Présidentielle en Guinée : méfiance réciproque entre candidats

 

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Face au sortant, Alpha Condé, les principaux candidats déclarés au premier tour de la présidentielle se quittent, se rapprochent, se jaugent. À deux mois du scrutin, aucun jeu n'est vraiment fait. Petit tremblement de terre. Le 19 juin, en allant rencontrer l’ancien putschiste Moussa Dadis Camara à Ouagadougou et en scellant avec lui une alliance électorale en vue de la présidentielle d’octobre, Cellou Dalein Diallo, le numéro un de l’opposition guinéenne, a réussi un coup politique.

Au second tour de la présidentielle de 2010 et aux législatives de septembre 2013, la Guinée forestière, région natale du capitaine Dadis Camara, avait donné sa préférence à Alpha Condé et à son parti, le Rassemblement du peuple de Guinée (RPG). Si la nouvelle consigne de vote de « Dadis » est suivie par les habitants de cette région – qui représentent quelque 12 % de l’électorat guinéen -, « Cellou » pourra espérer prendre sa revanche sur « Alpha », qui l’avait battu d’une courte tête en novembre 2010 (52,52 %, contre 47,48 %).

Dadis, un allié compromettant

Le problème, c’est que Moussa Dadis Camara est un allié très compremettant. Le 28 septembre 2009, alors qu'il était au pouvoir depuis neuf mois, son armée avait fait irruption dans le grand stade de Conakry, où l’opposition tenait meeting, et avait tiré sur la foule. Selon un rapport de la Commission internationale d’enquête de l’ONU, 157 personnes avaient été tuées par balle ou à l’arme blanche ; 109 femmes avaient été violées. Un crime d’une ampleur exceptionnelle.

En s’alliant avec l’ancien chef de la junte guinéenne, Cellou Dalein Diallo heurte nombre de ses compatriotes, à commencer par les familles des victimes de ce carnage. Le pacte Cellou-Dadis leur semble d’autant plus incroyable que le président de l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG) avait lui-même été gravement blessé dans ce stade. L’ex-chef de l’État sénégalais Abdoulaye Wade avait alors dû se mettre en quatre pour le faire évacuer sur Paris. « À mon sens, [cette alliance] est une insulte à la mémoire de ces 150 personnes qui sont tombées sous le régime de Dadis. Franchement, pour moi, à partir de cet acte, Cellou a perdu son âme », estime Amadou Damaro Camara, le chef du groupe RPG à l’Assemblée nationale.

Dans le camp d’Alpha, on ne cache pas sa satisfaction de voir Cellou et Sidya s’entredéchirer

Justifications

« Mes militants comprennent parfaitement cette alliance, réplique Dalein Diallo. M. Dadis Camara jouit de la présomption d’innocence et dirige un parti régulièrement agréé, qui a un potentiel électoral important. Nous avons décidé de conjuguer nos efforts pour obtenir l’alternance. » Le président de l’UFDG passe même à la contre-attaque : « Souvenez-vous qu’en 2010 Alpha Condé a demandé le soutien de Moussa Dadis Camara pour le second tour. Personne n’a rien dit.

En 2013, à l’occasion des législatives, Alpha Condé s’est déplacé à Ouagadougou pour faire la même requête [allusion à la rencontre Alpha-Dadis du 2 mars 2013 dans une résidence de Ouaga 2000]. Moussa Dadis Camara a alors demandé à ses partisans de voter RPG. Aujourd’hui, tout le monde crie au scandale. Mais pourquoi n’a-t-on pas reproché à Alpha Condé d’avoir fait cela en 2010 et en 2013 ? »

Inculpation de Dadis Camara : coïncidence ?

Est-ce une simple coïncidence ? Jusqu’à ce 19 juin 2015, la justice de Conakry n’avait jamais inquiété l’homme qui gouvernait la Guinée au moment du drame de septembre 2009. Mais, le 6 juillet dernier, deux juges guinéens ont débarqué au Burkina Faso pour auditionner Moussa Dadis Camara. Deux jours plus tard, il est inculpé pour "complicité d'assassinats, séquestrations, viols, coups et blessures" lors du massacre du 28 septembre 2009. Aussitôt, Cellou crie à « l’instrumentalisation de la justice à des fins politiques ».

Plus significatif encore, le ministre conseiller à la présidence Papa Koly Kourouma reconnaît que le rapprochement Cellou-Dadis a été « l’élément déclencheur » de l’inculpation de ce dernier – qui n’est autre que son neveu. « Ce qu’on n’a pas fait pendant cinq ans, on le fait en quarante-huit heures, regrette-t-il. Cette inculpation est plus politique que juridique. »

Quant à l’écrivain Thierno Monénembo, Prix Renaudot 2008, il dénonce « cette inculpation précipitée, après des années d’inertie et de mauvaise foi ».

Que la justice soit instrumentalisée ou non, le fait est là. À présent, Dadis va devoir répondre des actes qu’il a commis le 28 septembre 2009. « Nous nous félicitons grandement de cette inculpation que nous réclamions depuis plusieurs années et que la justice devait réaliser depuis plusieurs mois déjà », déclare la Tunisienne Souhayr Belhassen, présidente d’honneur de la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH). « Les victimes de ces crimes odieux sont en quête de justice depuis plus de cinq ans, et aujourd’hui elles se rapprochent de la vérité », se réjouit Corinne Dufka, une responsable de Human Rights Watch. De fait, pendant les cinq années où il avait frayé avec le RPG, Dadis avait échappé à toute poursuite. Depuis sa volte-face en faveur de l’UFDG, les familles des victimes de septembre 2009 peuvent espérer le retrouver un jour prochain devant un tribunal de Conakry.

Lors de l’annonce de sa candidature, en mai, l’ancien putschiste disait vouloir rentrer au pays en juin. Au lendemain de son inculpation, le 9 juillet, il confirmait à Jeune Afrique qu'il comptait bien le faire prochainement, avant d’ajouter : « Les élections approchent, la justice avance. Depuis mon exil forcé, j’attends que la lumière soit faite sur les événements […]. J’attends que la justice conforte ma légitimité à me battre pour la Guinée dans des élections démocratiques. » Et, en attendant, il est toujours à Ouaga. Certains proches évoquent son retour pour la première quinzaine d’août…

Lâché par Sydia, Cellou s’est tourné vers Dadis

Pourquoi Cellou prend-il le risque de « perdre son âme » dans une alliance avec Dadis ? Parce que Sidya Touré, son allié de ces cinq dernières années, vient subitement de le quitter. À la tête de l’Union des forces républicaines (UFR), « Sidya » a espéré pendant quelque temps qu’il pourrait être le candidat unique de l’opposition, étant donné qu’il est issu d’une petite communauté (les Soussous de Basse-Guinée) moins « clivante » que celle de Cellou (les Peuls de Moyenne-Guinée). Mais quand il a vu que Cellou irait au combat avec l’UFDG, Sidya a décidé de rompre avec lui et de partir seul à la bataille d’octobre prochain, avec le renfort de plusieurs petits partis de la place.

Sidya va-t-il se rapprocher d’Alpha Condé ? Pour l’instant, il n’en est pas question. Au premier tour, prévu le 11 octobre, le président de l’UFR dit vouloir mesurer sa force électorale et négocier au mieux entre les deux tours. Avec Alpha Condé ? Sidya Touré ne l’exclut pas. « Ceux qui voudront me soutenir [si je suis qualifié pour le second tour], je leur tendrai la main absolument », dit-il. Sous-entendu : « tout est possible ».

Dans le camp d’Alpha, on ne cache pas sa satisfaction de voir Cellou et Sidya s’entredéchirer. « Nous ne pouvons observer cela qu’avec plaisir, confirme Saramady Touré, le secrétaire permanent du RPG. Quand Sidya parle de ceux qui voudront le soutenir [après le premier tour], je trouve cela amusant, mais c’est une ouverture que j’apprécie à sa juste valeur. » En privé, plusieurs cadres du RPG anticipent déjà un second tour Alpha-Cellou (comme en 2010), au cours duquel Sidya pourrait négocier son ralliement à Alpha en échange de la promesse du poste de Premier ministre. C’est fin août-début septembre que le président sortant sera officiellement désigné candidat du RPG lors d’une convention nationale de ce parti.

La bataille est également économique

Au-delà de la question des alliances, la bataille d’octobre se jouera sur le terrain économique. Lors du congrès de l’UFDG, le 23 juillet, Cellou a dénoncé le faible taux de croissance de la Guinée, même avant l’épidémie Ebola (selon les estimations du FMI, il serait de 3,8 % en 2012 et en 2013, contre 1,9 % en 2010). Alpha, au contraire, compte tirer parti de ses réussites : la riziculture en plein essor, l’électricité enfin disponible à Conakry, les 45 kilomètres d’autoroute construits en quatre ans, etc. Au vu des résultats des législatives de septembre 2013, la bataille promet d’être serrée… À condition que l’opposition juge le scrutin crédible et qu’elle ne le boycotte pas.

TROIS POINTS DE BLOCAGE

Pour aller à la présidentielle d’octobre, l’opposition réclame d’abord la neutralité des exécutifs des 304 communes rurales et des 38 communes urbaines du pays (non renouvelés depuis dix ans, ils sont provisoirement dirigés par des fonctionnaires). Étant donné qu’il est trop tard pour organiser des élections locales avant la présidentielle, Cellou Dalein Diallo et Sidya Touré, qui sont au moins d’accord sur ce point, proposent que ces exécutifs communaux, où ne siège pour l’instant aucun représentant de l’opposition, soient recomposés sur la base des résultats des législatives de septembre 2013. Le pouvoir est ouvert à une solution.

Par ailleurs, les deux chefs de l’opposition s’étonnent que « près de 50 % des 1,3 million de nouveaux inscrits sur les listes [soient] originaires de la Haute-Guinée, le fief du président Alpha Condé ». Ils demandent donc un nettoyage du fichier électoral. Enfin, « Cellou » et « Sidya » protestent avec véhémence contre le déséquilibre pouvoir-opposition au sein de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni). Au départ, celle-ci était paritaire (10 contre 10), mais, au fil des années, plusieurs commissaires se sont laissés convaincre de changer de camp et, aujourd’hui, seulement 3 sur 20 représentent l’opposition.

Pour l’heure, le pouvoir ne veut rien changer. Et les deux médiateurs, le Ghanéen Mohamed Ibn Chambas pour l’ONU et le Béninois Robert Dossou pour la Cedeao, ne cachent pas leur inquiétude.

Source: jeune afrique

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