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A Kankan, fief d'Alpha Condé, le meeting de l'opposition saboté

1340805 a4438903bf39d8f1a8d90 d3bf7jpgLe convoi de l'opposant Cellou Dalein Diallo a été bloqué à 120 kilomètres de cette ville stratégique de la campagne présidentielle, qui s'est embrasée dimanche. «J’aime beaucoup Alpha Condé, beaucoup. J’ai vu son rêve pour la Guinée. La création d’emplois surtout. Ce qu’il a commencé, je veux qu’il continue.» 

Longue djellaba noire, calot à larges mailles en plastique jaune, Moussa Bourouma, gestionnaire d’un café du centre de Kankan, deuxième ville de Guinée d’environ 300 000 habitants, s’affaire avec ses trois thermos. Les clients éparpillés sur des bancs sont happés par les clips de la télévision nationale, mixés au crachat des sonos ambulantes, à une semaine de la présidentielle du 18 octobre. Ce commerce, comme presque toute la commune, s’est drapé de jaune, couleur du parti au pouvoir, le Rassemblement du peuple de Guinée (RPG). Son candidat est le président sortant Alpha Condé. Agé de 82 ans, il brigue un troisième mandat, ainsi que le lui permet la nouvelle Constitution adoptée le 14 avril.

C’est dans ce bastion des «RPGistes» que l’adversaire d’Alpha Condé, Cellou Dalein Diallo, président de l’Union des forces démocratiques (UFDG), ambitionnait de tenir un meeting ce dimanche. Les deux hommes s’affrontent pour la troisième fois à la présidentielle. Pour «Cellou», l’équation est simple. La Guinée est divisée en quatre régions naturelles, dont trois sont réputées acquises au RPG. Mais depuis le lancement de sa campagne électorale, le 4 octobre, l’enthousiasme est de mise pour l’opposition.

Electricité deux jours sur sept

Il y a d’abord eu ces tags repérés sur des affiches de l’opposant à Conakry : «Won Cellou Fan Moto» («essayons avec Cellou aussi» en langue soussou, parlée dans la capitale). Mais surtout ce constat sur le terrain «des faiblesses de M. Alpha Condé qui est désavoué par une jeunesse assoiffée de changement», explique à Libération Cellou Dalein Diallo. Lui-même se dit «surpris» «Je ne m’attendais pas à voir un soutien aussi large en Haute-Guinée, avec une vague d’adhésions massives à l’UFDG alors que la région est considérée comme l’électorat captif d’Alpha.» Puis cingle : «Il est incapable aujourd’hui de gagner une élection.»

Ces signes de frustration en Haute-Guinée, fief de la communauté malinké à laquelle appartient Alpha Condé, sont par exemple incarnés par la réclamation, inédite, d’une meilleure desserte en électricité. Elle frémit depuis 2018. Mais le Mouvement citoyen des jeunes pour l’électrification de la Haute-Guinée lui a donné de la vigueur. «Il a été créé en juillet, parce qu’au lieu de cinq à six jours de courant sur sept, on était revenus à deux jours sur sept», détaille un de ses représentants, Moussa Condé, 31 ans. Durant trois mois, le collectif a entraîné des milliers de personnes dans la rue. Et interrogé les promesses de barrages (hydroélectrique et solaire) non concrétisées du président Condé.

Troncs d’arbre en travers de la route

En 2015, la Haute-Guinée avait enregistré les plus forts taux de participation à la présidentielle, selon les données de la Commission électorale nationale indépendante. C’est une étape stratégique dans la tournée de Cellou Dalein Diallo. Sauf que la route qui mène de la forêt, au sud, à la savane de l’ancien empire mandingue n’est pas seulement dégradée. Elle est semée d’embûches. A 120 kilomètres de Kankan, le convoi de l’opposition a été bloqué avec des troncs d’arbre par des jeunes.

«On a vu qu’ils cherchaient la confrontation. On a décidé de rebrousser chemin», résume Cellou Dalein Diallo, replié à Mamou, au centre du pays. Côté RPG, le directoire national de campagne a déclaré avoir «appris avec regret l’établissement de barrières par de jeunes gens», tout en rappelant les attaques, fin septembre, du convoi du Premier ministre en Moyenne-Guinée, région peuplée de Peuls et favorable à l’UFDG.

Lanières en caoutchouc

A Kankan, l’ambiance est vite devenue survoltée ce dimanche midi. En quelques minutes, des commerçants plient boutique. Partis de la maison des jeunes, des centaines de personnes s’élancent en meute. A pied, en moto, en pick-up. Ils sont armés de gourdins, de pierres, de bâtons ou de lanières en caoutchouc, et foncent vers les quartiers est, avec pour cible les habitations de caciques de l’opposition.

Quelques minutes plus tard, ce sont des dizaines de motards en tee-shirt verts, couleur de l’opposition, qui filent à toute blinde derrière eux. Puis surgissent trois pick-up blindés de militaires et deux autres de hauts gradés de la police. Dans le sens inverse, deux hommes convoient tranquillement une machine à coudre. Les actes de pillage et de vandalisme se sont poursuivis toute la nuit, selon une source de l’UFDG, terrée dans sa maison. Il y aurait eu «plus d’une vingtaine de blessés», atteste-t-elle, et les violences se poursuivaient lundi soir avec des barrages érigés dans certains quartiers.

Agnès Faivre envoyée spéciale à Kankan - Guinée

 

Source: Libération

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