Réponse à Jean-Paul Dessertine, soutien dithyrambique d'Alpha Condé

Index 192

Dans une tribune de Jean-Paul Dessertine, publiée le 29 Avril dans la revue « Jeune Afrique », et intitulée « le laboratoire guinéen1 », on trouve de nombreuses contre-vérités, similaires à celles de la propagande gouvernementale guinéenne, qu'il convient de recadrer pour ne pas donner l'image d'une Guinée fantasmatique.

Première contre-vérité

L'article annonce vite la couleur, puisqu'il commence ainsi « alors que dans trop de pays les pouvoirs en place s'acharnent à violer les lois constitutionnelles, les forces politiques d'opposition en Guinée semblent paradoxalement ne travailler qu'à les mettre en péril ».

Ce lieu commun se dispense évidemment d'illustrations, alors que j'ai écrit de nombreux textes en ligne, montrant qu'Alpha Condé – et non l'opposition – avait violé la Constitution (j'en rappellerai certains éléments en fin de texte pour information). L'opposition est minoritaire à l'Assemblée Nationale, on a du mal à comprendre comment elle pourrait violer la Constitution.

Deuxième contre-vérité

Il ajoute « ... une Commission électorale indépendante et paritaire, un Conseil constitutionnel et une Cour des comptes établis, une armée et une justice réformées, une liberté de la presse et de l'expression totale, aucun procès politique, une opposition libre de ses actions et de ses critiques... ».

Pour ceux qui suivent l'actualité guinéenne, ils ont du manquer de s'étouffer par de telles inexactitudes :

  • l'indépendance de la CENI n'est que formelle : j'ai écrit une dizaine de textes à son sujet pour le démontrer. Sans doute l'auteur, assidu de l'actualité guinéenne, n'a rien trouvé à y redire, à moins qu'il ne soit un soutien de la dernière heure.
  • la parité de la CENI : sans aller plus loin, il suffit de savoir qu'elle comprend 25 membres (pair, impair ?).
  • le Conseil constitutionnel a été mis en place de façon illégale (cela fera l'objet d'un recours).
  • la Cour des Comptes n'existe pas.
  • l'armée réformée : il est vrai que ce ne sont plus les militaires qui tirent sur les citoyens, mais les gendarmes – qui dépendent du Ministère de la Défense, dont le titulaire est… Alpha Condé lui-même ; sous cet angle, il y a bien eu changement ou réforme.
  • la justice réformée : William Fernandez, procureur et membre du Conseil Supérieur de la Magistrature, pour ne citer que celui là, est un ancien trafiquant de drogue notoire. Là encore le recyclage des délinquants constitue bien une réforme.
  • la liberté de la presse : il faudrait interroger Reporters sans Frontières pour savoir ce qu'en pensent Mamadou Saïdou Barry, Mouctar Bah, Moussa Diawara, Sékou Chérif Diallo, Mandian Sidibé, pour ne citer qu'eux, en vue d'illustrer cette liberté.
  • aucun procès politique : voir le pseudo-attentat du 18 Juillet 2011, où des citoyens accusés avant jugement sont toujours emprisonnés en Mai 2015, alors que la détention préventive est au maximum de 2 ans ; ceux qui ont assisté à une parodie de procès pour d'autres, et dont ils peuvent trouver le compte-rendu sur Internet, doivent rire jaune.
  • la liberté des actions de l'opposition : on n'a jamais su – pas d'enquête comme à l'accoutumée - si des gendarmes avaient tiré le 27 Août 2012, sur le véhicule de Lansana Kouyaté, transportant également Cellou Dalein Diallo et Sydia Touré - soit les 3 ex-PM, principaux opposants à Alpha Condé -, en sachant si son véhicule était blindé ou pas.

Troisième contre-vérité

Selon l'auteur « la tragédie de l'épidémie d'Ebola aurait dû convaincre toutes les forces politiques et la société civile de faire preuve de responsabilité et de privilégier l'unité nationale plutôt que de se confiner à un débat sur des élections locales secondaires qui ne s'étaient pas tenues depuis dix ans, donc antérieurement à l'élection présidentielle de 2010 ! »

Autrement dit, peu importe qu'Alpha Condé manipule l'opinion sur la lutte contre ébola – à géométrie variable2 -, peu importe les élections communales, qui n'intéressent personne (sauf les Guinéens ???), priorité à l'élection présidentielle. On imagine mal quelle serait la réaction de Jean-Paul Dessertine, si François Hollande annulait les élections régionales en France en Décembre 2015, pour cause de moindre intérêt. En fait le président français n'a pas ce pouvoir, contrairement à Alpha Condé, qui ne l'a pas non plus, mais le prend quand même. Je n'irais pas jusqu'à dire que Jean-Paul Dessertine préjuge que les Noirs n'ont pas besoin de cela – il ne l'a pas écrit -, mais on se demande bien quand même ce qu'il sous-entend, dans son assertion.

Quatrième contre-vérité

« Comment comprendre qu'une opposition sans projet, sans programme et sans unité, incapable ni de se soumettre aux Institutions ni a fortiori de contribuer à leur consolidation, conteste et récuse la légitimité institutionnelle présente alors qu'elle s'était accommodée et avait consenti et collaboré à l'illégitimité qui avait si longtemps prévalu en Guinée ? »

Je crois reconnaître les arguments du pouvoir actuel. Il faudrait peut-être expliquer à l'auteur que le gouvernement d'Alpha Condé n'a pas davantage de projet, ni de programme, qu'il est difficile de se soumettre à des Institutions pour la plupart illégales, une partie de la société civile allant se charger de le montrer, puisque l'opposition, il est vrai, n'a pas été opportuniste en la matière. Enfin qu'il ne faut pas réduire la Guinée à un président et 3 opposants, parce qu'il existe aussi en Guinée des citoyens, qui veulent démocratiser le pays, mais c'est un chemin de longue haleine. Malheureusement il ne faut pas compter sur l'auteur manifestement, pour y parvenir, car seul l'ordre, envers et contre tout, semble l'intéresser.

En effet, Jean-Paul Dessertine, rappelle plusieurs fois que « le rétablissement des équilibres macroéconomiques, les accords passés avec les Institutions multilatérales, le contrôle du déficit budgétaire et de l'inflation confortaient la confiance des investisseurs étrangers et nationaux ». Sous une autre forme, il serine que « sans stabilité politique et pérennité des institutions, aucun développement, aucune progression des investissements et donc amélioration des conditions d'existence ne sont possibles ».

En fait, non seulement il laisse entendre que peu importe le sort des Guinéens – à l'entendre tout va bien -, l'ordre doit régner en Guinée, pour permettre la venue d'investisseurs étrangers. Il serait surpris si je lui rappelais que les 3 ex-PM sont des libéraux, favorables à l'entreprise privée, alors qu'Alpha Condé communiste (version Chine) de formation est un opportuniste.

Quant à dire que le fait que les ex-PM s'étaient accommodés d'illégalité lorsqu'ils étaient au pouvoir, devrait autoriser Alpha Condé à en faire de même, je me pose la question de savoir quel est le modèle démocratique de Jean-Paul Dessertine.

Des conseils que l'on peut entendre

La seule chose avec laquelle je sois d'accord avec l'auteur, c'est le refus de la violence… mais celle de l'État, qui tue impunément. Ce sont plus de 60 « manifestants pacifiques » ou citoyens qui ont été tués depuis 2011, plus de 300 personnes tuées en forêt à l'été 2013, des assassinats ciblés… L'auteur a été particulièrement inaudible en ces occasions, mais peut-être qu'il ne connaissait pas encore la Guinée.

De même je partage son conseil consistant à dire que « quiconque est soucieux de l'avenir du pays doit appeler le président … au respect rigoureux de la loi ». Je vais lui fournir de nombreux exemples de violations de la Constitution ou de la loi, mais j'ai beau chercher, je ne vois pas ces conseils adressés à Alpha Condé, pourtant garant du respect de la Constitution.

Un rappel non exhaustif du « libéralisme économique » d'Alpha Condé

Je vais par ailleurs rappeler à l'auteur, quelques-unes des décisions non exhaustives d'Alpha Condé depuis 2011, qui illustreront sa foi pour le libéralisme et l'entreprise privée. Les décisions ne concernent que les aspects économiques directs ou indirects, les violations constitutionnelles étant malheureusement plus nombreuses dans le domaine politique.

  • violation de la Constitution, et notamment des articles 46 (remplacement illégal de hauts fonctionnaires3), 129 (remplacement illégal du Médiateur de la République) et 13 (annulation par décret présidentiel d'un bail emphytéotique entre l'État et une entreprise privée, la société avicole de Dubréka).
  • révocation par décret présidentiel du directeur d'une entreprise privée, sic…
  • expropriation de particuliers ou d'entreprises, pour faire libérer sans jugement les patrimoines bâti et non bâti de l'État.
  • substitution de l'État aux commerçants dans la vente de riz, mais également dans des secteurs économiques, sans qu'on les connaisse à l'avance. Il est difficile d'investir dans un secteur où l'État est soit un concurrent (forcément déloyal puisqu'il ne respecte pas les contrats qu'il a signés), soit un partenaire imposé (ou ses représentants se confondent avec l'État lui-même).
  • subventions d'entreprises publiques virtuellement en faillite (Sotelgui), ou subventions aux importations de riz (que doivent penser les agriculteurs, dont le gouvernement prône pourtant l'autosuffisance alimentaire ?).
  • affaire Bolloré/Getma International, où on avait réquisitionné le matériel d'une société étrangère (Necotrans) sans décision de justice, avant d'annuler par décret présidentiel le contrat de concession qui la liait à l'État. On rappelle que la Guinée a été condamnée à payer 38,5 millions d'€ (45 millions aujourd'hui avec les intérêts) par la CCJA, Bolloré 2,1 millions d'€ par la justice française (même si cette dernière affaire est en appel), une autre procédure étant actuellement en cours au Cirdi.
  • nationalisation (sans autre forme de procès4) des usines Soguiplast, Soguirep et Sanoya.
  • nombreux allers-retours dans la gestion du site minier de Simandou vendu à des Sud-Africains, à des Chinois, à des Brésiliens5… Une commission d'affidés a même été mise en place pour accuser la société BSGR de corruption, on n'a même pas pris la peine d'un jugement de tribunal.
  • le Code minier de 1995 a été mis à jour en 2011, puis réécrit, parce que ce « papier » qui devait amener la croissance économique (sic), n'était pas du goût des investisseurs.
  • des prix imposés, pas seulement pour des produits achetés par l'État (carburant) ou par ses affidés (riz), mais également pour des produits du régime concurrentiel des opérateurs économiques (transport, engrais).
  • un déficit budgétaire chronique, où il est expressément écrit dans la loi de finances que ce déficit sera financé par… de possibles (rien n'est moins sûr) appuis budgétaires attendus de la BAD et de l'UE, des réaménagements nets sur la dette extérieure à négocier (donc non obtenus). Sic...

 

Bref, doit-on se réjouir du regard anachronique de Jean-Paul Dessertine, qui trouve que la Guinée est un pays où le manque d'investissements est du à … une opposition irresponsable ?

Il est donc évident que celui qui se présente comme économiste, alors qu'il fut surtout un banquier, ancien conseiller aux affaires, a perdu de sa faconde. Il est vrai qu'à l'époque de la mondialisation, celle-ci n'est pas toujours comprise par la génération des septuagénaires (presqu'octogénaires), dont fait partie Alpha Condé… et Jean-Paul Dessertine. Ceci explique peut-être cela.

 

Gandhi, citoyen guinéen

« Dans tout État libre, chaque citoyen est une sentinelle de la liberté qui doit crier, au moindre bruit, à la moindre apparence du danger qui la menace ». (Robespierre, Discours sur la liberté de la presse, Mai 1791).

 

1 http://www.jeuneafrique.com/Article_ARTJAWEB20150429111926_tribunele-laboratoire-guin-en.html

2 De Mai à Juin 2014, Alpha Condé accusait Médecins Sans Frontières de faire du business avec ébola.

3 Le gouverneur de la BCRG (Banque centrale), les directeurs de la CNSS (Sécurité sociale), du Port Autonome...

4 Décision du Conseil des Ministres du 24 Février 2011.

5 BHP Billiton est parti, BSGR et Valé sont partis, et ce n'est pas à cause de l'opposition.

  • 1 vote. Moyenne 5 sur 5.

Ajouter un commentaire