Où va la Guinée ?

Pourquoi faut-il que les dirigeants guinéens, plus précisément , ceux qui ont exercé la fonction de Président de la République, jusqu'à ce jour, aient eu pour thèmes favoris des discours de meetings populaires, la dénonciation véhémente sinon haineuse d'un ennemi intérieur ou extérieur?

Quelles sont les motivations profondes de ce réflexe complotiste permanent? On a l'impression qu'à chaque fois, faute de présenter une vision claire des réalités du pays, le spectre de l'ennemi, tapi dans l'ombre, est brandi à la foule. Nous étions, cependant, un grand nombre à croire que ce décor usé du théâtre politique guinéen faisait partie du changement mille fois annoncé par le Président Alpha Condé dans le cadre de son parti, le RPG, puis dans celui plus élargi de l'Alliance Arc-en-ciel.

 

Commencer dès ce début de quinquennat à signaler que le Pouvoir ne semble pas aller dans le sens des promesses faites, avant élection, aux Guinéens , n'est ni être contre le Président, ni être contre son camp. C'est parce qu'il n' y a eu aucun débat digne de ce nom, dès le départ des régimes qui se sont succédés depuis 1958 que notre pays est dans l'enlisement total que nous constatons aujourd'hui. On s'est toujours contenté ,dans notre pays, de faux consensus. Et cela semble se poursuivre.

Il y a des vérités que les amis et partisans sincères d'Alpha Condé, devraient être les premiers à les lui dire. Or les dérapages institutionnels, comportementaux et de train de vie d'un Etat aux caisses dites vides, qui se constatent depuis cinq mois (décembre 2010-mai 2011) , laissent pantois, un grand nombre d'animateurs locaux de l'Arc-en-ciel et même du RPG; Dire par conséquent de la part de certains qu'en l'état actuel de la situation en Guinée, on doit s'interdire tout débat politique, hors des mêmes apologies du système en place que tant de nos compatriotes savent faire, c'est à coup sûr , n'avoir rien retenu ni appris sur les malheurs passés et en cours du pays.

 

Des dérages institutionnels ont été signalés dès l'entrée en fonction du Président Alpha Condé pour des violations des lois en vigueur et des libertés publiques fondamentales : libertés de réunions et de manifestations prévues par ces mêmes lois, intimidation et acharnement contre les partis politiques d'opposition (dont l'UFDG de Cellou Dalein Diallo). La tentation totalitaire est manifeste dans l'exercise du pouvoir et consisterait, entre autres, à phagocyter les alliés de l'Arc-en-ciel par le RPG ou encore à pousser tous les syndicats à n'en former qu'un seul que le pouvoir manipulera à sa guise. Quelques titres de la presse, choisis au hasard et qui ne sont pas tous infondés, montrent ces dérives du pouvoir. Par exemple: “Trois ex-aides de camp de Cellou Dalein Diallo, condamnés à deux ans de prison ferme” ; “Irruption de la garde présidentielle au domicile de Cellou Dalein”; “Fouille du domicile du leader de l'UFDG à Dixinn Bora par les bérets rouges”, etc. Naturellement, ces violations de domicile qui se révèlent sans fondement, sont ensuite démenties en haut lieu alors que le Président a lui-même donné une possible justification de ces actes illégaux dans une déclation au Palais du Peuple lors son retour de Turquie, en ces termes: “ Ils ,(ses adversaires), sont assis à Dakar, en train de recruter des mercenaires. Ils n'ont qu'à venir avec leurs mercenaires, ils verront que la Guinée a une armée”. Voila qui explique publiquement les “mauvaises raisons” des irruptions fréquentes des bérets rouges au domicile de l'un des princicipaux dirigeants. Qui peut croire qu'un homme aussi figé dans un passé qui rappelle les beaux jours du PDG des années 1960 et subitement saisi par le réflexe complotiste, va réaliser des changements en Guinée? Seuls ceux qui ont un intérêt personnel de croire à ce changement le font pour eux-mêmes mais pas pour la Guinée. La majorité d'autres le font par ignorance. Ils sont lourdement abusés pour ne pas dire plus.

D' autres aspects de manipulations des lois en vigueur et de populisme primaire relèvent des faits de vouloir prétendre réaliser en si peu de temps des réformes qui n'en sont pas fondamentalement:

- Les fameux audits brandits depuis des années?... Oui sûrement,il ne faut pas les oublier, pourvu que ces audits soient réalisés par des organismes compétents et impartiaux et non pas comme une arme dirigée contre des adversaires politiques. En effet, selon des spécialistes de cette question, “l'audit est un processus systématique indépendant et documenté permettant de recueillir des informations objectives pour déterminer dans quelle mesure les éléments du système cible, satisfont aux exigences des référentiels du domaine concerné”...”détecter les anomalies et les risques dans les organismes et secteurs d'activité examinés”, etc. Il s'agit d'une opération sérieuse et non d'un instrument de propagande politique.

- Reprendre le recensement général pour les élections législatives?... Et bis repetita placent ( ce qui est répété plaît). On se souvient des manoeuvres qui ont précédé l'élection présidentielle du 27 juin au 7 novembre 2010. C'est dans le cadre de la liste existante à cette époque qu'Alpha Condé a été élu. Et ce temps n'est pas si lointain pour qu'on puisse raisonnablement estimer que cette liste est devenue obsolète. Encore une fois, ce qui semble intéresser le thaumaturge du RPG, c'est, comme en son temps, feu Lansana Conté avec son PUP, se fabriquer une assemblée nationale aux ordres. Or ce type d'assemblée béni oui oui n'a conduit à aucun progrès politique, économique et social.Mais ce ne semble pas être la préoccupation des adeptes du pouvoir personnel.

Pour éviter, par conséquent, que les mêmes fautes politiques du passé se répètent dans notre pays, il faut, qu'au - delà des points de presse, certes nécessaires à la vie des partis, une solide opposition se reconsolide autour de l'Alliance des Bâtisseurs de Cellou Dalein Diallo, Sidya Touré, Abé Sylla, Fodé Mohamed Soumah et d'autres. C'est une tâche immense, à n'en pas douter, que le Pouvoir en face qui dispose de tous les ingrédients de l'establishment, tentera de sabotter, pour employer un terme à la mode. Quand je dis tous les ingrédients, je pense à l'utilisation de tous les moyens d'Etat pour un homme et sa camarilla. Cela concerne notamment les fonfonctionnaires publics, les moyens d'information dont la RTG. J'en donne un exemple, parmi d'autres. Dans une interview sur les changements en Guinée (guineenews,org du 11 mai courant) de Dr Cheick Abdoul Camara, Ambassadeur de Guinée au Nigeria, de passage à Conakry, à la question du journaliste Aboubacar Cissé: “Dans la dynamique de ses premiers jours au pouvoir, le Président Alpha Condé a-t-il eu raison d'entamer le changement en Guinée par des réformes structurelles?” Dr Camara ,répondit: “Certainement oui! Chaque changement véritable d'un régime politique à un autre, amène à reconsidérer obligatoirement les fondements des droits tels qu'ils étaient précédemment conçus et pratiqués”. Le ton de cette longue interview est donné par le diplomate: ses réponses  dithyrambique et le piétinement de la constitution dans le cadre de laquelle, le Président a prêté serment d'allégence, en sont ouvertement la toile de fond. Mais plus grave est l'affirmation de l'obligation de reconsidérer les fondements des droits existants. C'est exactement ce qu'est un changement par coup d'Etat militaire qui suspend toutes les institutions républicaines, y compris le pouvoir législatif ( pour l'heure le CNT) que le diplomate nous donne.

 

 

J'ai aussi parlé des dérives comportementales dans un contexte d'Etat aux caisses dites vides. Je vise ici la dizaine de voyages à l'extérieur du chef de l'Etat depuis son élection, alors que le déplacement le plus lointain à l'intérieur de la Guinée n'a été que pour Kindia à 150km de Conakry et pour quelques heures. Quelles sont les raisons de ces pérégrinations? Leurs coûts? Est-ce pour dire simplement: “Guinée is back?” On n'apprendrait rien à personne de répéter que le rendez-vous des nations est celui du donner et du recevoir? A l'heure actuelle qu'apporte le Chef de l'Etat guinéen aux autres dans ses déplacements? Pour le faire, il faudrait, chacun le sait, d'abord travailler chez-soi. Quel extraordinaire herbier fécond de créativité, les jeunes talents guinéens pétris des techniques de développement en tous genre mais éparpillés aux quatre coins du monde auraient constitué pour de véritables changements économique et sociaux! Secouant la somnolance des pratiques sociales obsolètes, seules ces jeunes générations massivement appelées à la tâche dans tous secteurs cofondus et confiantes en l'avenir commun, seront capables de faire de la Guinée une oasis de prospérité en Afrique de l'Ouest. Ce n'est pas cette voie d'appel de nouvelles figures aux affaires qui a été choisie, mais beaucoup de ceux qui peuvent éventuellement être concernés par les fameux audits. Et ce ne sont pas des discours de circonstance qui nous placeront de sitôt en seconde position économique, en Afrique de l'Ouest, après le Nigeria, comme l'affirme Alpha Condé. Même la Côte d'Ivoire qui vient de traverser de terribles épreuves aura très probablement la possibilité de se relever plus rapidement que nous autres Guinéens, si nos dirigeants actuels persistent dans le bricolage politicien. Dans ce pays voisin, le Président Alhassane Ouattara a déjà fortement mis l'accent sur la réconciliation nationale et il s'y emploie pour la reconstruction.

Après l'élection présidentielle chaotique de novembre 2010, j'avais écrit, au regard des résultats serrés,que le camp vainqueur devait avoir le triomphe modeste pour espérer réussir l'opération vérité et réconciliation, base du renouveau et que personne ne souhaite être l'occasion des règlements de comptes et des vengeances . La crispation marquée du Chef de l'Etat envers l'opposition ne semble pas avoir vraiment ouvert cette voie car si l'on s'installe dans la posture de “ceux qui ne sont pas avec moi, sont contre moi” , on ne voit pas comment la Guinée va se sortir de son enlisement. En ce XXIe siècle, les sratégies de répression pour conserver le pouvoir politique ne fonctionneront plus nulle part en Afrique. La contrainte et l'utilisation de la force ne peuvent pas mener à une une société d'apaisement et de développement économique et social. C'est pourquoi, les agitations du système militaro-civile,réellement en place en Guinée ne constitueront encore, une fois, que des obstacles à la marche en avant du pays. C'est une vraie ouverture des esprits et des coeurs, impulsée par tous les leaders politiques qui conduira à l'opération vérité et réconciliation ,seule voie de salut collectif. Et c'est au constat de cette évolution par tous les Guinéens, sans exclusion que nous verrons tous où va la Guinée.

 

 

Ansoumane Doré 'Dijon, France)

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