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Marie-Paule Huet veut «ramener les adolescents au livre»

Enteteganndal

Les éditions Ganndal à Conakry ont reçu le 3 avril 2017 le prestigieux prix du meilleur éditeur jeunesse en Afrique au salon de Bologne, en Italie. Cette maison d'édition, âgée de 25 ans, a lancé il y a quelques années une collection en direction des adolescents. Son quatrième titre, entièrement fabriqué à Conakry, est paru le 13 avril dernier.

A l'heure où l'Unesco a décerné à Conakry le titre de «Capitale mondiale du livre», Ganndal est l'une des rares maisons d'éditions guinéennes visibles sur la scène internationale. Rencontre avec sa directrice littéraire, Marie-Paule Huet.

RFI: Vous publiez le quatrième roman de votre collection Gos & Gars. C’est une collection que vous avez lancée pour la jeunesse. Est-ce que c’est un défi, dans un pays comme la Guinée, que de se lancer dans la littérature pour les adolescents ?

Marie-Paule Huet: C’est un défi, mais je pense qu’il faut commencer par développer la lecture chez les enfants et chez les adolescents si on veut pouvoir changer les pratiques des adultes.

Et vous avez donc choisi justement de développer la littérature chez les adolescents en leur donnant d’abord une littérature qui les intéresse, c’est-à-dire en réfléchissant bien aux thématiques et en faisant tout un travail, en amont, sur ce qui pourrait plaire à ces consommateurs parce que ce sont des livres qu’on achète.

Oui. Est-ce que vous aimez lire les livres qui vous barbent ? Non. Vous les abandonnez. Eh bien, je crois que les enfants c’est la même chose. Ils ont des livres à lire qui sont tout à fait remarquables. Tous les livres du programme scolaire, ce sont des grands auteurs. Vous avez Ahmadou Kourouma, Camara Laye… Il n’y a rien à redire sur la qualité littéraire. En revanche, les enfants sont incapables de lire ces livres-là parce que leur accès à la langue française est limité, on va dire tardif. Ils apprennent le français à l’école, au CP, et ils apprennent à lire en même temps qu’ils apprennent la langue. Par conséquent, ils n’arrivent à avoir vraiment la maîtrise de la langue française qu’à la fin de leur terminale. Entre les deux, ils ânonnent.

Pour leur faire prendre conscience que la lecture peut être un plaisir, il faut donc d’abord leur donner des choses qui vont leur permettre d’utiliser cet outil qui est le déchiffrage – ce qu’ils pratiquent à l’école et c’est très bien – mais il faut aussi leur donner des choses à lire pour qu’ils aient conscience que ce mécanisme est utile et peut apporter du plaisir. Donc, le but de notre collection Gos & Gars pour les adolescents, c’est de les ramener aux livres – le problème est le même dans tous les pays du monde, des adolescents décrochent avec la lecture – en leur montrant qu’il y a des histoires qui sont intéressantes, faciles à lire et qui les concernent.

Conakry est capitale du livre de l’Unesco. Le secteur de l’édition est très embryonnaire à Conakry. Je pense qu’on recense trois grands éditeurs dont votre maison Ganndal et l’Harmattan Guinée. Qu’est-ce qu’il faudrait, selon vous, pour développer le secteur de l’édition en Guinée ?

Il faudrait peut-être, de la part des éditeurs, une formation complémentaire. Beaucoup de gens se disent éditeurs sans avoir les premiers éléments de la formation et cela donne des produits qui ne sont pas très beaux, au final. C’est dommage parce que le contenu peut être très intéressant.

Ensuite, je pense que l’Etat aurait un rôle à jouer là-dedans. Nous avons, par exemple, énormément de difficultés pour imprimer en Guinée. C’est une lutte parce qu’au niveau économique, ce n’est pas rentable d’imprimer ici. Nous n’avons pas de papier ni d’encre. Il faut donc importer tous ces produits et les taxes douanières sont aussi élevées que sur les alcools ou n’importe quel autre produit de luxe.

C’est-à-dire qu’il est plus rentable d’imprimer les livres à l’étranger ?

Oui. Cela ne nous coûte pas plus cher. Le prix de revient du livre est moins cher au Sénégal qu’en Guinée. C’est compensé parce qu’il y a le transport et les taxes douanières à payer mais autrement, ce serait moins cher objectivement. Peut-être aussi parce qu’il y a une meilleure politique du livre au Sénégal. Ils ont compris que le livre était un secteur important de l’économie, de l’éducation et du développement. Ce n’est pas le cas en Guinée. Pour l’instant, on en est à se dire:  « Si on supprime les taxes douanières sur les intrants, eh bien, on va prendre des rentrées d’argent dans le budget, et donc est-ce que ça vaut vraiment le coup ? ».

Si un Etat n’est pas capable de subventionner ce secteur, il ne pourra jamais avoir une jeunesse instruite qui ait envie de rester dans le pays.

Est-ce que c’est une réflexion que vous allez engager au cours de cette année de « Conakry, capitale du livre » avec les pouvoirs publics ?

Oui. Je pense qu’elle est déjà engagée. Il y a des études qui ont été entreprises pour analyser la situation, en vue d’une politique nationale du livre. Maintenant, il faut que l’Etat ait la volonté de prendre des décisions qui se traduisent en lois - en législation - pour faire avancer le problème. Tant que l’on est uniquement dans les textes d’intention, les recommandations – ce qui a déjà été fait, il y a vingt ans – on ne débloquera pas le problème. C’est la responsabilité de l’Etat.

L’Etat pourrait aussi intervenir au niveau du soutien à l’édition. Il n’y a aucune subvention à l’édition. Même si l’Etat peut nous dire qu’il n’a pas d’argent - on veut bien le croire - il pourrait avoir des recommandations de lecture. Cela se fait dans un tas de pays autour de nous.

Qu’est-ce qu’une recommandation de lecture ?

Eh bien, parmi les livres qui sont publiés dans une année, l’Etat va choisir un, deux ou trois manuscrits en disant « Voilà, ces trois livres, on va les recommander en lecture pour les élèves de telle et telle classe ». L’Etat ne donne pas d’argent dessus mais cette incitation à la lecture fait que les gens vont acheter ces livres pour leurs enfants. Du coup, les éditeurs prennent le risque de les éditer.

 

Olivier Roger

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