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Le scanner fait parler les masques sacrés de Guinée

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C’est un grand masque au faciès terrifiant, mi-homme mi-bête. Percé d’orbites ténébreuses et d’une cavité buccale qui semble exhaler une sourde menace, encadré d’une épaisse crinière végétale, le visage est un indéchiffrable agrégat de cornes de gazelle et de buffle, de coquillages, de noix, de poils, de peau, de terre, de résine et de sang animal.

Un assemblage hybride dont seule l’imagerie médicale est parvenue à révéler une partie – et une partie seulement – du mystère.

La pièce est l’une des plus saisissantes de la soixantaine réunies par l’exposition « Bois sacré. Initiation dans les forêts guinéennes », présentée jusqu’au 18 mai au Musée du quai Branly, à Paris. On y trouve, à côté de masques rituels, des statuettes et des pierres sculptées participant au système initiatique du poro, pratiqué depuis le XVIe siècle en Afrique de l’Ouest et toujours vivace dans certaines communautés de Guinée, du Liberia ou de Côte d’Ivoire.

« Ce devait être un masque très puissant, dédié à la protection de la communauté tout entière, suppute Aurélien Gaborit, responsable des collections africaines du musée et commissaire de l’exposition. Porté au-dessus de la tête par un membre d’une société secrète, il devait être garant de la santé et de la fertilité, chassant les ennemis et repoussant les envahisseurs. »

CHARGE MAGIQUE

Du pouvoir occulte de cet objet témoigne la charge magique, invisible à l’œil nu, dont il est porteur. Les rayons X, en effet, ont fait apparaître que les cornes de bovidés, dissimulées sous une croûte de sang sacrificiel, étaient emplies de matières organiques animales et végétales réduites en poudre, qui lui conféraient sans doute sa force.

« Nous avons un partenariat avec la clinique de l’Alma, qui nous permet de réaliser des scanners de certaines de nos pièces, explique Christophe Moulhérat, responsable du laboratoire de restauration du musée. Grâce à un logiciel spécifique dont nous avons été les premiers à nous doter, nous pouvons visualiser leur construction complexe, en trois dimensions, par une sorte de fouille virtuelle. » Il est ainsi possible, sans endommager l’objet, de l’examiner sous toutes les coutures, de le décortiquer, de sonder sa structure intime et de mettre au jour, sous l’amalgame qui le recouvre, l’alchimie des strates et des inclusions de matériaux dont il tire son « principe actif ». Mais aussi de partager ces informations avec des spécialistes de la faune et de la flore, pour en identifier les ingrédients.

ÉNIGMATIQUES POUVOIRS

Plusieurs pièces emblématiques de l’exposition ont été soumises à la question. L’équipe du quai Branly a par exemple découvert, sur un masque en bois du Liberia, une cavité protégée par des bandes de tissu et servant de réceptacle à des griffes de léopard, des cauris (petits coquillages associés à la divination), des colliers de graines, une perle de verre ou de pierre, des sachets de cuir ou de tissu semblables à des amulettes, mais aussi des fragments d’ossements – animaux ou humains ? – broyés et mêlés à des débris végétaux.

« La recette magique des éléments qu’il contient compte plus que l’objet lui-même, commente Aurélien Gaborit. Celui qui faisait cette préparation allait chercher la terre ou les plantes dans un lieu où il pensait que les esprits se rassemblaient, au pied d’un grand arbre ou au bord d’une rivière. Les masques, utilisés pour des cérémonies d’initiation des jeunes, à un moment charnière de leur vie où ils risquaient de passer sous l’emprise de forces malveillantes, servaient aussi lors des événements marquants pour la communauté, comme les funérailles. » Et même, à armes inégales, magie contre fusils, dans la lutte contre les Européens, le Portugal puis la France, dont la Guinée fut une colonie de 1891 à 1958.

Reste que les scanners sont encore loin d’avoir levé le voile sur les énigmatiques pouvoirs des bois sacrés des peuples de la forêt, dont la puissance de fascination demeure intacte.

Pierre Le Hir

Source: Le Monde

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