

Je l'ai dit précédemment, la Cour constitutionnelle ne peut interférer dans le fonctionnement interne d'une institution, en l'occurrence ici la CENI, mais seulement pour trancher tout litige entre institutions. C'est écrit clairement dans l'article 93 de la Constitution précité.

L'arrêt proprement dit de la Cour constitutionnelle, est suffisamment clair pour qu'il ne soit pas utile de s'appesantir sur certains arguments avancés par Bakary Fofana en toute incompétence et/ou mauvaise foi. D'ailleurs la Cour constitutionnelle y répond très laconiquement, en s'attardant surtout sur le problème des procurations. Je ne ferai pas de commentaires puisque le quorum de 16 commissaires « accepté » par la Cour constitutionnelle pour leur permettre de décider en toute légalité, lui permet de décider souverainement. Il y aurait pourtant beaucoup de choses à dire sur le formalisme des procurations, mais c'est un autre sujet.

Que dit la Cour ?

Il y a lieu de s'attarder sur 2 points de l'arrêt :

  • d'une part la recevabilité du recours de Bakary Fofana,

  • d'autre part l'une des conclusions de la Cour.

 

 

La recevabilité du recours de Bakary Fofana

La Cour constitutionnelle rappelle l'article 93 alinéa 4 de la Constitution précité et en déduit à tort de manière scandaleuse et honteuse – je ne trouve pas d'autres mots -, la recevabilité du recours, aux motifs que la Constitution conférerait à la Cour une compétence générale pour régler « tout conflit de compétence entre les institutions républicaines – c'est vrai – ou tout dysfonctionnement en leur sein ». Or la compétence de la Cour constitutionnelle pour des conflits internes n'est écrit nulle part et en l'affirmant la Cour viole la Constitution en se créant une prérogative qu'elle ne possède pas. Or toute institution – y compris la Cour elle-même – tire son existence et sa légitimité d’un texte. La compétence d’attribution est claire, et il n’y eût même pas besoin d’un Tribunal des conflits inexistant en Guinée.

Le règlement intérieur de la CENI est conforme à la loi organique, elle-même fidèle à la Constitution. Le contrôle de constitutionnalité ne vise que des textes et non des individus, dès lors tout conflit lié à l'application du règlement intérieur (et non sa conformité) ressort de la Cour Suprême. Cette dernière existe toujours, et c'est elle qui tranche les conflits judiciaires et administratifs. Selon l'article 4 de la loi qui la régit : « la Cour Suprême est juge de l'excès de pouvoir des autorités exécutives ». Or dans ce cas de figure, la question était de savoir si l'Assemblée plénière de la CENI avait le pouvoir de destituer son président. Bakary Fofana ne cherchait d’ailleurs qu'à annuler cette décision essentiellement pour des motifs formels, sa mauvaise foi à évoquer la mauvaise application de l’article 17 sur le fonds n’a reçu qu’une simple réponse à relire ledit article.

 

La décision de la Cour

Pour conclure, la Cour constitutionnelle déclare conforme à la Constitution la procédure de convocation, la tenue et les décisions de l'Assemblée plénière extraordinaire de la CENI du 4 Juillet 2017. C'est une incongruité, car il n'est nullement décrit dans la Constitution la procédure de fonctionnement des institutions de la CENI. Même si quelques rares articles de la Constitution – dont l'article 93 - sont relatifs à la CENI, seuls les articles 132 et 133 l'évoquent et on n'y parle pas de la destitution du président de la CENI par l’Assemblée plénière.

En fait, c'est la Cour Suprême qui aurait du déclarer conforme au règlement intérieur (et non à la Constitution), la procédure de révocation du président de la CENI, telle qu'indiquée ci-dessus.

 

Petite digression sur l'avenir de la CENI

Il y a plusieurs réflexions à faire sur le fonctionnement passé et actuel de la CENI. D'abord on notera avec honte également, que le site web de la CENI n'est même pas à jour, puisque, et le règlement intérieur, et la loi organique sur la CENI de 2012 - ce sont ceux de 2007 -, n'y figurent toujours pas à ce jour.

Je ne reviens pas sur les raisons, qui ont motivé les commissaires pour débarquer Bakary Fofana, elles sont bassement matérielles et ne sont pas relatives aux violations électorales passées de l'institution, dont tous les commissaires sont complices.

Au sens juridique du terme, le nouveau président de la CENI, mais également tous les autres commissaires, y compris ceux nommés par l'opposition, sont donc des escrocs et ils ne pourront pas s'exonérer de leur responsabilité, dans la mesure où à aucun moment, ils n'ont exigé de comptes, en mettant en œuvre par exemple, la possibilité d'audit interne tel que défini par l'article 23 de la loi organique sur la CENI. Ils sont donc en effet mal venus de stigmatiser la gestion financière de Bakary Fofana, alors qu'ils en sont les premiers complices. L’indignité ne tue pas !!!

Dès lors avec une CENI composée de gens malhonnêtes - aucun n’a démissionné pour protester contre les dérives de l’institution -, que l'opposition ne combat même plus, davantage préoccupée par ses petits intérêts égoïstes que par le respect de l'état de droit, qui consisterait pourtant à dissoudre ce nid de brigands. Comment l’opposition peut-elle même oublier qu'elle ne pourra pas obtenir ce qu'elle souhaite, de la part de bandits notoires, dont le seul intérêt pécuniaire prime, ils l'ont prouvé en cette occasion. Il faut commencer par nettoyer les écuries d’Augias, avant de faire des rêves improbables.

Que peut-on espérer par ailleurs d'une Cour constitutionnelle, qui s'est décrédibilisée dans cette affaire, et où aucun homme politique8 n'est intervenu pour exprimer sa honte ?

 

Gandhi, citoyen guinéen

« Dans tout État libre, chaque citoyen est une sentinelle de la liberté qui doit crier, au moindre bruit, à la moindre apparence du danger qui la menace ». (Robespierre, Discours sur la liberté de la presse, Mai 1791).

 

1https://guineenews.org/guinee-crise-au-sein-de-la-ceni-les-curiosites-de-larret-de-la-cour-constitutionnelle/

 

 

3http://guineeactu.info/debats-discussions/tribunes-libres/7321-la-cour-constitutionnelle-hors-la-loi-.html

 

4« la Cour Constitutionnelle est ... l'organe régulateur du fonctionnement et des activités des pouvoirs législatif et exécutif et des autres organes de l'État ».

 

5« la Cour constitutionnelle veille à la séparation et l'équilibre des pouvoirs afin que ni l'Exécutif, ni le Législatif, ni aucune Institution constitutionnelle ne s'arrogent des prérogatives non conférées par la Constitution.

La Cour veille à distinction entre le domaine législatif, qui appartient à l'Assemblée Nationale, et le domaine réglementaire, qui appartient au Pouvoir exécutif pour maintenir chacun dans le champ d'exercice des attributions et prérogatives fixées par la Constitution.

En cas de désaccord tel que prévu à l'article 92 de la Constitution entre l'Exécutif et l'Assemblée Nationale, survenu avant la troisième année de législature, la Cour Constitutionnelle tranche le litige ».

 

6« en cas de vacance consécutive au décès, à la démission ou à toute autre cause d'empêchement définitif d'un Commissaire constatés par la cour constitutionnelle, saisie par le Bureau de la CENI, il est procédé à son remplacement dans les mêmes conditions que celles de sa désignation pour le reste du mandat en cours.
Dans les cas d'absence ou d'empêchement temporaire du Président, celui-ci désigne à tour de rôle, un des vice-présidents pour assurer l'intérim.
En cas d'empêchement consécutif au décès, à la démission ou à toute autre cause d'empêchement définitif du Président, il est procédé dans les 15 jours à son remplacement dans les mêmes conditions que celles de sa désignation, pour le reste du mandat de commissaire.
Il est procédé dans les 8 jours de ce remplacement, à l'élection d'un nouveau président parmi les commissaires issus de la société civile. Pendant cette période, l'intérim est assuré par le doyen d'âge parmi les commissaires issus de la société civile.
Le doyen des vice-présidents préside la séance de l'Assemblée Plénière consacrée à l'élection du nouveau Président
 ».

 

7« La Cour Constitutionnelle statue sur … le règlement intérieur de l'Assemblée Nationale,... de la Commission Électorale Nationale Indépendante, ... quant à leur conformité à la Constitution »

 

8Il est vrai qu'Aboubacar Sylla s'est exprimé sur la CENI, mais sans qu'on sache vraiment ce qu'il reprochait à la Cour constitutionnelle, car la Cour Suprême – si elle avait été saisie – peut, en cas de conflit entre instances internes d'une organisation, prendre des décisions, y compris la nomination provisoire d'un tiers pour présider l’instance en question.

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