Lettre ouverte No 2, aux « marcheurs de Guinée »

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Qui pour marcher pour Zakariaou Diallo ?

Le 3 avril 2011, tombait Zakariaou Diallo (paix à son âme), première victime politique du « premier président démocratiquement élu », Alpha Condé. Assassinat survenu à peine 3 mois après l'investiture de ce dernier. Une première ligne rouge venait d'être franchie. Le président d'une partie de la Guinée, n'a même pas daigné présenter des condoléances à la famille éplorée comme il le fera un mois plus tard après l'assassinat d'un militaire, bon guinéen qui n'était pas d'une « certaine communauté ». Seule réaction du pouvoir : Kiridi Bangoura, porte parole du président dira « qu'il faut dépolitiser les droits de l'homme ». Injonction apparemment bien retenue par la classe politique et en conséquence, rien n'a été fait pour Zakariaou.

Unique et simple explication de « l'opposition » : le pouvoir (la justice : c'est la même chose) aurait « refusé de prendre la plainte de la famille et les partis politiques n'ont pas vocation à porter plainte ». Pourtant, partout ailleurs - même dans les fiefs traditionnels d'AC - où il y a eu des soulèvements contre le pouvoir (pas de « simples mobilisations populaires » comme celle du 3 avril 2011), il a au moins été obtenu l'ouverture d'enquêtes et, souvent, la destitution de responsables locaux.

À titre d'exemple récent : le siège du PEDN à Kankan, a été attaqué par « des loubards du pouvoir », en représailles à la manifestation du 18 Février 2013. Dans leur déclaration de 22 Février 2013, on peut lire que « L’ADP, le Collectif et le CDR déplorent et condamnent l’agression, à Kankan, du siège du Parti de l’Espoir pour le Développement National (PEDN) par les militants du parti au pouvoir)...L’opposition exige la mise en place immédiate d’une commission d’enquête indépendante en vue d’identifier et de punir, conformément à la loi, les auteurs de ces actes de violence...». Aujourd'hui, Guineenews.org nous apprend qu' « au lendemain de l’événement (mardi, 19 février 2013), les responsables de ces partis ont porté plainte auprès du Procureur de la République près le Tribunal de Première instance de Kankan contre les acteurs principaux de l’attaque ».

On note qu'une plainte a été déposée et acceptée, dès le lendemain, pas seulement par le PEDN, mais bien par tous les partis concernés et qu'a peine un mois après, « joint par Guinenews.org, le procureur de la République près le Tribunal de Première Instance de Kankan a déclaré qu’il est à l’attente du résultat de la commission chargée d’enquêter sur cette attaque ». Il faut donc saluer la démarche et le courage du leadership du PEDN, qui a réussi a démontré qu'un parti politique peut porter plainte et défendre ses militants. 

Des questions donc, pour « les marcheurs », que n'importe qui peut appeler « nos militants » :

Quels sont vos bilans des manifestations du 18 et 27 Février 2013 ? Qu'est ce qui fait qu'une victime guinéenne ne vaut pas une autre ? Quelle a été la teneur de la déclaration de l'opposition après la marche du 27 févier qui a enregistré près d'une dizaine de morts ? Faut-il donc s'attendre à de l'action de la part de ceux qui sont incapables de « condamner et exiger une commission d'enquête » pour des assassinats ?

Mais alors quelques différences :

Si en 2007 et 2009 vous étiez l'ensemble des guinéens, désormais vous n'êtes plus que « de simples politisés, rebelles d'une certaine communauté, anti-changement, habitants (pas citoyens) de l'axe-du-mal, fiefs indisciplinés de l'opposition, etc...». Si, en effet, il faut « dépolitiser les droits de l'homme », la question est donc de savoir : quelques soient les qualificatifs qu'on vous attribue, êtes-vous des êtres humains, avec des droits ? Depuis 2007, n'importe qui prend la tête de vos marches pour vous oublier dès qu'il obtient une parcelle d'autorité. Généreusement, vous transportez tout le monde aux portes du pouvoir, y récupérez ceux qui viennent de tomber en disgrâce, leur donnez une nouvelle image pour plus tard les aider à retrouver un siège dans le quel, ils pourront aisément vous ignorer et/ou donner l'ordre de vous éliminer. Vous nourrissez un système par ce qu'il recrache et espérez un résultat différent des expériences précédentes, C'est à croire que vous ne souhaitez qu'une chose : vous défaire des nombreuses étiquettes qu'on vous colle. En témoigne cette déclaration du porte parole de l'opposition Aboubacar Sylla : « Nous avons en même temps lancé un appel à tous nos responsables politiques, à nos militants, à nos sympathisants, et à tous les citoyens épris de paix et de liberté de nous accompagner, de nous rejoindre au TPI de Mafanco le mardi 2 avril prochain à 13 heures afin que par cette manifestation massive témoigne de leur attachement aux principes démocratiques, à la justice et à la liberté dans notre pays".

Ainsi, au nom d'une certaine stratégie politique (qui consiste à se faire aimer par ceux qui ne peuvent rien pour vous, et ne feront rien s'ils le pouvaient), à la veille du deuxième anniversaire de l'assassinat de Zakariaou Diallo vous irez marcher pour Jean Marc Teliano (leader politique) qui était, il y a encore quelques mois, membre du gouvernement qui aurait « refusé de prendre la plainte ». Pour devenir des citoyens « épris » des valeurs susmentionnées, parce que vous n'en avez pas suffisamment fait, vous allez donc devoir marcher pour cet ancien ministre qui regardait ailleurs et avait perdu sa langue lorsque d'autres citoyens se faisaient tués, emprisonnés, violés etc.

Autres questions donc, à vous qui cherchez encore des raisons pour marcher :

Les déboires judiciaires d'un leader politique sont-ils plus importants que l'assassinat de votre enfant, frère, ami, voisin qui marchait ou souffrait avec-vous ? Zakariaou et tous ceux qui sont tombés comme lui, ne sont-ils bons que pour les oubliettes politiques de leur communauté ? Pour qu'on s'en souvienne, combien de fois faut-il prononcer les formules « trop c'est trop», « plus jamais ça », « la ligne rouge a été franchie» etc. ?

C'est parce qu'elles sont justement sans conséquence pour eux que les dirigeants guinéens ignorent la signification des marches populaires. Depuis 2 ans et demi AC vous nargue : après avoir démontré tout ce que vous savez, mobilisé le monde entier, c'est encore lui le patron, maitre de Conakry et victorieux des batailles précédentes. Face à la mobilisation populaire, il a ses lobbys ; votre communication lui a toujours rendu service. Nombreux sont tombés mais on vous dit de marcher seulement pour négocier des sorties de crise et parler d'un processus électoral pipé depuis 2010 ? Finalement, qui est en crise ? Dans une future livraison je vous parlerai de la façon dont AC bénéficie de ces marches et crises du processus électoral. C'est à croire que tous ceux qui travaillent pour ce despote ne sont pas nécessairement avec lui.

Une sagesse soussou dit « Woyen nou gbo, a Khori ». Ce qui importe, c'est ce que vous faites après tous ces calculs « stratégiques », qui n'aboutissent qu'aux assassinats, tergiversations, justifications, et autres jérémiades, Et rebelote ! Il n'y a pourtant pas mille manières d'honorer ceux qui tombent pour une cause : on obtient justice et réparation pour eux, en achevant le travail ; les négociations ne doivent porter que sur l'allègement de la sentence du bourreau, s'il en demande.

Se souvenir des martyrs c'est de les rappeler à ceux qui les ignorent ou souhaitent qu'on les oublie. Puissent-ils reposer en paix !

 

Le 30 Mars 2013

Boubacar Barros Diallo

C'était encore « le traitre qui refuse d'oublier, Guinéen de l'étranger, n'ayant pas droit de vote, enfant de l'Axe du Mal, secteur Bambéto-Cosa ».

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