Créer un site internet

La Cour constitutionnelle hors la loi ? (par Haroun GANDHI)

Cour constitutionnelle

Rappel de quelques faits

On se souvient que Bakary Fofana a été évincé de son poste de président de la CENI. Le 4 Juillet dernier en effet, 18 des 19 commissaires présents à l’assemblée plénière1, ont voté Amadou Salifou Kébé à la présidence de la CENI...

Je ne reviendrai pas sur les conditions de son éviction, car la CENI viole les textes en permanence – j’ai déjà écrit plusieurs fois en ce sens – et ne respecte même pas ses procédures internes. Dès lors malgré la présence d’un huissier de justice, Sory Daouda Camara (mais celui-ci n’a tenu que le PV, ce qui ne préjuge en rien du respect des formes en amont et/ou en aval), il n’est pas impossible que les autres commissaires de la CENI, qui ont parfaitement le droit de révoquer Bakary Fofana de son poste (article 17 de la loi organique n°16 du 19 Septembre 2012 sur la CENI), ne l’aient pas fait dans les formes, ainsi que le rappelle Bakary Mansaré2.

 

Ceci dit, en apparence (puisque je n’ai pas tous les éléments), l’existence d’un quorum d’au moins 2/3 des commissaires à l’assemblée plénière (17 en temps normal lorsqu’ils sont 25, 16 puisqu’ils ne sont que 23 actifs) permet à peu près tout (la présence du président par exemple n’est pas exigé, un ordre du jour qui ne comprendrait pas l’élection d’un nouveau Bureau peut-être modifié et accepté…). L’objet du recours de Bakary Fofana, est justement de faire annuler cette décision.

 

Des motifs lamentables et des intérêts divergents

 

Ce qui est lamentable, c’est de constater que les frondeurs ne reprochent à Bakary Fofana, que de gérer à sa guise les fonds de la CENI, et non les violations répétées de l’institution en matière électorale (et pour cause, ils sont complices). C’est pour mettre fin à sa gestion opaque, et peut-être de plus en plus personnelle, que les 18 commissaires ont d’abord suggéré la mise en place d’un Comité de trésorerie pour surveiller la gestion des fonds (ils ont pourtant le pouvoir et donc la responsabilité d’un audit financier interne annuel), avant de « débarquer » ensuite Bakary Fofana de son poste de président.

 

Les commissaires (mouvance et opposition confondue) sont totalement disqualifiés (depuis 2010 en fait) pour organiser des élections en Guinée, d’où l’importance de la recomposition de la CENI, qui, on le rappelle, constitue l'un des points de l'accord politique du 12 Octobre 2016, où il était même prévu, que cette réforme devait intervenir au plus tard en Juillet 2017 !!!

 

On sait que l’opposition veut se débarrasser des représentants de l’État, ainsi que ceux de la société civile en vue d’obtenir une parité de représentants politiques. Un changement de président ne change strictement rien. Quant à la mouvance, elle a d’autres vues. Ainsi lors d’un entretien récent d’Amadou Damaro Camara3, ce dernier indiquait que « nous perdons toute une expertise, un certain niveau de ces commissaires là et ce serait un risque irresponsable d'avoir une nouvelle CENI en 2019 ». Selon lui, « il faut modifier ou amender la loi sur la CENI, car on nous l’impose, mais on pourrait proposer à l'assemblée un type de CENI plus approprié, qui pourrait avoir une certaine pérennité ».

 

Si on traduit de manière laconique et subliminale ses propos, Amadou Damaro Camara ne veut pas d’une CENI, qui ne serait pas formatée dans un moule, consistant à violer la loi en faveur d’Alpha Condé. Or il faut signaler que selon l’article 8 de la loi du 19 Septembre 2012, le mandat de la CENI est limité à 7 ans (jusqu’en Septembre 2019 donc), et les commissaires ne sont pas reconductibles.

 

Supprimer les représentants de l’État et ceux de la société civile, contre la reconduction de 20 (voire de 10) commissaires actuels « achetés », constituerait-il un bon compromis pour les 2 principaux « partis politiques ? ». À voir…

 

Une fois ces faits rappelés, il convient d’examiner en quoi le recours de Bakary Fofana pose problème.

 

Que disent les textes ?

 

Il est nécessaire de rappeler quelques articles relatifs, et au fonctionnement de la CENI (articles 104 et 175 de la loi du 19 Septembre 2012), et à celui de la Cour constitutionnelle (articles 186, 277, 358 et 439 de la loi du 10 Mars 2011), pour comprendre les développements suivants.

 

De la lecture de ces textes, il faut tirer au moins deux conséquences :

 

  • la Cour constitutionnelle n’est pas compétente pour trancher les conflits internes au sein d’une seule institution (mais seulement les conflits entre institutions – voir article 18 de la loi du 10 Mars 2011). À la CENI, le litige concerne la légalité du vote des commissaires, à remplacer le président de la CENI. Or sous réserve du respect du formalisme, les commissaires sont habilités à remplacer en tout ou partie les membres du Bureau, y compris son président. Aucune condition de fond (les motifs de ce remplacement) n’est exigée, mais seulement un quorum des 2/3.
  • en dehors du contentieux électoral, et hormis les présidents de la République et de l’Assemblée Nationale, la Cour constitutionnelle n’est pas compétente pour recevoir des recours d’individus, mais seulement d’institutions. On peut arguer que lesdites institutions sont représentées par un président, qui a vocation à agir au nom et pour le compte de l’institution, et non pour son compte personnel, d’ailleurs dans des cas bien délimités du contentieux électoral. Or l’arrêt de la Cour constitutionnelle n°AC 41 du 7 Août 2017, est relatif à un recours individuel et personnel de Bakary Fofana, pour demander l’annulation d’une décision de l’Assemblée plénière de la CENI contre lui-même.

Il ressort donc qu’au regard des textes, la CENI ne peut saisir la Cour constitutionnelle que dans les cas limitativement énumérés suivants :

 

  • le contentieux des élections nationales, et notamment les requêtes écrites adressées au Secrétaire Général de la Cour constitutionnelle, au Président de la CÉNI ou son démembrement compétent.
  • le règlement intérieur de la CÉNI (7 Décembre 2012) quant à leur conformité à la Constitution,
  • pour un avis consultatif pour les questions relevant de sa compétence.
  • en contrôle de constitutionnalité,
  • les lois censées porter atteinte aux droits fondamentaux de la personne humaine et aux libertés publiques, et en général, sur la violation des droits de la personne humaine.

Au regard de ces motifs strictement énumérés et très clairs (donc non susceptibles d’interprétations), la Cour constitutionnelle aurait du rejeter la saisine de Bakary Fofana pour incompétence. Il ne tient qu’au vice-président de la Cour constitutionnelle, qui a pris la décision, d’en démontrer le bien fondé, car les textes évoqués pour prendre sa décision (la loi sur la CENI et son règlement intérieur) sont silencieux quant à un éventuel recours devant la Cour constitutionnelle pour un conflit interne à une institution !!!

 

Pour répondre aux questions non évoquées

 

Il est utile de rappeler que Bakary Fofana n’est pas révoqué en tant que commissaire (sauf plainte au pénal pour détournement de fonds par exemple), mais a simplement perdu sa fonction de président, ce qui est possible selon l’article 17. Il peut néanmoins contester les conditions de son éviction, mais pas devant la Cour constitutionnelle – on vient de le voir ci-dessus -, mais devant la Cour Suprême, qui est la seule habilitée à juger des excès de pouvoir des autorités exécutives, pour lequel elle peut d’ailleurs prononcer un sursis à exécution. La Cour Suprême a certes perdu ses attributions relatives à la constitutionnalité des textes en général, et tout ce qui touche au contentieux électoral, mais elle a gardé ses autres prérogatives, notamment en matière administrative. Elle est juge en premier et en dernier ressort de la légalité des textes réglementaires et des actes des autorités exécutives.

 

Cela prouve, une fois de plus l’incompétence de nos commissaires, et de son président en particulier, chargé pourtant de faire appliquer la loi aux partis politiques, et de certains de nos magistrats. Il est par ailleurs lamentable, que certains observateurs – et je ne m’étendrais pas sur eux - se soient crus autorisés à féliciter cette décision illégale et gravissime.

 

Pour conclure

 

Lorsqu’un conflit interne existe au sein d’une institution, il faut se référer au statut, puis au règlement intérieur pour résoudre le litige, d’où l’intérêt d’avoir de vrais juristes au sein de telles institutions. À défaut de résolution, le litige doit être porté généralement devant les tribunaux de l’ordre administratif – y compris en référé si l’urgence l’exige -, en l’occurrence la Cour Suprême.

 

Le juge pourra ou non souverainement accepter cette demande ou la refuser, et dans ce dernier cas, il pourra prononcer une condamnation aux dépens de la personne qui l’a déposée, si le juge considère qu’il s’agit d’un recours abusif.

 

Comme le souligne le député Ousmane Gaoual Diallo, en aucun cas, la Cour constitutionnelle ne peut se substituer aux commissaires pour désigner elle-même le président intérimaire de la CENI, mais pour d’autres raisons – l’incompétence de la Cour constitutionnelle – que celle qu’il invoque.

 

En effet, la Cour Suprême, si elle était saisie, et qu’elle confirme l’éventuel non respect du formalisme, comme une condition de rejet de la décision des commissaires -, pourra nommer un administrateur provisoire interne, afin de faire cesser le trouble dans les meilleurs délais. L’article 10 alinéa 4 précité, sur le statut de la CENI, précise que pendant une période de 8 jours du remplacement d’un nouveau président (parmi les commissaires issus de la société civile), l’intérim est assuré par le doyen d’âge parmi ces derniers. S’agit-il d’Aziz Kader Camara ?

Dans le cas inverse (respect du formalisme par les 18 commissaires), la Cour Suprême devra confirmer l’élection d’Amadou Salifou Kébé comme nouveau président de la CENI. Ce ne serait qu’une étape avant une réforme attendue.

 

Dans l’attente d’un débat – que j’espère - de juristes guinéens, et de réactions énergiques des politiciens et/ou de la société civile à ce scandale, j’approfondirai éventuellement le contenu de ce papier.

 

Gandhi, citoyen guinéen

 

« Dans tout État libre, chaque citoyen est une sentinelle de la liberté qui doit crier, au moindre bruit, à la moindre apparence du danger qui la menace ». (Robespierre, Discours sur la liberté de la presse, Mai 1791).

 

1- Sur les 25 commissaires que devrait compter la CENI, 23 seulement sont actifs, Maxime Koivogui étant décédé en Novembre 2016 et Alpha Yéro Condé en Juin 2017, n’ont pas été remplacés. Mamadi Lamine Condé était en voyage, Ramatoulaye Bah, Bakary Mansaré et Bakary Fofana n’ont pas pris part au vote.

2- http://guineeactu.info/actualite-informations/actualite-informations-generale/7250.html#_contentiphone

3http://guineeactu.info/actualite-informations/actualite-informations-generale/7236.html#_contentiphone

4 -Article 10 : « en cas de vacance consécutive au décès, à la démission ou à toute autre cause d’empêchement définitif d’un Commissaire constatés par la Cour Constitutionnelle, saisie par le Bureau de la CENI, il est procédé à son remplacement dans les mêmes conditions que celles de sa désignation pour le reste du mandat en cours. Dans les cas d’absence ou d’empêchement temporaire du Président, celui ci désigne à tour de rôle, un des vice-présidents pour assurer l’intérim. En cas d’empêchement consécutif au décès, à la démission ou à toute autre cause d’empêchement définitif du Président, il est procédé dans les 15 jours à son remplacement dans les mêmes conditions que celles de sa désignation, pour le reste du mandat de Commissaire. Il est procédé dans les 8 jours de ce remplacement, à l’élection d’un nouveau président parmi les commissaires issus de la société civile. Pendant cette période, l’intérim est assuré par le doyen d’âge parmi les commissaires issus de la société civile. Le doyen des vice-présidents préside la séance de l’Assemblée Plénière consacrée à l’élection du nouveau Président ».

5 -Article 17 : « le Bureau Exécutif de la CENI est composé comme suit : un Président, deux Vice-Présidents, un Rapporteur et un Trésorier. Le Bureau est mis en place pour la durée du mandat de la CENI. Toutefois, à la demande des deux tiers des membres de la CENI, l’Assemblée Plénière peut procéder au remplacement partiel ou total du Bureau ».

6 -Article 18 : « la Cour Constitutionnelle statue sur :

  • la constitutionnalité des lois avant leur promulgation ;
  • le contentieux des élections nationales ;
  • la validité des dossiers de candidatures aux élections nationales, ainsi qu'à celle des opérations de référendum ;
  • le Règlement Intérieur de l'AN, du CES, de la HAC, de la CÉNI, de l'INIDH, du Médiateur de la République, du HCCL quant à leur conformité à la Constitution ;
  • les conflits d'attributions entre les organes constitutionnels ;
  • l'exception d'inconstitutionnalité soulevée devant les juridictions ;
  • les recours formés contre les actes du Président de la République pris en application des articles 2, 45, 74 et 90, ainsi que les recours formés contre les Ordonnances prises en application de l'article 82, sous réserve de leur ratification ».

7- Article 27: « … de même sont transmis à la Cour Constitutionnelle, soit par le PRG, soit par l'AN, soit par l'INIDH, par la CÉNI, soit par la juridiction devant laquelle l'exception d'inconstitutionnalité est soulevée, les lois censées porter atteinte aux droits fondamentaux de la personne humaine et aux libertés publiques, et en général, sur la violation des droits de la personne humaine ».

8- Article 35 : « … la CENI et l'INIDH peuvent saisir la Cour pour son avis consultatif pour les questions relevant de leur compétence ».

9.- Article 43 : « la Cour Constitutionnelle, en contrôle de Constitutionnalité, peut être saisie par le Président de la République, le Président de l'AN ou un dixième des députés, la CÉNI, l'INIDH, la juridiction devant laquelle une exception d'inconstitutionnalité est soulevée ».

  • Aucune note. Soyez le premier à attribuer une note !

Ajouter un commentaire

 
×