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En Guinée, une avocate confrontée à la justice ordinaire

1154731 img 4206jpgMe Halimatou Camara, 32 ans, propose une aide gratuite au nom des «cliniques juridiques» créées en 2015 pour pallier le manque de commis d'office et de moyens financiers. Les motos ne parviennent même plus à se frayer un chemin. Devant le tribunal de Kaloum, quartier administratif de Conakry, un attroupement d’une cinquantaine de personnes paralyse la circulation.

Les slogans fusent : «Libérez Ibrahima !» «Justice à deux vitesses !» «Démocratie !» Ibrahima Sory Camara, militant de l’opposition, vient d’être condamné à dix-huit mois de prison ferme pour diffamation, injures et offense à l’encontre du chef de l’Etat, Alpha Condé.

Prêtant à peine attention à ces protestations, une silhouette fend la foule et se faufile dans le petit bâtiment de deux étages. Autrement préoccupée. «L’audience a déjà une heure de retard, et les détenus n’ont pas encore été extraits de la maison centrale», s’inquiète Halimatou Camara, tailleur de wax (tissu africain) jaune et rouge et escarpins vernis.

Ce lundi-là, cette avocate de 32 ans vient défendre deux prévenus dans des affaires de vol et d’escroquerie. Le pied de grue commence devant le bureau du procureur, où des agents entrent et sortent sans cesse. «Audience reportée, peut-être dans une quinzaine», lâche finalement l’un d’eux. La jeune femme fulmine. «Nos dossiers sont souvent renvoyés et on ne sait pas pourquoi. On a un nouveau code de procédure pénale qui impose des délais minimums, mais rien ne bouge, il y a un dysfonctionnement systémique. Et en attendant, les détentions préventives deviennent arbitraires.» Parmi ses clients, un homme accusé de vol à main armée attend, en prison, sa convocation devant le juge depuis 2007.

1% du budget de l’Etat

Chaque jour, Halimatou Camara consulte les rôles (la liste des affaires qui sont appelées à l’audience) des quatre tribunaux de grande instance de Conakry (pour 2 millions d’habitants) et propose une aide judiciaire gratuite aux plus démunis. Des détenus, des mineurs et des femmes, surtout. Une assistance qui relève des «cliniques juridiques» créées en septembre 2015 par la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH) avec l’Organisation guinéenne des droits de l’homme, l’ONG Même droits pour tous, et financée par l’Union européenne.

«Les avocats de la clinique juridique sont déjà intervenus dans 855 dossiers, assurant la défense de 1 261 personnes. Principalement, ce sont des vols, vols à main armée, et viols», précise Zoé Bertrand, juriste à la FIDH. Non que les avocats commis d’office n’existent pas en Guinée. «Cela est consacré par la loi», affirme le porte-parole du ministère de la Justice, Sékou Keïta, au siège flambant neuf de la chancellerie. Mais il concède : «Il y a peut-être une insuffisance, et un problème de coût.» En 2017, le budget du ministère de la Justice représentait moins de 1% du budget de l’Etat.

Deux jours plus tard, Halimatou Camara revêt enfin sa robe noire. Cette fois, c’est au tribunal de Dixinn qu’elle accourt. La salle d’audience est bondée. D’un côté, le public, une quarantaine de personnes tassées sur des bancs de fines lattes de bois, marinent dans la chaleur moite. De l’autre, une douzaine de prévenus en tenue beige. Sept d’entre eux comparaissent pour «attroupement», dont trois, en sus, sont accusés de «coups et blessures volontaires». Ils ont été interpellés par la brigade anticriminalité à l’issue d’une manifestation de l’opposition, plusieurs mois auparavant. A la barre, un militaire en bermuda camouflage accuse : «Le grand, là, il est sorti avec des cailloux. Le petit aussi est venu, il a crié "khossibili" ["militaire" en langue soussou, ndlr] et l’autre, là, il m’a poignardé.» Mais l’autre partie civile, un maçon, la trentaine, ne les reconnaît pas. «C’était la nuit», justifie-t-il.

Cheveux et voix puissante

«C’est une histoire complètement tirée par les cheveux, assène Halimatou Camara, la voix puissante. A aucun moment, il n’a été démontré que ces personnes, arrêtées dans des endroits distincts, se connaissaient pour justifier l’attroupement. Il n’y a aucun PV d’interpellation, ni de scellé.» Elle obtient la relaxe pour six personnes. «Le petit», à peine 16 ans, s’empresse de déguerpir.

Les réformes se poursuivent dans le secteur judiciaire, avec des avancées : abolition de la peine de mort, transposition en droit national des conventions internationales, et suppression des cours d’assises – inefficaces – dont les compétences ont été transférées en 2016 aux tribunaux de première instance. «Les décisions de justice ont triplé en 2017», se félicite même Sékou Keïta.

«Nous manquons encore de crédibilité», oppose Halimatou Camara, qui file à la maison centrale informer une cliente d'«un nouveau changement dans son dossier». Il s’agit d’une femme de 22 ans accusée de «vol à main armée» par son oncle. Les faits sont avérés. «Elle a volé pour fuir ce tuteur qui la viole depuis qu’elle a 14 ans. C’est l’histoire d’une victime devenue bourreau. Et d’une justice malade», s’afflige-t-elle. Sa cliente est enceinte de 7 mois. Halimatou Camara réussira à obtenir sa liberté provisoire sous contrôle judiciaire, pour lui permettre d’accoucher hors de prison. Une petite victoire, en attendant le procès.

Agnès Faivre

Source: Libération

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