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Guinée : être jeune aujourd'hui à Conakry

Jpg

Malgré ses diplômes, son talent et ses motivations, la jeunesse guinéenne est aujourd'hui désemparée. Oisive et sans emploi, elle crie son ras-le-bol. Le rond-point n'est pas encore embouteillé, ce matin-là. Pendant que les footballeurs vêtus de bleu, pour les uns, et d'orange, pour les autres, prennent d'assaut l'intérieur du rond-point qui fait office de terrain, ceux qui passent leurs journées aux abords de la place circulaire commencent à occuper les lieux.

Bienvenue à Hamdallaye, un quartier populaire de Ratoma, l'une des cinq communes de Conakry. Hamdallaye constitue avec Bambéto, Cosa, Enco 5, Wanindara et Kagbelen ce que les Guinéens appellent communément les quartiers de « l'Axe ».

Un lieu pour tuer le temps

« Je viens de Baylobaya - situé entre le quartier de Cosa et celui d'Enco 5 sur la route « Le Prince », mais souvent je passe ma journée ici », nous apprend Abdoulaye, 33 ans et sans emploi. Comme lui, beaucoup de jeunes se trouvent un lieu pour tuer le temps : oisiveté forcée oblige. « Dans les cafés et les vidéoclubs, c'est rempli de jeunes qui sont là pendant toute la journée. Normalement, un jeune dès le matin, il se prépare pour aller au travail et revenir le soir », constate amèrement Abdoulaye. À Conakry, la jeune population, instruite ou non, est touchée de plein fouet par le chômage. Pour ces inactifs, parfois il n'y a pas d'autres choix que de vivre aux dépens d'une tierce personne. « Je suis marié, mais ce n'est pas facile vu ma condition de chômeur. Quand nos amis travaillent avec leurs taxis, en début d'après-midi, ils viennent nous donner un peu d'argent pour que nous puissions faire nos dépenses quotidiennes », explique Abdoulaye.

Un jeune homme d'une trentaine d'années

Non loin de la mosquée du quartier se trouve le commerce de Mohamed Lamine, un jeune homme d'une trentaine d'années. Selon lui, la jeunesse guinéenne est mollassonne. Malgré la dureté du train-train quotidien, « j'ai envie de lui dire qu'il ne faut pas s'asseoir. Quel que soit le lieu où tu te trouves, si tu n'as pas de boulot, c'est difficile, que ça soit en Guinée ou même aux États-Unis. Il ne faut pas désespérer. » Son avis est partagé par Abdoulaye qui, avant de reprendre la parole, lance un soupir. « La jeunesse ne se bat pas, tout le monde attend le gouvernement et entre la mouvance et l'opposition, il y a toujours des problèmes, une incompréhension totale qui ne permet pas une évolution de nos vies. »

Le chauffeur de taxi, diplômé en comptabilité

Le lendemain, la journée vient à peine de commencer que les visages en sueur donnent l'impression d'avoir été aspergés d'eau. Les sièges du taxi sont en cuir et la chaleur cogne dessus. « Ah, c'est comme ça ici ! » déclare au volant de son véhicule jaune, Mamadou Boyo. Alors que nous roulons au son de M'Balou Kanté, nous atteignons la fameuse route « Le Prince ». Cette longue voie en ligne droite est l'artère principale qui dessert les quartiers de « l'Axe ». À défaut d'avoir trouvé un emploi dans sa branche, Mamadou se retrouve « derrière le volant. » Difficile de croire que le chauffeur de taxi, diplômé en comptabilité, a vécu une vie d'expatrié à Niamey pour ses études durant deux ans.

Vendeur de médicaments à même le sol

À Bambéto, en plein marché, se frayer un chemin sur un espace qui n'est pas un trottoir et qui ne semble pas appartenir complètement à la voie de circulation devient un casse-tête. En s'éloignant du bord de la route, le déplacement des piétons devient plus fluide. À mi-chemin entre le goudron et les halles marchandes, Elhadj Amadou tient une échoppe de médicaments. Logiquement, tenir une pharmacie est banal pour un pharmacien... Sauf qu'Elhadj Amadou n'est pas encore diplômé et son cursus universitaire n'a rien à voir avec le monde pharmaceutique. C'est un étudiant en administration et gestion des institutions culturelles qui vit à Koloma, un quartier de Ratoma. « J'aimerais entendre parler de la Guinée comme j'entends parler des autres pays tels que la Côte d'Ivoire et le Sénégal. Il faut soulager cette jeunesse, vous savez quand des jeunes comme moi, encore étudiants et pas mariés, travaillent pour subvenir aux besoins de la famille, c'est une grande responsabilité que nous avons. » Précoce malgré lui, aux yeux de sa famille, il a le statut de chef de famille.

Fatoumata fait du shopping

Tout comme son confrère, rencontré un peu plus tôt dans la matinée, Abdul-Rahman est également commerçant au sein du marché de Bambéto. « Ma boutique est un peu plus loin, ici, c'est mon camarade qui tient ce petit magasin d'équipement de football », tient-il à nous préciser. N'échappant pas à la réalité du monde du travail, il doit faire avec ce qu'il a sous la main. « L'emploi en Guinée, c'est très difficile, j'ai terminé mes études l'année dernière et je n'ai toujours pas reçu mon diplôme. » Cette inactivité des jeunes les pousse à tenter l'aventure en Occident, ce qui entraîne l'immigration. « Comme on dit, tant qu'on vit on garde espoir. Mais, il faut le dire, beaucoup de jeunes quittent le pays. Vu la situation sociopolitique qui prévaut dans notre pays, plusieurs personnes estiment qu'il n'y aura pas de lendemains meilleurs pour la jeunesse. » En pleine séance shopping avec son amie, Fatoumata fait des essayages. Tandis que d'autres travaillent, celle qui vit à Cosa jette son dévolu sur une chemise à carreaux noirs et bleus. Selon ses dires, le gouvernement guinéen doit, avant tout, s'attaquer aux problèmes de la jeunesse en les prenant à bras-le-corps. « Pour améliorer nos conditions de vie, c'est très simple, on doit construire des écoles », dit-elle d'un ton énergique.

Awa vend des téléphones

Après quelques minutes de trajet en voiture, nous voilà à Cosa. À proximité d'une station-service, alors qu'elle est en plein travail, nous croisons la route d'Awa, une vendeuse en téléphonie mobile. Alors que notre chauffeur de taxi, Mamadou, est accaparé par l'une de ses collègues - dans le but de lui vendre une carte à puce -, l'employée de 29 ans se confie. « La jeunesse souffre beaucoup et même ceux qui sont employés sont très mal payés. Environ 80 % de ces jeunes employés ne sont pas payés comme il faut », s'indigne la femme originaire de Kipé. Quand on évoque avec Awa le programme « Nos jeunes ont du talent », elle répond du tac au tac. « C'est un peu louche quand même que cela soit fait à quelques mois de la présidentielle (rires). Mais au moins, cela permettra de dénoncer la situation chaotique des jeunes du pays. Le gouvernement va enfin savoir comment nous vivons dans nos quartiers. » Pas évident de convaincre une jeunesse qui n'a plus foi en la politique. « Selon moi, cela ne va rien changer. On a vu tellement de projets pour la jeunesse, tellement de salons, mais au finish, rien ! Ce sont des projets que l'on met dans des tiroirs très vite », fait remarquer Alima*.

* Nom d'emprunt

De Diarra Founé, envoyée spéciale à Conakry

Source: LE POINT

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