Guinée: Les pérégrinations du Président de la république

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On m'a parlé d'une rencontre de Guinéens près de Genève le 14 juillet 2012. J'en profite pour leur adresser quelques mots d'encouragement mais également pour dire à tout Guinéen, groupement ou individu où qu'il se trouve, qu'il n'est que temps, qu'à défaut de synergie d'actions due à l'éparpillement à travers le monde et à des positions politiques partisanes, il nous faut réaliser une synergie de réflexions sur la Guinée.

C'est la pensée solidement mûrie qui a guidé les peuples sur la voie du progrès humain. C'est de cela que je parle dans la deuxième partie de cette note.

I. CE QU'ON SAIT DEJA ET QUE JE COMMENTE A MA MANIERE

Que ceux qui savent ce qui va suivre, ne s'agacent pas; je m'adresse à la majorité de mes compatriotes qui ont besoin qu'on leur explique les mots et surtout les titres qu'on utilise. Pérégrination, au singulier, signifie voyage dans des pays lointains, au pluriel, il s'agit de nombreux déplacements, allées et venues.

Encore ceci, il faut que certains de nos compatriotes sachent que les critiques que je peux faire dans mes articles ne visent pas la personne physique du président de la République de Guinée, mais la personne morale du capitaine du navire Guinée qu'il incarne. Je ne peux pas mettre sur le même pied d'égalité dans mes critiques de citoyen, celui qui est responsable de la destinée des 11 millions de Guinéens (le président de la République) et les chefs de l'opposition qui n'ont aucune responsabilité des pouvoirs d'Etat. Depuis plus de 50 années, le silence complice d'un grand nombre de Guinéens à l'égard de leurs présidents, a conduit ceux-ci, dans le même temps, à une dictature et à une mal-gouvernance dont les conséquences négatives n'apparaissent pas qu'à des opportunistes guinéens et étrangers.

Ceci écrit, je me demande ce qui fait courir le président de la République de Guinée aux quatre coins du monde. D'emblée, je considère que ces pérégrinations traduisent une vacuité de la gouvernance en place dans notre pays et sans nul doute, leurs conséquences négatives, eu égard à leurs coûts, se feront sentir un jour prochain. Mais on a pris l'habitude dans ce pays d'attendre que le mal se produise avant de réagir, pour ceux qui réagissent. Je vais expliquer ma position. Le président lui, a la réponse à sa « grande vadrouille » : « Vous voyez, la Guinée n'a pas de politique internationale. Je suis obligé d'être le premier voyageur. D'aller partout pour reprendre nos relations. » (2 juillet 2012). Mais qui n'a pas constaté qu'il n'a pas, hors les apparences, de politique nationale, digne de ce mot, en Guinée? Cette situation d'absence de politique internationale n'est, du reste, pas de son fait. Mais le bon sens aurait, cependant, été pour celui qui avait clamé partout que son objectif était l'instauration du changement en Guinée, de rétablir prioritairement une politique nationale. Or, depuis son élection le 7 novembre 2010, il n'a vraiment pas visité une des quatre régions guinéennes, alors qu'il a visité pas moins d'une douzaine de pays, jusqu'en Asie du Sud-Est : Taïwan-Cambodge-Thaïlande-Malaisie. Pour quels vrais objectifs, ces pérégrinations dispendieuses pour un pays dont il dit que les caisses ne sont pas florissantes pour ne pas dire plus et dont des habitants n'ont pas les moyens d'avoir les deux principaux repas de la journée. Chacun sait, du reste, que la Guinée se trouve internationalement dans la catégorie des pays pauvres très endettés (PPTE).

A mon avis, le président de la République de Guinée a senti dès son élection, sur laquelle il n'est plus besoin de revenir, un énorme déficit de reconnaissance dans le pays profond. D'aucuns expliquent d'ailleurs le recul continu des élections législatives qui devaient constitutionnellement avoir eu lieu en juin-juillet 2011et n'ont toujours pas eu lieu, par la peur de perdre ces élections. Mais la persistance du président à ne pas se rendre dans les régions guinéennes, après y avoir été élu, est expliquée aussi, selon certains par sa peur de ce que François Soudan présente dans une enquête du numéro 2686, 1er-7 juillet 2012, de Jeune Afrique, sous le titre de la « La sorcellerie au cœur du pouvoir », en Afrique subsaharienne (pp 24-33). Cette pratique fortement implantée au cœur des pouvoirs africains et constituée de « sorciers, magiciens, féticheurs, marabouts, guérisseurs, sangomas, ngangas et autres ndokis », selon les pays, a semble-t-il, sur conseil de son entourage, dissuadé le président guinéen à se hasarder hors de la capitale. Ce genre de dangers serait inexistant dans les pays étrangers, on peut donc aller s'y promener. Mais, je crois qu'il y a plus. Le déficit de reconnaissance intérieure est supposé pouvoir être comblé en partie par les images du premier Guinéen avec des personnalités de pays visités et abondamment présentées à la RTG (Radio-télévision guinéenne). On a vu toute cette tactique en action quand le président guinéen devait arriver en visite privée en France où il sait l'image qu'on a de lui (tous partis politiques confondus). C'est lors de cette visite qu'on a appris que 14 des prisonniers impliqués dans l'attentat de sa résidence privée, le 19 juillet 2011, ont bénéficié de non-lieu et ont été relâchés. Pourquoi, ces 14 non-lieux à cette date précise ?

Les motifs de restauration de la politique internationale de la Guinée ou de recherche d'investisseurs potentiels en Guinée ne paraissent pas convaincants. On ne peut pas efficacement gouverner un pays en n'utilisant que la tactique conjoncturelle. C'est ce qui constitue une des faiblesses de taille du gouvernement en place à Conakry.

Je n'entre pas ici dans les arcanes de toutes les questions financières, débattues à l'heure actuelle en Guinée. Vrais ou faux débats? Toute cette atmosphère ne peut que contribuer à grossir la défiance vis-à-vis du Premier Magistrat du pays. Celui-ci, apparemment tranquille comme Baptiste, ne tente même pas d'éclaircir la situation glauque ainsi créée mais poursuit ces pérégrinations « pour renforcer la politique internationale de la Guinée », doublée, je l'ai écrit, plus haut de « recherche d'investisseurs potentiels ». Dans la conjoncture de crise économique actuelle, s’attendre à des implantations significatives d'entreprises étrangères en Guinée, peut relever d'un optimisme peu réaliste.

La réalité de délocalisation d'entreprises de pays développés ou émergents, est prise au regard de facteurs précis: état politique général et climat de paix sociale du pays, infrastructures adéquates, énergie nécessaire, ressources humaines qualifiées ou peu qualifiées en quantités et peu coûteuses par rapport au pays d'origine, facilités d'approvisionnements divers, transports et structures d'accueil, cadres juridiques , non de paille mais réels. A part les ressources humaines, ces facteurs font généralement défaut en Guinée. On le voit bien quand on nous dit que les hôtels de Conakry sont toujours remplis d'acteurs économiques venus voir, mais combien, parmi ceux-ci, après avoir pris le pouls économique et social du pays, sont repartis sans s'être hasardés à tenter le moindre investissement ?

Ces considérations éclairent que les déplacements dispendieux du président de la République ne seront pas suivis d'investissements de nature et de taille à promouvoir un développement de la Guinée. Or c'est ce qu'on veut faire croire à la population. Mais c'est ce genre de jeux de théâtre qui est joué de longue main à Conakry et qui se poursuit sans jamais avoir pu relever le prestige de la Guinée. Je vais passer rapidement sur des comportements et des déclarations qui tendraient plutôt à rabaisser et la Guinée et la fonction présidentielle en citant trois exemples:

  • C'est, d'abord, qu'un président de la République d'un Etat souverain déclare ouvertement qu'il est « le conseiller politique » d'un autre président, celui de la Côte d'Ivoire, et que celui-ci est son « conseiller économique » à lui. Cela sent le folklore estudiantin.
  • C'est, ensuite, de déclarer à un autre président étranger, celui du Niger, qu'il le considère comme « coprésident de la Guinée », sans que les Guinéens aient été consultés sur cette coprésidence. Pauvre Guinée! C'est exactement une déclaration similaire que Sékou Touré avait faite au Président du Ghana, Kwame Nkrumah, renversé par un coup d'Etat militaire en février 1966 et réfugié à Conakry. Faut-il ajouter que même si des Africains ont toujours rêvé de panafricanisme, les réalités constatées, ici ou là dans les Etats africains sont autres: des Guinéens sont plus facilement expulsés, aujourd’hui, d'Angola ou de Mozambique que de France ou de Suisse; d'autres Africains, plus facilement expulsés du Nigéria que d'Angleterre ou d'Allemagne, etc.
  • C'est enfin dans ce cadre de qu'on peut qualifier de gigantesques bêtisiers, que lors de son dernier voyage en France et peut-être, pour plaire à François Hollande, qu'il a déclaré à la presse : « Depuis que Sarkozy est parti, je dors bien, mon médecin peut le confirmer ». Mais il faut savoir qu'il y a belle lurette que l'intérêt et la considération qui entouraient, jadis, la moindre visite (même pas officielle ou d'Etat) de chefs d'État africains, ont disparu. En tout cas pour certains d'entre eux, aucun écho dans les médias. Il faudrait le savoir et compter sur soi-même. Il n’y a qu'à voir des milliards d'euros débloqués pour sauver la Grèce, Chypre, l’Irlande, le Portugal, l’Espagne : cinq pays à avoir demandé l'aide de l'Union Européenne pour contrer la crise de la dette souveraine.

De tout cela, même s'il s’agit de paroles en l'air, ces exemples manquent de dignité et de hauteur de la part d'un chef d'Etat.

C'est triste pour nous, Guinéens, car nous ne sommes pas dans de bonnes mains. Toutes ces déclarations ne contribuent qu'à rabaisser la fonction présidentielle guinéenne. C'est du folklore de mauvais goût en mouvement que les Guinéens ont devant eux. Ce ne sont pas ces agitations en pérégrinations et qui demeureront stériles pour la Guinée qu'on restaurera la politique internationale de notre pays. Elles traduisent tout au plus la flagrante incapacité du pouvoir en place à s'attaquer sérieusement à l'incontournable aggiornamento de la politique en Guinée. On parle de réformes mais des bandes de malfrats bien organisées commettent presque quotidiennement des crimes de sang dans la capitale et même ailleurs dans le pays. Des quartiers de Conakry vivent dans la violence et l'insécurité. Ne faudrait-il pas s'occuper de ces réalités quotidiennes du pays que de se lancer à la recherche d'une hypothétique notoriété extérieure?

Faut-il, à cet égard, répéter pour la énième fois, que nous savions tous que le président élu le 7 novembre 2010, s'était trouvé devant un pays qui était à reconstruire de A à Z. Par conséquent, quiconque censé avoir une idée de l'immensité des tâches à accomplir, ne s'attendait pas en si peu de temps à un miracle dans le redressement du pays. Mais on aurait pu légitimement s'attendre à voir le président du changement faire appel à des ressources humaines jeunes et techniquement compétentes qui travaillent aux quatre coins du monde. Dois-je préciser que, disant cela, je ne pense qu'à de jeunes compétences, bien choisies, de l'intérieur comme de l'extérieur du pays ? Et cela ne concerne pas des retraités de septuagénaires de ma génération. Ce n'est pas cette voie qui a été prise, mais l’obsession de garder le pouvoir a conduit à s'appuyer sur un certain nombre de ceux qui s'étaient corrompus dans les pouvoirs précédents. Et pour quels résultats prévisibles ? … Parlons plutôt de prodromes, de signes annonciateurs de ce qui attend les Guinéens. Je dis tout net que je ne sens pas l'ombre du changement dans le sens de progrès collectifs, mais au mieux, de la permanence de l'Etat stationnaire.

En face de cette carence d'une gouvernance positive qu'y a-t-il?

Le Conseil National de la Transition (CNT). On a tellement dit et écrit de choses sur l'inutilité (à présent) de cette institution qui a été établie pour une transition courte en 2010, que je n'éprouve pas une nécessité à m'attarder là-dessus.

Quant aux autres institutions républicaines, elles semblent, toutes, sous commande du chef de l'Etat. Cela se concrétise par un simple signe: à chacun de ses déplacements à l'étranger, tous les représentants de ces institutions, toutes affaires cessantes, doivent se rendre à Gbessia pour l'accompagner ou l'accueillir. Un petit progrès est, cependant, intervenu dans ce rituel, c'est qu'on ne demande plus aux représentants des corps diplomatiques accrédités en Guinée d'accomplir cette corvée. C’est dire que des pratiques paralysantes héritées du passé, existent encore, faute de renouvellement des générations aux commandes des affaires.

Alors, la question se pose de savoir ce qu'il faut faire devant une gouvernance qui patauge et par conséquent, contrairement aux apparences, une société guinéenne bloquée.

II. CE QUI ME SEMBLE QUE NOUS DEVRIONS FAIRE.

C'est aux intellectuels guinéens que je m'adresse ici ; aux intellectuels guinéens de l'intérieur comme de l'extérieur. Il faut entendre par intellectuels, ceux qui travaillent dans le domaine de l'esprit. Il y en a parmi les Guinéens, comme dans toute société organisée. Les sociétés humaines ne sont sorties de l'obscurantisme que par l'intelligence humaine. Vous connaissez le rôle qu'a joué le Siècle des Lumières en Europe. Siècle caractérisé par l'intelligence, source de progrès dans tous les domaines.

Par-delà les effets de style et de manches dans les nombreuses rencontres, les intellectuels guinéens doivent faire pour la Guinée, ce dont ils sont capables : faire des investigations solides sur les divers aspects de la société guinéenne. Cela doit revenir à défendre des valeurs globales, en dehors de toutes contingences de politique partisane. Le plus souvent les intellectuels n'assument pas de responsabilités directes dans la gestion des affaires publiques. Ils doivent ainsi constituer une caution morale par l'autorité qui se dégage de leurs réflexions. Nous sommes, certes, loin, sociologiquement et temporellement d'un tel contexte chez nous. Mais tout a un commencement. Faire des réflexions, c'est bien, mais faut-il encore que ceux qui se sont engagés au service de la collectivité nationale, c’est-à-dire les hommes et les femmes politiques, prennent en compte ces réflexions, autant que possible. C'est pourquoi un effort d'être plus empirique que théorique dans ces réflexions doit s'imposer.

Ce qui a fait et fait toujours cruellement défaut à la gouvernance guinéenne, c'est précisément des actions et des orientations reposant sur des réflexions solides. C'est pourquoi, je propose aux intellectuels de nous atteler à des tâches de réflexions solides et concrètes sur la Guinée pour chasser l'ignorance de la gestion des affaires publiques. Pour cela, j'invite à la création d’un Think tank, qu'on traduit comme étant un laboratoire d'idées ou si l'on veut une boîte à idées, indépendante des partis politiques et à but non lucratif. Ce Think tank des experts de toutes spécialités, doit pouvoir réaliser des études et des propositions dans les domaines des politiques économiques et sociales. Il s'agira pour commencer des études et propositions synthétiques applicables par des agents de politiques économiques et sociales. Notre Think tank embryonnaire pourrait porter, sans complexe, l'appellation de Memoria guineensis Think tank (Think tank Mémoire de Guinée), dont il faudra préciser les objectifs, plus que je ne peux le faire ici.

Les sociétés, je l'ai déjà rappelé, ne progressent que par la diffusion des idées modernes. La Guinée en a besoin. Je souhaite que si l'idée de Memoria guineensis reçoit bon accueil, ceux qui se sentiront capables d'analyses concrètes sur les thèmes suivants mais non limitatifs, adaptés aux situations alternatives de politiques publiques en Guinée, se mettent à constituer des dossiers, en attendant que des bonnes volontés se manifestent pour l'hébergement de notre boîte à idées. Les nombreuses rencontres fort utiles que les Guinéens organisent un peu partout se concrétisent assez souvent par des documents, manifestes intéressants, mais qui disparaissent après dans la nature. Memoria guineensis peut être le réceptacle de toutes les intelligences qui ont jailli ou jailliront de ces rencontres.

Je rappelle donc quelques thèmes que d'autres pourront allonger par des thèmes les plus variés mais qui doivent être d'utilité pour les politiques publiques de Guinée :

  • Tous les aspects de la population guinéenne;
  • Les cadres administratifs et financiers et l'action économique et sociale ;
  • Les problèmes de l'éducation dans tous ses aspects ;
  • La médecine, l’équipement médico-social, la lutte contre les fléaux sociaux ;
  • La question du travail dans tous ses aspects ;
  • Le développement économique ;
  • L'aménagement du territoire, l'urbanisme , le logement ;
  • Les clivages ethniques et politiques.

Ces thèmes sont indiqués à titre indicatif sans aucune préséance.

Ansoumane Doré Dijon, France

Ansoumane Doré

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