Vincent Foucher: en Guinée, «Il faut espérer que l’opposition se saisisse de l’espace parlementaire»

La Guinée a désormais une assemblée nationale élue. Vendredi 15 novembre, la Cour suprême a vidé le contentieux électoral, rejetant les recours déposés par les partis. C'est donc la fin d'une longue transition ouverte un an avant la mort du président Lansana Conté. Mais ce scrutin, contesté par l'opposition ne risque-t-il pas d'ouvrir une nouvelle ère de défiance entre l'opposition et la majorité ?

Eléments de réponse avec Vincent Foucher, analyste de l'International Crisis Group.

Les irrégularités constatées lors du scrutin et relevées notamment par l’Union européenne ont-elles changé le résultat de cette élection ?

Quand on regarde les déclarations préliminaires publiées par les différentes missions internationales d’observation électorale, toutes sont d’accord pour signaler qu’il y a quand même eu des problèmes importants. Il y a un petit décalage, selon les institutions qu’on voit dans le ton général sur l’appréciation du scrutin. L’Union africaine, l’Union européenne, sont quand même extrêmement prudentes et elles ne se prononcent pas, par exemple, sur la question de la sincérité du scrutin. Elles signalent juste toute une série de problèmes et de défauts. La Cédéao, la Francophonie, ont une lecture beaucoup plus positive. Donc je crois qu’il faut encore réserver son jugement sur la qualité de l’élection. En tout cas les missions d’observation électorale nous invitent à le faire.

Mais lorsque l’opposition et notamment son principal leader Cellou Dalein Diallo (UFDG), affirment qu’il y a eu des fraudes en amont, en aval du scrutin et même pendant le scrutin, est-ce que l’on peut souscrire à cette affirmation ?


Il y a quand même deux missions majeures, des missions de long terme, de l’Union africaine et de l’Union européenne, qui sont extrêmement prudentes. Donc il faut attendre leurs rapports définitifs qui devraient sortir dans les deux semaines qui viennent et on aura une vision un peu plus claire. Mais je crois qu’il y a quand même eu des problèmes assez significatifs lors de ce scrutin.

On a donc désormais une Assemblée nationale dominée par deux grandes formations, le parti au pouvoir RPG d’un côté et l’UFDG de l’autre. Cette bipolarisation est-elle à l’avantage ou au détriment du parti au pouvoir selon vous ?


Vous savez qu’on a entendu un certain nombre de responsables du camp présidentiel insister sur la bipolarisation, et c’est vrai que ça fait beaucoup penser à ce qui se passait en 2010, lorsque du côté du RPG on présentait beaucoup les choses comme les Peuls contre les autres. Et on appelait à l’unité de l’ensemble de la Guinée contre les Peuls. Est-ce que c’est au fond cette même technique de bipolarisation que le RPG envisage ? On peut se poser la question. Il faudra voir l’élection présidentielle de 2015 qui va être vraiment un moment à surveiller.

La vie politique guinéenne est assez tendue depuis quelques années. Est-ce que le fait que l’opposition guinéenne entre aujourd’hui à l’Assemblée nationale va contribuer à détendre le climat politique ?


Oui, c’est évidemment une bonne chose. On est dans un pays où on a quand même plus d’institutions législatives vraiment représentatives depuis près de dix ans. C’est quand même un problème et c’est une bonne chose qu’on arrive enfin à ça. L’opposition a quand même un nombre important de députés, en particulier l’UFDG, mais pas seulement. Il y a d’autres partis d’opposition qui sont représentés. Il faut espérer que l’opposition va se saisir de cet espace parlementaire. Il va falloir voter des lois organiques qui doivent être votées au deux tiers de l’Assemblée et donc ça veut dire qu’il va falloir que le pouvoir cherche un consensus avec l’opposition sur toutes les lois qui vont déterminer la mise en place des institutions. Et ça, c’est très intéressant, c’est un moyen important, pour essayer de donner un maximum de solidité et de force à toutes les institutions qui vont être mises en place, des institutions de contrôle de l’exécutif aussi, et de compléter le dispositif institutionnel guinéen. Il y a évidemment tout ce qui est le pouvoir de questions. Les députés peuvent utiliser l’Assemblée pour poser des questions au gouvernement. Ça aussi ça a un pouvoir intéressant. Il faut espérer que l’opposition va s’atteler à ce travail-là.

L’opposition est très critique vis-à-vis de la Commission électorale nationale indépendante. Est-ce que sa position à l’Assemblée nationale va lui permettre de changer les choses ?


Le fonctionnement de la Commission électorale nationale indépendante est réglé par une loi organique. Et pour une loi organique, il faut les deux tiers de l’Assemblée. Cela veut dire que l’opposition a une minorité de blocage sur tout ce qui concerne les décisions sur le dispositif électoral. C’est plutôt une bonne chose. Il faut espérer qu’on arrive enfin à construire un système consensuel, même si évidemment cela va être extrêmement difficile. Parce que dans un climat politique comme le climat guinéen où les gens ont quand même presque systématiquement une lecture ethno-communautaire, si on est de telle ethnie on est de tel parti, c’est très difficile de trouver des personnages consensuels qui peuvent construire la confiance de tous les côtés. De ce point de vue-là, tout le monde évoque un passage d’une Céni politique à une Céni technique. Le problème c’est lorsqu’on est dans une Céni technique, comment est-ce qu’on fabrique de la crédibilité, comment est-ce qu’on peut créer des institutions capables de donner la confiance aux deux camps ? C’est ça le problème maintenant. Et là, on est dans quelque chose, une nouvelle phase qui s’ouvre. Et il faut espérer que les acteurs guinéens vont (le) faire de bonne foi et sérieusement, avec un niveau d’engagement technique suffisamment fort.

Est-ce que la réponse à ces questions n’est pas entre les mains du président Alpha Condé ?


On est dans un système où l’exécutif est dominant et donc il faut absolument que le pouvoir exécutif laisse se mettre en place l’ensemble des dispositifs, l’ensemble des contre-pouvoirs, l’ensemble de tous les mécanismes qui permettent théoriquement à une démocratie de fonctionner efficacement. Il faut mettre en place l’Institution nationale des droits de l’homme, la Cour suprême, la Cour constitutionnelle, le Conseil supérieur de la magistrature. Tous ces éléments-là, ce sont des éléments qui, ensemble, doivent contribuer à équilibrer le système, à faire qu’il soit plus solide, interactif, avec de la discussion, avec des mécanismes pour rendre des comptes. Il faut aussi bien sûr, qu’on ait une discussion, en pensant que l'élection de 2015 va être vraiment une élection très sensible. Et donc, pour que ce genre de situation fonctionne bien, soit acceptée, il faut avoir des institutions crédibles.

Source: RFI

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