La ruée vers le minerai de fer de Simandou éclabousse la présidence

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Le président guinéen Alpha Condé s'était engagé à rompre avec les pratiques clientélistes de ses prédécesseurs dans l'attribution des contrats d'exploitation miniers. Des enregistrements que France 24 s'est procurés montrent qu'il n'en est rien.

France 24 est en mesure de faire de nouvelles révélations concernant la bataille titanesque pour l’attribution, en Guinée, de la concession de l’un des plus grands gisements de minerai de fer au monde. Selon des enregistrements que nous nous sommes procurés, le recours aux intermédiaires et aux commissions auquel le Président Alpha Condé entendait mettre un terme est toujours en pratique.

Soupçons de corruption

Depuis plusieurs semaines, les révélations sur des soupçons de corruption autour de juteux contrats miniers en Guinée se multiplient. À la mi-novembre, le géant minier anglo-australien Rio Tinto admet avoir payé une commission à un proche du président Alpha Condé pour obtenir gain de cause sur le gisement géant de Simandou. Le président guinéen nie toute malversation et affirme n’avoir pas été au courant que son conseiller, le banquier français François de Combret était rémunéré par Rio Tinto. Mais selon des informations exclusives recueillies par France 24, le pouvoir guinéen était au moins au courant des initiatives de de Combret envers les groupes miniers impliqués à Simandou.

Depuis plusieurs années, Simandou est l’enjeu d’une lutte féroce entre le pouvoir, Rio Tinto et l’homme d’affaires franco-israélien Beny Steinmetz. À son arrivée à la présidence en 2010 après des décennies de dictature, Alpha Condé décide de remettre à plat le secteur minier, en révisant les contrats. En réécrivant le code minier. La bonne gouvernance est son credo, avec l’appui de l'ancien Premier ministre britannique, Tony Blair, et de George Soros, milliardaire américain et philanthrope. Il décide de frapper les esprits en retirant à BGSR, la société de Steinmetz, sa licence pour l’exploitation géante de Simandou, dont il affirme qu’elle a été obtenue frauduleusement sous la dictature.

De nouveaux rebondissements

Mais, depuis plusieurs mois, le vent tourne. Les allégations de corruption à l’encontre de l’entourage proche du président liées à de nouveaux contrats miniers se multiplient. Une enquête préliminaire du parquet national financier est ainsi en cours en France. Surtout, des enquêtes aux États-Unis mettent en lumière des pratiques selon lesquelles des sociétés auraient financé le camp présidentiel en échange de l’obtention de contrats.

En novembre 2016, nouveau rebondissement. Après la fuite d’e-mails compromettants, Rio Tinto admet avoir versé la somme 10,5 millions de dollars à François de Combret, dans le but d’obtenir des droits sur Simandou. L’accord, portant sur 700 millions de dollars, est conclu en avril 2011.

D’après les échanges d'e-mails, le 10 mai 2011, soit quelques jours après la signature de cet accord, Tom Albanese, qui est alors directeur général de Rio Tinto, Sam Walsh, le responsable de la branche minerais, et Alan Davies, responsable des opérations internationales, se mettent d’accord pour verser 10,5 millions de dollars à de Combret.

"Je sais que c’est beaucoup d’argent", écrit Alan Davies. "Mais je souligne que le résultat que nous avons obtenu a été significativement amélioré par la contribution de François, ses services, uniques et inimitables, et sa proximité avec le président."

De Combret a en effet connu le président guinéen sur les bancs de Sciences-Po à Paris, avant de servir comme secrétaire général adjoint de l’Élysée sous Valéry Giscard d’Estaing, puis de faire carrière dans la banque d’affaires parisienne Lazard. Depuis la victoire d’Alpha Condé, il a joué un rôle clé dans la renégociation de Simandou. Un rôle discret jusqu’à la révélation de ces e-mails, que Rio Tinto affirme début novembre avoir découvert dans le cadre d’une enquête interne.

Dans la foulée, la multinationale licencie deux de ses principaux dirigeants et avertit les justices américaine, britannique et australienne.
 

Le gouvernement guinéen a réagi en demandant que toute la lumière soit faite. En affirmant, dans un communiqué du président lui-même, puis du ministre des Mines, que les autorités ignoraient totalement que de Combret travaillait au service de Rio Tinto. À un moment où, dixit le gouvernement, de Combret avait pourtant accès à des informations très confidentielles.

Le ministre des Mines Abdoulaye Magassouba souligne dans son communiqué que "cela pose des soucis légaux et éthiques si, comme le suggèrent les informations parues dans la presse, M. de Combret fournissait des informations privilégiées en échange de grosses sommes d’argent".

Des enregistrements compromettants

En d’autres mots, le pouvoir semble "lâcher" Combret, laissant entendre qu’il agissait dans son dos en monnayant son accès privilégié à Alpha Condé. Mais selon plusieurs témoignages recueillis par France 24, Combret agissait main dans la main avec les autorités guinéennes, qui étaient au courant que ses services étaient rémunérés.

Selon un enregistrement obtenu en exclusivité par France 24 et datant de 2012, Combret raconte ainsi à un acteur des négociations de Simandou une conversation qu’il avait eue avec le président guinéen à ce propos. "Rio Tinto, c’est une énorme société… Mais le président leur disait 'écoutez, s’il n’y a pas de 'downpayment’ [d’accompte], j’annule la concession.’ Et il l’aurait fai.

L’enregistrement ne permet pas d’établir si le "downpayment" se réfère à la commission des 10,5 millions de dollars qu’aurait touchés de Combret ou au contrat de 700 millions de dollars. Mais il indique que de Combret travaille de concert avec le pouvoir en place et que le président lui-même serait à la manœuvre.

C’est ainsi que, dans un autre enregistrement, obtenu par France 24, de Combret offre, fin 2012, sa médiation entre l’homme d’affaires Beny Steinmetz et le pouvoir à propos de Simandou. Affirmant relayer un message du président, il explique que plutôt qu’un procès coûteux : "il y a une solution plus intelligente pour les deux parties qui serait une solution transactionnelle… Pour monter cette solution transactionnelle, il faut que vous ayez un intermédiaire qui ait la confiance des deux… Pour montrer votre bonne volonté, vous seriez d’accord pour que son ami d’enfance, c’est-à-dire moi, soit votre intermédiaire à tous les deux. C’est la preuve de votre bonne volonté puisque vous choisissez son ami."

De Combret, qui vit en Suisse, a refusé de répondre aux sollicitations de France 24, expliquant que les procédures en cours l’empêchaient de s’exprimer. Et le ministre guinéen des Mines s'est refusé à commenter nos révélations.

Il y a quelques mois, la Banque Mondiale, qui avait une petite participation dans l’affaire, a préféré se retirer du projet. Et Rio Tinto vient de la céder au groupe chinois Chinalco. Officiellement en raison de la chute des coûts du minerai de fer. Mais ce n’est pas la fin de l’histoire. À la lumière des dernières révélations, Beny Steinmetz s’apprêterait à lancer des actions en justice contre les principaux acteurs de cette saga.

Source: france24

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