Le fou du rythme: Papa Kouyaté

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Dans ma chronique des hommages aux anciens, j’avais eu la suggestion d’interviewer deux grands artistes ; Kadé Diawara et Papa Kouyaté, devenu aveugle.
Une fois en Guinée, entre la préparation de la soirée Hafia et autres activités, j’avais quelque peu oublié ces interviews jusqu’au jour où mon neveu Lucien Guilao m’invita à assister à un concert live. C’est sur place que j’ai compris que c’est chez Justin Morel Junior (avec qui je correspondais dans les temps) et l’orchestre était celui de maitre Barry.
C’est dans nos causeries que le nom de Papa Kouyaté fut mentionné et mon neveu qui avait son no a proposé de lui téléphoner pour ensuite me dire qu’il arrive ; ce grand artiste jouait au concert d’Aicha Koné sur l’esplanade du Palais du Peuple.
Vers 1h du matin à peu près, Papa Kouyaté arriva et je fus surpris de le voire accompagné d’un jeune qui avait un tam tam sur l’épaule ; il alla s’installer parmi l’orchestre ; on l’apporta un autre tam tam et il commença à jouer. Moment unique, moment imprévu, moment mémorable. Je me mordais les lèvres de n’avoir pas ma caméra avec moi ; je me suis contenté de mon appareil photo ; maigre consolation. C’était simplement fantastique.
Ce n’est pas pour rien que Justin Morel Junior le surnomma, le fou du rythme ; à la fin, la présentation fut faite et les échanges de no ; le lendemain Papa Kouyaté de téléphona pour un rendez-vous. Voilà comment l’idée d’interview devint idée de documentaire.
Chez lui, il me demanda « il parait qu’ils vont honorer le Hafia ; après combien d’années ? » ; je lui répondis que c’est mon projet, pas celui du gouvernement ; il fut très surpris et me promis de jouer quelques minutes lors de la remise des médailles. Il était présent et il pleura à chaude larme dans les coulisses.
Papa Kouyaté est le directeur adjoint de Kèlètigui et ses tambourinis, il m’amena à la paillote pour assister à une répétition. Bref. De grands moments d’émotion, je vous assure. Le directeur de Kèlètigui déclara « beaucoup sont partis »avec une certains nostalgie, presque les larmes aux yeux. Je m’intéresserai à ce groupe, plus tard.
Avant la sortie de ce documentaire, voici en résumé le portrait de Papa Kouyaté.
Né à Mamou et tout comme ses amis d’enfance, il y fréquente l’école primaire ; contrairement à ceux-ci, il n’aime pas l’école et en classe, il passe son temps à taper sur la table donc à déranger tout le monde. Un jour, le maitre excédé, l’appela pour lui dire « toi tu déranges tout le monde, si tu veux taper sur des objets, va le faire chez toi » et le gifla en plus.
Le petit Papa se sent en danger, retourner à la maison, ses parents s’en rendront compte ; dans sa panique, il décide de s’en fuir ; alors il s’embarque pour Dalaba, une autre ville pas très loin.
Il n’y connaît personne, il dort au marché la nuit et quémande sa nourriture le jour ; jusqu’à ce qu’un bon samaritain au initiaux pas très orthodoxes de PD, le rencontre et l’amène chez lui. Il lui donne à manger ; il y prend une douche ; lui qui était resté six jours sans se laver.
PD est un artiste, il va jouer avec son orchestre, alors Papa le suit et à la grande surprise de ce dernier, chaque fois que le batteur fait un rythme, le lendemain Papa le reproduit.
Entre temps, ses parents le recherchent et sur la base de quelle indication, il ne le sait ; il voit un beau jour, sa grand-mère débarquer à sa recherche.
Celle-ci avait beaucoup d’affection pour lui, alors c’est décidé, personne ne lui fera de mal et à lui de choisir ce qu’il veut faire.
De retour à Mamou, il intègre l’orchestre fédéral de la ville ; c’est à peu près à cette époque qu’un certain Amadou Ballakè arrive aussi dans l’orchestre ; eh oui le même qui fait les beaux jours d’Africando.
Papa Kouyaté participe à un festival national ; au second festival, son talent inné qu’il exploite instinctivement à merveille ; le fait remarquer. Kèlètigui, se renseigne et découvre un lien de parenté ; aussitôt, il écrit au Ministre de la culture pour demander de transférer Papa Kouyaté dans son orchestre national, Kèlètigui et ses Tambourinis.
Une nouvelle aventure commence pour Papa ; il loge près de la paillote le fief de l’orchestre.
Une nuit, vers 3h du matin à peu près, l’on tape à sa porte ; très surpris de l’heure tardive, il ouvre légèrement sa porte et vois deux gendarmes :
  • Les gendarmes : nous voulons parler à Papa Kouyaté
  • Papa : c’est pourquoi ?
  • Les gendarmes : c’est le Président qui veut le voir.
  • Papa : quel Président ?
  • Les gendarmes : toi aussi, il y a combien de Président en Guinée ?
  • Papa : Papa Kouyaté était là, mais il a quitté depuis longtemps
Les gendarmes qui l’avaient reconnus, se sont écroulé de rire et ils ont ajouté « non, ce n’est pas grave viens avec nous».
D’abord il se dit que le Président ne le connaît pas et c’était l’époque de la 5èmecolonne avec des arrestations nocturnes ; sans être trop rassuré, Papa Kouyaté va porter deux pantalons et deux chemises ; s’il est arrêté, il aura au moins une tenue de rechange.
Vers 6h du matin, il est introduit dans le bureau du Président Sékou Touré ; il dit« Bonjour mon Président »,sans réponse ; ensuite bonjour en malinké, sans suite.
Après une troisième salutation sans suite, Papa Kouyaté va ressentir une véritable trouille au ventre.
Le Président Sékou Touré, imperturbable, écrivait une lettre ; c’est à la fin qu’il releva la tête et dis « bonjour mon fils », il regarda sa montre puis « c’est le temps de prendre le petit déjeuner, allons manger ».
Papa Kouyaté déclara qu’il n’a pas faim mais sentant sa trouille, le Président lui demanda d’aller manger sans rien craindre.
Voici à peu près la conversation :
  • Le Président : Tu sais, quand vous jouez au Palais, je vous observe et vous note, c’est pour des circonstances pareilles ; ma fille qui est là, a un concert en Italie demain, tu vas l’accompagner et vous voyagez ce soir à 18h.
  • Papa : Président, je ne cannais pas sa musique, je vais mal jouer ses morceaux.
  • Le Président : avec la Révolution, on sait tout et on peut tout faire.
  • Papa : je n’ai pas d’habits pour voyager.
  • Le Président : Elle a dit qu’elle t’achètera des habits à Paris.
Papa Kouyaté n’avait qu’une envie, trouver un prétexte et quitter les lieux mais rien à faire. Ainsi fut sa première rencontre avec Miriam Makéba; celle-ci avait eu des problèmes avec certains de ses musiciens dont le batteur qu’on avait enfermé ; alors il fallait le remplacer au pied levé.
Comme promis, Makéba dépensa à Paris, deux milles dollars pour ses habits.
Au retour de Milan en Italie, Makéba fit les éloges de Papa au Président ; Papa Kouyaté avait mis le feu sur scène ; le Président le remercia au nom de la révolution et du peuple de Guinée. La lettre que le Président écrivait était destinée au Ministre de la culture pour détacher Papa Kouyaté de Kèlètigui pour le compte de Makéba.
Il resta avec Miriam Makéba jusqu’à la mort de celle-ci ; il était présent à l’incinération en Afrique du Sud. Il fut le musicien et le beau fils de Miriam Makéba.
Papa Kouyaté est à la base de la création des sofas de Camayenne et du Syli Authentique.
Dans son salon, près de 250 photos de Miriam Makéba et comme la plus part des artistes, il se sent oublié. Ils veulent tous de la reconnaissance et j’espère que le documentaire aidera un peu plus dans ce sens.
Papa Kouyaté était devenu complètement aveugle, grâce à Antonio Souaré et d’autres, il a retrouvé une vue partielle. Pour les marches ou les obstacles, il faut lui tenir la main. Il n’était pas rentré dans la salle lors de la projection du film sur le Hafia77, parce que comme il le disait « je ne peux pas voir le film ; alors autant attendre dehors ».
C’était là, une façon de rendre un hommage à un grand artiste guinéen.
Un extrait des petits sorciers de Papa Kouyaté et d’une partie de salsa de Maitre Barry et Papa Kouyaté, dans un hôtel de la capitale.
Paul Théa.

Paul THEA

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