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Un résumé sur la CEDEAO pour mieux apprécier sa décision de suspension de la Guinée

Les soutiens du Président sénégalais et du Guide de la Révolution libyenne n’ont pas suffi. La Guinée est suspendue des instances décisionnelles de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO).

Pour comprendre cette décision, nous nous proposons de faire un survol historique de l’organisation sous-régionale ouest-africaine afin de mieux cerner ses principes fondateurs, d’évoquer l’avènement de la problématique de la paix et de la sécurité au coeur des préoccupations de la Communauté avant d’aborder la portée de cette décision de suspension de la Guinée et l’analyse critique qu’on peut en faire.

I. Bref exposé sur la CEDEAO et ses principes fondateurs

La Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest est une organisation internationale sous-régionale regroupant quinze Etats de l’Afrique occidentale (après le retrait de la République islamique de Mauritanie en 2000). Elle a été fondée à l’initiative de feu le Général Eyadéma GNASSINGBE qui lança une consultation au niveau des Chefs d’Etats de la Sous-région, en 1972, en vue de la constitution d’un ensemble économique subrégional pour faire face aux défis du développement économique que les Etats, pris individuellement, sont incapables de relever. Ces consultations ont abouti à la signature du Traité constitutif de la CEDEAO en 1975 à Lagos.

Comme l’indique sa dénomination, la CEDEAO est, et reste une organisation à caractère essentiellement économique, même si elle s’est dotée, ces dernières années, d’institutions supranationales (un Parlement et une Cour de Justice) qui lui octroient une dimension politique indéniable. Ses principaux objectifs, tels que définis par son Traité constitutif, lui-même révisé en 1993, sont la création d’un espace économique dont la libre circulation des personnes, des biens, des services et des capitaux est assurée par la suppression progressive des restrictions quantitatives à l’entrée des marchandises en provenance des autres pays de la Communauté, la levée des droits de douane et des taxes d’effets équivalents et des barrières tarifaires et non tarifaires ainsi que la garantie de droit de résidence et d’établissement.

Mais plus de 15 ans après sa fondation, l’organisation restait au point mort. Cet état de fait était dû, notamment, aux sempiternelles querelles de leadership et de la différence d’orientation économique et politique sur fond de la Guerre froide et de la confrontation Est-Ouest. Les années 1990 allaient ajouter à cela l’apparition d’un nouveau phénomène que constituent les conflits armés internes (guerres civiles). D’où la prise en compte de cette nouvelle réalité par les Etats membres en vue de poursuivre et d’atteindre les objectifs initiaux de leur organisation.

II. La prise en compte de la problématique de la paix et la sécurité entant que facteur indissociable du développement économique et social

La véracité de la trilogie Paix-Sécurité-Développement n’est plus à démontrer. L’Afrique de l’Ouest en a fait l’amère expérience tout au long des années 1990 avec l’embrasement de la sous-région qui commença par le Liberia.  Mais ce qui est particulièrement intéressant par rapport à la CEDEAO entant qu’organisation régionale, c’est qu’au moment où éclatait la guerre du Liberia, en décembre 1989, l’organisation n’était dotée d’aucun dispositif juridique lui permettant de faire face à une telle situation. Car les accords qui existaient à cette époque là, se limitaient à un Traité de non-agression signé en 1978 à Freetown et un Accord d’Assistance mutuelle en matière de Défense, mis en place en 1981 dont la disposition charnière a la même formulation que l’article 5 du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN), c'est-à-dire que toute attaque extérieure à l’encontre d’un Etat membre de la Communauté est considérée comme une attaque à l’encontre de la Communauté tout entière. Mais cet accord ne prévoyait rien quant aux conflits d’ordre interne. Il a donc fallu un aménagement spécial, un accord ad hoc, pour constituer la force d’interposition de la CEDEAO, connue sous le nom de l’ECOMOG (Ecowas Cesse-fire Monitoring Group- Groupe d’observation de cessez-le-feu de la CEDEAO), signé en 1990 à Banjul.

C’est le constat de ce vide juridique, exacerbé par l’embrasement de la Sierra Leone en 1991, qui a déterminé les dirigeants de la CEDEAO à procéder à une révision substantielle de son Traité constitutif, en 1993, afin de renforcer non seulement la capacité institutionnelle de l’organisation pour l’avancement de l’intégration économique pour faire face à la nouvelle donne héritée de la chute du Mur de Berlin, dominée par la mondialisation de l’économie et de la globalisation financière qui marginalisent les économies faibles, mais aussi de la doter d’arsenaux juridiques, avec un processus décisionnel assoupli, pour répondre aux défis conflictuels de la sous-région

Sur le plan de la paix et de la sécurité sous-régionales, les principales innovations apportées par la révision de 1993 se trouvent dans l’art 58, qui engage les Etats membres à coopérer avec la Communauté pour l’établissement et le renforcement des mécanismes appropriés en vue de la prévention à temps, la gestion efficace et  la résolution durable des conflits inter et intra étatiques. Pour traduire cette disposition cardinale en un engagement résolu, les décideurs ont élaboré un protocole, faisant partie intégrante du Traité, et dénommé «Protocole sur le Mécanisme de Prévention, de Gestion, de Règlement des Conflits, du Maintien de la Paix et de la Sécurité», adopté le 10 décembre 1999 à Lomé (que nous désignerons par le terme Mécanisme).

Ce Mécanisme met en place des procédures institutionnalisées de règlement des différends, allant de la création d’un système d’alerte précoce, à l’envoie des personnalités de la sous-région pour conduire des missions de diplomatie préventive, (telle que celle conduite en février 2007, par le Général  Babangida et le Président de la Commission de la CEDEAO, le Dr. Mohamed Ibn CHAMBAS), jusqu’au déploiement des Forces alliées de la Communauté (FAC), qui remplacent l’ECOMOG. Mais malgré le volontarisme à toute épreuve de ses rédacteurs, le Mécanisme ne résout pas toutes les questions liées à la paix et à la sécurité sous-régionale, en ce sens qu’il passe sous silence les causes conflictuelles endogènes découlant de la violation massive et répétée des droits de l’homme et des libertés fondamentales, de la mal gouvernance, de la conquête et la conservation du pouvoir par la force etc.

C’est pourquoi, deux ans après son adoption, le Mécanisme a été complété par un protocole additionnel, désigné sous le nom de «Protocole sur la Démocratie et Bonne Gouvernance, additionnel au Protocole sur le Mécanisme de Prévention, de Gestion, de Règlement des Conflits, de Maintien de la Paix et de la Sécurité», adopté le 21 décembre 2001 à Dakar.

Les principales innovations de ce Protocole additionnel consistent en la définition et la cristallisation d’un certain nombre de principes généraux de droit et de liberté assortis de sanctions. Parmi ces principes, reconnus comme «des principes de convergence constitutionnelle», on peut citer : La séparation des pouvoirs, l’indépendance de la justice, l’interdiction d’accéder ou de conserver le pouvoir par d’autres moyens que des élections libres, honnêtes et transparentes, l’affirmation de la laïcité de l’Etat, la garantie et la protection des droits fondamentaux contenus dans la Charte africaine des Droits de l’homme et des Peuples et les instruments internationaux relatifs aux droits de la personne humaine, la liberté de créer des partis politiques et le libre exercice des activités politiques… Ces principes sont définis comme étant des «principes constitutionnels communs à tous les Etats de la CEDEAO». Dès lors, la violation continue d’un seul d’entre eux peut exposer son auteur à des sanctions. D’où la suspension de la Guinée des instances décisionnelles de l’organisation, pour Coup d’Etat, le 10 janvier 2009. Tout comme il été le cas en 2005 au Togo, suite à la mort soudaine du Général Gnassingbé. La troisième et dernière partie va s’atteler à analyser la potée et la justesse de cette décision de suspension de la Guinée avant de terminer par identifier les faiblesses actuelles de notre organisation.

III. Portée et analyse critique de la décision de suspension de la Guinée des instances décisionnelles de la CEDEAO

Emboîtant le pas à l’Union africaine, la CEDEAO suspend la Guinée de la Conférence des chefs d’Etat et de gouvernement et du Conseil des Ministres, les deux organes principaux de l’organisation. Cette décision de la CEDEAO n’a pas surpris ceux qui connaissent les relations entre l’organisation continentale et les organisations sous-régionales africaines. Car il existe une exigence de conformité ou de non contradiction des actes des organisations sous-régionales par rapport à ceux de l’organisation panafricaine.

Quant à la portée de cette suspension, on dira qu’elle aura pour conséquence, de marginaliser la Guinée, de la priver des ressources indispensables pour entamer les réformes nécessaires à l’amélioration des conditions de vie des populations, et surtout, d’empêcher le nouveau pouvoir d’organiser les élections promises à temps, faute de moyens propres de l’Etat. Ce qui peut conduire à la radicalisation de la junte et à l’exacerbation des tensions économiques et sociales. Cette hypothèse est d’autant plus plausible que la Communauté internationale, du moins ceux qui se désignent d’en être les dignes représentants, s’arrange désormais systématiquement derrière les positions de l’Union africaine pour tout ce qui touche aux questions africaines, notamment en matière de résolution de conflit ou de la prise de sanctions.

On doit se demander à présent si la suspension de la Guinée est fondée en droit.

Pour répondre à cette question, il faut noter, dans un premier temps, que notre pays est signataire et a ratifié tous les traités et protocoles de la CEDEAO, dont le Mécanisme et son Protocole additionnel, qui interdit toute accession ou conservation du pouvoir par d’autres moyens que des élections libres et transparentes. Sur la base de ces principes, on pourrait répondre d’emblée que la prise du pouvoir par le CNDD est contraire aux engagements librement consentis par la Guinée. Et dès lors la suspension de notre pays serait conforme au droit communautaire ouest-africain.

Mais dans un deuxième temps, comme l’ont souligné beaucoup de compatriotes avant moi, en particulier le juriste Ibrahima Sory Makanéra et M. Sy Savané, en tenant compte de certaines circonstances exceptionnelles inhérentes à la situation guinéenne depuis l’expiration du mandat de l’Assemblée nationale, on est juridiquement fondé à donner une réponse contraire. Parce que, premièrement, les élections qui ont mis cette assemblée en place n’étaient ni libres, ni honnêtes, ni transparentes, comme l’exige le Protocole additionnel au Mécanisme. Il faut rappeler que ces élections ont été boycottées par les principaux partis d’opposition, à l’exception de l’UPR, «pour ne pas cautionner une mascarade électorale». Deuxièmement, l’article 1er, lettre C) du même Protocole stipule que «Tout changement anticonstitutionnel est interdit, de même que tout mode non démocratique d’accession ou de maintien au pouvoir». Or, si l’on soutien que la prise du pouvoir par le CNDD n’était pas conforme à ces exigences, la «prorogation» par l’Assemblée nationale de son propre mandat, lui permettant par ricochet de se maintenir au-delà du terme fixé par la loi, est un «mode non démocratique de se maintenir au pouvoir». A partir de là, la thèse du Président sénégalais, Me Wade, est bien soutenable, puisque dès la mort du Général Conté, le pouvoir exécutif n’avait plus d’héritier légal et légitime. La théorie d’effectivité défendue par M. Laafa SOW est, à cet égard, inopérante. Surtout que l’Assemblée nationale et son président d’alors ont activement participé à des manœuvres dilatoires visant à empêcher systématiquement la ténue des élections législatives. Et sur la base de ces faits, l’argument selon lequel les actes posés par l’Assemblée d’alors et le traitement qu’elle recevait à l’intérieur et à l’extérieur de la Guinée avait fini par cristalliser une opinio juris necessitatis, (l’élément essentiel de la coutume entant que source de droit, et qui consiste à se conformer à une pratique répétée en croyant que ce que l’on fait est une obligation juridique), est également insoutenable. Car tout le monde sait que le pouvoir de Conté était porté par les armes des soldats de l’armée. Et la résignation du peuple face à sa dictature ne signifiait absolument pas acceptation. Les évènement de janvier et février 2007 le prouvent suffisamment. Or l’opinio juris ne se crée pas par la violation des principes de droit, soutenue par la violence, elle s’établit, au contraire, par une pratique paisible de bonne foi.

Malgré toutes ces évidences en Guinée,  si l’Union africaine et la CEDEAO se sont obstinées à sanctionner la Guinée (la suspension est belle et bien une sanction, contrairement à ce que l’on lit parfois : «la Guinée suspendue, mais pas sanctionnée»), il faut imputer cela aux faiblesses inhérentes aux organisations africaines qui méritent amplement leur dénomination de «syndicat des chefs d’Etat).

Tout d’abord, nos organisations ont été établies de façon tout à fait occulte et fonctionnent dans une quasi-clandestinité. Les organisations en Afrique sont le fruit de travail des politiques et des experts sans demander l’avis des peuples au nom desquels ils sont censé travailler. Nul, en dehors de quelques spécialistes, ne sait comment sont structurées et comment fonctionnent l’Union africaine et les organisations régionales africaines. Elles restent, jusqu’à maintenant des organisations totalement ésotériques. Or, des décisions aussi importantes que l’établissement des organes supranationaux tels qu’une Cour de Justice et un Parlement dont les actes ont valeur supérieure à ceux des organes nationaux des Etats, devraient faire l’objet d’un mandat clair des peuples concernés. A défaut, les peuples ont le droit légitime d’être suffisamment informés de la portée et du but recherché de chaque acte de nos organisations afin de leur conférer une certaine légitimité démocratique.   

 

Ensuite, selon la théorie générale des organisations internationales, une organisation internationale se définit, entre autres, par l’existence de buts et d’organes propres, distincts de ceux des Etats qui la créent. Or en Afrique, les organisations internationales, tout comme les institutions étatiques internes, se créent et fonctionnent sur la base de la volonté des chefs d’Etats. Ceci se remarque surtout dans le processus de prise de décisions. A titre de comparaison, tandis que le Conseil européen (organe composé des chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union européenne) n’a de fonction officielle, que de dégager l’orientation générale de l’Union européenne, sur laquelle nos organisation viennent d’ailleurs de se calquer, la Conférence des chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union africaine et de la CEDEAO constitue l’organe décideur suprême. Tout va des chefs d’Etat et tout revient à eux. Nos organisations n’ont aucune existence propre. Pour le cas de la CEDEAO, par exemple, le Mécanisme met en place une sorte de «mini Conseil de Sécurité» dénommé « Conseil de Médiation et de Sécurité» qui est l’organe suprême et composé de neuf Etats membres, sans droit de veto ni siège permanent, qui se réunit au niveau des chefs d’Etat, des Ministres des Affaires étrangères et des Ambassadeurs. Mais les décisions importantes, telle que la suspension d’un Etat membre, sont toujours prises par les chefs d’Etat. Or ceci tiennent tellement à leur pouvoir, parfois ni légal ni légitime, qu’ils n’acceptent aucune exception, même justifiée par des circonstances chaotiques internes (qu’ils sont d’ailleurs les artisans principaux), à la prise de pouvoir sans élections. C’est pourquoi les tripatouillages constitutionnels et autres fraudes massives sont tolérés, mais pas un coup d’Etat, même salutaire comme celui de la Guinée. C’est pour éviter, sans aucun doute, de créer un précédent. Car la situation reste globalement la même dans nos Etats dictatoriaux.

En conclusion, il faut souligner que la suspension de la Guinée était prévisible pour celui qui connaît l’Etat d’esprit de nos chefs d’Etat. Si la prise de pouvoir par les armes avec son cortège de morts sur fond de dictature, de mal gouvernance et de violations massives des droits et libertés fondamentaux sont parmi les maux qui gangrènent les sociétés africaines et qu’il faut absolument interdire, il faut noter que si les organisations africaines veulent se faire prendre au sérieux sur ce sujet, elles doivent accompagner cette interdiction par un corollaire conséquent, c’est-à-dire ne pas reconnaître les régimes issus de modifications aberrantes de la constitution pour assurer une présidence à vie ou des farces d’élections émaillées par la fraude, l’intimidation, les bourrages d’urnes etc. Elles doivent donc s’impliquer davantage pour prévenir et éliminer les causes internes de frustrations et de marginalisations de la majeure partie des populations. Cela doit nécessairement passer par une réforme responsable des nos organisations. Cette réforme doit commencer par la participation des peuples africains au fonctionnement des organisations qui décident en leur nom. Il faut, pour cela permettre aux peuples d’élire directement leurs représentants aux différents Parlements et élargir considérablement le rôle de ceux-ci pour en faire de véritables organes de codécision et de contrôle des organes exécutifs, (comme c’est le cas pour l’Union européenne depuis 1979). Pour illustrer le déficit démocratique de nos organisations, il faut noter que les Parlements de l’Union africaine et de la CEDEAO ne sont composés que des parlementaires nationaux et leurs importance se limitent, jusqu’à nos jours, à des prérogatives simplement consultatives. Leurs résolutions ne lient ni les Etats, ni les organes de leurs différentes organisations. Leur doter de véritables pouvoirs de codécision et de contrôle aura pour conséquence de soustraire nos organisations de l’emprise des chefs d’Etat pour en faire des véritables organisations indépendantes et légitimes, qui prennent leurs décisions sans trop d’interférences des palais africains. C’est à ce prix seulement que les coups d’Etat peuvent légalement et légitimement être boutés hors de notre continent. 

Ibrahima SAKOH, juriste à Genève. ikalil2002@yahoo.fr 

 

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