Réponse au Président de l'Assemblée Nationale sur le chronogramme

Sans titre 50

Dans son allocution de clôture des travaux de la session des lois 2015, Claude Kory Kondiano, Président de l'Assemblée Nationale guinéenne, déclarait que les élections locales ne pouvaient pas se tenir avant la présidentielle, prévue au mois d'Octobre prochain. Il y exposait les principales contraintes techniques pouvant justifier son affirmation.

J'avais déjà répondu dans un papier récent1 aux soi-disant impossibilités de ne pas respecter la loi, mais d'autres contraintes ayant été ajoutées, il convient de s'y pencher, non sans avoir rappelé en préalable, l'essentiel de ce qu'il faut savoir en la matière.

 

Rappel succinct du modèle de décentralisation en Guinée

Il faut distinguer l'organisation déconcentrée avec les 8 régions administratives2 et les 33 préfectures, dont les représentants (gouverneur de Conakry, préfets et sous-préfets) sont nommés par la tutelle du Ministère de l'Administration Territoriale et de la Décentralisation.

Il existe également une organisation décentralisée – celle qui nous intéresse -, qui comprend les 33 villes chefs-lieux de préfectures érigées en Communes Urbaines (CU) ainsi que les 5 communes de Conakry, et les 303 sous-préfectures érigées en Communautés Rurales de Développement (CRD) dont les responsables sont élus. À cela il faut ajouter les 270 conseils de quartiers urbains3 et les 1700 conseils de districts ruraux4.

Cadre général des CU

L’administration et la gestion de chaque commune est assurée par un Conseil communal (organe délibérant) et un maire (organe exécutif) dont les mandats sont de 4 ans5.

Le Conseil communal est composé d'un collège des représentants de la population (élus au suffrage universel direct) et d'un collège des représentants des groupements à caractère économique et social (désignés par la tutelle). La tête de liste ayant obtenu le plus nombre de suffrage devient automatiquement le Maire.

Le nombre de conseillers communaux varie selon les dispositions suivantes :

11 conseillers

Population inférieure à 10 000 habitants

15 conseillers

Population comprise entre 10 001 et 30 000 habitants

19 conseillers

Population comprise entre 30 001 et 40 000 habitants

23 conseillers

Population comprise entre 40 001 et 50 000 habitants

27 conseillers

Population comprise entre 50 001 et 60 000 habitants

31 conseillers

Population comprise entre 60 001 et 100 000 habitants

Pour les communes de plus de 100 000 habitants, le nombre de conseillers augmente d’une unité par tranche de 25 000 habitants dans la limite maximale de 41 conseillers (ce qui signifie qu'à partir de 350 000 habitants ou plus, le nombre de conseillers est plafonné à 41).

La situation particulière de Conakry

La ville de Conakry constitue une des 8 régions administratives sous l'autorité du gouverneur et du Conseil de la ville de Conakry, qui comprend un collège de représentants des conseils communaux élus en leur sein (les 5 maires sont membres de droit + 25 représentants, soit 5 par commune) et un collège de 7 représentants des organismes à caractère économique et social (désignés par la tutelle). Le mandat des conseils est de 4 ans renouvelables.

Mais à Conakry il existe également 5 communes urbaines, dont le fonctionnement est identique à celui évoqué dans le cadre général.

Cadre général des CRD

L’organe délibérant de la CRD est le conseil communautaire et l’organe exécutif est le Président du conseil communautaire.

Le conseil communautaire est composé de membres élus en leur sein pour 4 ans, par les conseils de districts et par les représentants des organismes à caractère socio-économique. Chaque district est représenté au sein du conseil communautaire par 2 délégués.

 

Les 6 arguments de CK Kondiano pour ne pas débuter par les élections locales

1°) - Sur le nombre de conseillers à élire dans une circonscription électorale

Claude Kory Kondiano rappelle que l'article 86 du Code des collectivités locales dispose que « le nombre des membres du Conseil local est fixé conformément au tableau ci-après6», ce qui revient à dire que le nombre de conseillers à élire dans une circonscription électorale, doit être proportionnel au nombre d'habitants de cette localité, d'où la nécessité de déterminer ce nombre.

Puisque le problème des données statistiques fiables de la population pouvant permettre la détermination du nombre des conseillers par circonscription électorale n'est pas résolu, le dernier recensement général de la population ayant été récusé par l'opposition (et la société civile), Claude Kory Kondiano indique qu'il faudrait commencer par accepter le résultat de ce recensement, c'est-à-dire avaliser une fraude scandaleuse. Se rend-il compte de ce qu'il dit ?

La façon la plus consensuelle de régler ce problème – sauf à vouloir absolument tricher -, est de s'appuyer sur les anciennes données, sans tenir compte d'accroissements démographiques complètement incohérents, qui induisent forcément une suspicion légitime. De toute façon, le nombre de conseillers ne change strictement rien à la donne : si une ville possède 31 conseillers et que le RPG possède une majorité de 52%, le fait de passer à 36 conseillers ou plus parce que l'accroissement démographique l'imposerait, ne changera pas ces 52%, mais simplement le nombre de conseillers. Autrement dit, c'est un faux argument que d'évoquer cet argument pour tenter d'empêcher les élections communales de se tenir.

2°) - La simultanéité de toutes les élections locales

Claude Kory Kondiano rappelle également que l'article 3 du Code des collectivités locales dispose que « les Communes urbaines (CU) et les Communautés rurales de développement (CRD) constituent le cadre institutionnel de la participation des citoyens à la vie démocratique locale et garantissent l'expression de la diversité. Les quartiers et les districts sont des sections des CU et des CRD ». Cela revient donc à considérer qu'il y a obligation d'organiser toutes les élections locales au même moment. Il est vrai que l'article 113 du Code électoral précise que « les conseils communaux sont élus au scrutin proportionnel de listes à un tour, pour un mandat de 5 ans, renouvelable », alors qu'on a vu que la plupart des mandats locaux duraient 4 ans. Où est le problème ? Il suffit aux députés de faire ces modifications, qu'ils auraient du faire depuis longtemps – on se demande à quoi ils servent ? - via une loi organique, qu'ils sont les seuls à pouvoir voter.

3°) - Le viol du secret du vote

Les articles 100 et 102 du Code électoral instituent un mode d'expression du suffrage qui viole la règle du secret, en disposant que « les conseillers sont élus au scrutin majoritaire uninominal à un tour pour les districts - le vote se fait à main levée ou par alignement [selon l'article 102] -, et au scrutin de liste à la représentation proportionnelle pour les quartiers ».

Selon Kondiano, le Code électoral doit donc obligatoirement faire l'objet d'une révision pour instaurer le secret partout, mais comme pour les petites modifications précédentes, 24 heures devraient être largement suffisantes pour y parvenir.

4°) - La durée des mandats

Selon Kondiano le mandat de ces conseillers (quartier et districts) est de 4 ans renouvelable, mais depuis qu'ils ont été installés en 1992, leur mandat n'a jamais été renouvelé. Raison de plus pour le faire maintenant.

5°) - L'organisation judiciaire au niveau local

Selon l'article 120 du Code électoral, les juridictions compétentes pour juger du contentieux électoral sont les tribunaux de première instance (TPI) et les justices de paix. Il convient donc de les restructurer, pour les rendre aptes à gérer les aspects juridiques des prochaines élections locales.

Il a néanmoins rappelé qu'une loi portant réorganisation judiciaire initiée par le Ministre de la Justice vient d'être adoptée par l'Assemblée Nationale et sera bientôt promulguée par le Président de la République. Mais, note-t-il, pour pouvoir l'appliquer, il faut d'abord combler le déficit de 350 magistrats qu'a décelé cette organisation en les recrutant et en les formant.

Il ressort donc que le déficit d'effectif indispensable de magistrats à combler, ainsi que la nécessité de les former, constitueraient des préalables juridiques incontournables à lever, avant d'aller aux élections locales.

Pourtant j'avais écrit dans mon texte précité, qu'il manquait un certain nombre de magistrats, ce qui prouve bien que le gouvernement n'ayant pas embauché ceux-ci entre 2013 et 2015, n'avait nullement prévu (anticipé) la tenue des élections communales. Et il ose évoquer le fait qu'il manque des magistrats. Il n'a même pas honte de se prévaloir de ses propres turpitudes.

S'il est vrai qu'il existe des Commissions administratives de centralisation des votes (CACV) dans chacune des circonscriptions électorales, composées de 5 membres, et obligatoirement présidées par un magistrat proposé par la Cour suprême, il est inconcevable de nommer de nouveaux magistrats en 2015, et de les former en si peu de temps. On pourrait donc mettre des juristes expérimentés pour les remplacer. Des officiers ministériels7 pourraient très bien faire l'affaire. Cela éviterait aussi d'alourdir le budget de l'État en nommant des magistrats, dont le ministère n'aurait pas forcément besoin.

Quant à la justice de paix, elle vient d'être supprimée. Peut-on arguer de l'inexistence de magistrats pour justifier son inaction, alors que les recours en dehors de Conakry sont quasiment inexistants, a fortiori en matière électorale. On peut donc prévoir d'éventuels recours au niveau préfectoral pour résoudre cette difficulté… purement formelle.

6°) - La hiérarchie des élections

Selon Kondiano « puisque aucun texte juridique, ni la constitution, ni le code électoral, ni le code des collectivités locales, ni aucun autre texte réglementaire n'établit de hiérarchie ou un ordre de priorité entre les différents scrutins en indiquant un ordre chronologique dans lequel ils devraient être organisés, il est impossible de prouver qu'on viole la loi en ne commençant pas par les élections locales », soutient-il précisant par contre, « l'obligation que nous impose l'article 28 de la constitution qui nous fixe une date limite qui ne saurait dépasser le 31 Octobre 2015 est irréfragable ».

Kondiano impute la responsabilité de la non-tenue des élections locales aux autorités de la 2ème République et de la transition militaire, mais aussi aux leaders des forces vives, oubliant sans doute qu'Alpha Condé en faisait partie. En revanche, il se disculpe de sa propre responsabilité qu'il n'évoque même pas.

En outre, il dit n'importe quoi, car l'article 28 précise que « le scrutin pour l'élection du PRG a lieu 90 jours au plus et 60 au moins avant la date de l'expiration du mandat du PRG en fonction. Le PRG fixe le jour du scrutin au moins 60 avant celui-ci. S'il y a lieu de procéder à un deuxième tour de scrutin, celui-ci est fixé au quatorzième jour après la proclamation des résultats définitifs du premier tour ».

Chacun se rappelle que la notion d'irréfragabilité est à géométrie variable, puisque les 15 jours prévus par la Constitution sont passés à 4 mois en 2010. En outre, ce que la loi prévoit, peut parfaitement être remis en cause par le vote d'une autre loi. Une loi organique – il suffit simplement que la mouvance et l'opposition soient d'accord – est possible pour modifier éventuellement tout délai constitutionnel, et cela ne prend même pas 24 heures.

En outre, si l'on se réfère aux textes relatifs aux mandats électifs, la question de la hiérarchie des élections est très simple, car ce qui est clair s'énonce clairement. Pour savoir quelle élection doit se tenir en premier (locale ou présidentielle), il suffit de se poser la question de savoir quel mandat arrive à échéance en premier ?

Étant donné qu'aucun élu ne peut rester à son poste après la fin de son mandat, tout acte d'un élu dont le mandat est expiré, est illégal. Il est étonnant qu'on ait à le rappeler à celui qui se fait appeler abusivement « professeur de droit », ce dernier faisant mine de l'ignorer. Dans la situation actuelle, les mandats des élus locaux sont expirés depuis plus de 5 ans et doivent donc être renouvelés avant le mandat présidentiel, qui lui, n'est pas encore arrivé à échéance.

 

Les autres problèmes

Le coût des manifestations

Parallèlement à son intervention, Claude Kory Kondiano a évoqué une étude du Ministère de l'Économie et des Finances indiquant que le montant des pertes enregistrées par l'État du fait des marches de l'opposition, s'était chiffré à plus de 93 milliards de francs guinéens. Il omet parallèlement d'évoquer les pertes beaucoup plus importantes des commerçants.

Au lieu de botter en touche – c'est la politique menée jusqu'à maintenant ou l'absence de politique qui est responsable d'une absence de croissance -, il ferait mieux de publier cette étude pour nous permettre de la critiquer, car il y a longtemps que nous ne prenons pas pour argent comptant ce que ce régime nous raconte.

La relance du dialogue

Tout le monde sait que la révision et le recensement se terminent officiellement entre le 8 et le 15 Juin. C'est à cette date, au moment où plus rien ne sera possible sur le fichier électoral, que le gouvernement – qui se pose en arbitre entre l'opposition et la mouvance - a indiqué vouloir démarrer le dialogue, qui portera sur ce que la seule mouvance est prête à concéder, à savoir éventuellement – mais rien n'est sûr – le respect de la loi.

Pourtant le Secrétaire Général du RPG, Saloum Cissé a prétendu que le chronogramme électoral était maintenu, car on ne peut pas modifier la date du 11 Octobre de l'élection présidentielle. Il est quand même incroyable que le vice-président de l'Assemblée Nationale, dont la fonction est de voter la loi, affirme sans honte, qu'on ne peut modifier une date d'élection. Nous sommes dirigés par des ignares et des médiocres. En voilà une nouvelle illustration.

L'Assemblée Nationale est la seule habilitée à voter la loi. Toute modification de la date des élections est du ressort d'une loi organique votée par elle seule. Si les deux camps sont d'accord pour repousser exceptionnellement les élections, afin de s'entendre au cours d'un dialogue sincère, il leur sera aisé ensuite, de voter ensemble cette loi organique. De qui se moque t-on ?

Dès lors, est-il utile de dialoguer sur des aspects secondaires ?

Comme le dit Bah Oury dans une interview récente, si l'attitude versatile et contradictoire de l'opposition n'avait de conséquences que sur les ambitions personnelles des leaders, alors le désastre ne serait pas grave, puisqu'il n'impliquerait que la carrière personnelle de ceux-là. Malheureusement il s'agit du destin de tout un pays et de l'avenir de millions d'individus qui sont en jeu. C'est la raison pour laquelle l'opposition doit se rendre à cette rencontre pour deux raisons essentielles :

  • montrer sa bonne volonté et ne pas donner le sentiment que c'est elle qui bloque, la propagande gouvernementale ayant réussi à embrouiller les Guinéens, de sorte qu'ils n'en comprennent pas forcément les finalités et les enjeux.
  • faire des propositions réalistes qui montrent que si les deux parties sont de bonne volonté, on peut aboutir à une situation apaisée.

Dans le cas inverse, le pouvoir a montré la voie qu'il a lui même tracé. Le pouvoir tente de bâillonner la presse (voir les élucubrations de la HAC), vote des lois préventives (eu égard à ce qu'il pense qui pourrait arriver), mais en fait répressives, car Alpha Condé, Ministre de la Défense s'autorise à tirer sur tout manifestant qui rejetterait sa façon de voir.

Le pouvoir a bien compris que son attitude du taureau, consistant à foncer sans se préoccuper des réactions, ne peut que susciter la violence, et elle s'y prépare en conséquence, en autorisant légalement les gendarmes à tirer sur les manifestants. L'opposition doit donc en prendre la mesure et arrêter de demander des autorisations à ce qui n'est plus un gouvernement, mais un clan de vauriens, dont la seule finalité est de se maintenir.

À titre personnel, je ne pense pas que ce « dialogue » aboutira à quelque chose de concret, autre que celui de perdre du temps, en vue de rendre les élections locales impossibles à tenir avant les présidentielles. Je ne suis donc pas favorable à un dialogue stérile pour amuser la galerie et faire des photos, mais la plupart des Guinéens ne comprennent pas toutes ces subtilités. Il faut donc jouer un rôle pour attester de sa bonne volonté et faire œuvre de pédagogie. Les Guinéens doivent comprendre que les solutions de l'opposition sont les seules qui respectent les lois et la constitution et que c'est le gouvernement qui veut légaliser par les urnes, un hold-up électoral. Si l'opposition réussit cela, au moins le dialogue aura été utile.

 

 

Gandhi, citoyen guinéen

« Dans tout État libre, chaque citoyen est une sentinelle de la liberté qui doit crier, au moindre bruit, à la moindre apparence du danger qui la menace ». (Robespierre, Discours sur la liberté de la presse, Mai 1791).

 

 

1 http://guineeactu.info/debats-discussions/tribunes-libres/5535-une-proposition-de-sortie-de-crise.html

2 N'Zérékoré, Kankan, Faranah, Labé, Mamou, Kindia, Boké et Conakry.

3 Dirigés par un président élu et 4 ou plus conseillers élus par les populations du quartier.

4 Qui comprennent le Conseil des Sages, organe consultatif d'au minimum 4 personnes désignés par les Anciens, et le Conseil de District, organe délibérant de 9 conseillers élus au suffrage universel par les populations du district, et dont le président assure l'exécutif. Pour des raisons financières, les élections se font à mains levées ou par alignement derrière le candidat de son choix.

5 La durée est passée à 5 ans avec la Constitution de 2010 (article 113 du Code électoral).

6 Voir ci-dessus.

7 Notaires, huissiers, greffiers...

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