Contreproposition: pour une gestion bicéphale de la transition en Guinée

Avec un esprit de concorde et de patriotisme, la transition guinéenne peut se faire sur la base d’un bicéphalisme accompli qui requiert le respect des revendications des Forces vives de la nation et profile du retour des militaires en caserne, dès après les élections nationales légales. Le Comité national pour la démocratie et le développement (Cndd) et le Comité national pour la transition (Cnt) - avec un mandat égal en durée - peuvent, si les volontés existent, conduire cette transition avec un succès inédit dans l’histoire politique africaine.

À propos du Premier ministre - La proposition du Général Sékouba Konaté est un moulin à crises. Elle mérite une attention soutenue en termes de définition et de mise en application. On se répète toujours. La désignation d’un Premier ministre « colonisé » a toujours été le mode de gestion imposé à la Guinée, sans résultat bénéfique. Comme à l’accoutumé les prérogatives du Premier ministre découleront soit d’une lettre de mission volatile et violable soit d’un décret spécial ou ordonnance au contenu toujours trompeur parce que non soutenu par les textes de lois ou la Constitution nationale. D’ailleurs suspendue avec les autres institutions nationales. Exception : les partis politiques

La succession des Premiers ministres – dont le pénible mandat de Mr Sidya Touré de 1996 à 1998 - et en particulier le limogeage de Mr Lansana Kouyaté, désigné à la tête du gouvernement de transition de 2007, issu des revendications syndicales, sont des leçons qui doivent servir. Les entredeux Premiers ministres – à l’exception du démissionnaire impromptu – ne constituaient que des parties de la chaine. Mais les nouveaux conseillers du jeune Général, nouvellement à la tête de la junte, comptent sur une certaine «gloutonnerie» de l’opposition à vouloir partager le pouvoir. C’est un pis-aller.

C’est vrai qu’à la suite de 25 années de combat à la tête des partis politiques, sans conquête du pouvoir, la tendance pourrait être à l’affaissement. Il ne devrait pas en être question. Le parti politique n’a pas pour seul objectif la prise du pouvoir mais aussi d’avoir de l’influence sur les décisions que prennent les tenants du pouvoir. Les leaders politiques devront considérer que c’est grâce à eux que le combat pour la mise en pratique des idéaux et principes de la Démocratie se poursuit en Guinée. Ni les populations ni les individus ni l’Histoire ne peut le leur dénier. Malgré les avatars dont l’ethnostratégie, les partis politiques ne doivent pas changer de choix avec le risque – imparable - de retomber dans le piège d’un militarisme qui ne leur donnera pas non plus l’accès au pouvoir. Le régime militaire continuera à affaiblir les institutions nationales dont ils font partie.L’abandon de la stratégie du dialogue de sourds -

Il est vrai aussi que l’on se retrouve dans le scénario, plutôt frustrant, des trois sourds. Il s’agit donc de ne pas hurler, inutilement, en espérant se faire entendre. Ça ne servirait à rien. Il faut plutôt agir pour se faire comprendre. Jugeons des effets pervers de la surdité dans le dialogue à partir de la vraie petite histoire : « Une dame, sourde de naissance, portant au dos un bébé, recherchait son mouton perdu après une tornade (partis politiques et société civile). Elle tombe sur un berger conduisant ses moutons (Cndd). Espérant que son mouton se serait mêlé au troupeau, elle le questionne en étendant son bras vers les animaux : « Avez-vous vu mon mouton par hasard parmi les vôtres … ? ». L’homme, non moins sourd que la dame, croit qu’elle l’accuse de lui avoir volé son mouton en le cachant dans le troupeau et qu’elle veut lui prendre un de ses moutons. En colère, il lui répond : « Ces moutons m’appartiennent et je n’ai pas l’intention de me séparer d’un seul ». La dame ne comprenant pas la colère du berger, se fâche à son tour, en voyant celui-ci prendre de haut une simple demande. Les échanges de mots entre les deux tournent à la dispute. Ils se retrouvent devant le chef du village pour jugement (le médiateur de la Cedeao). Celui-ci, aussi sourd que les deux autres, après les avoir écouté un moment, décide de trancher. Pour lui il s’agit d’une simple dispute entre mari et femme. En voyant que la femme porte au dos un bébé, il fit la remontrance à l’homme en disant : « Tu dois donner à cette femme tout ce qu’elle te réclame à cause de cet enfant qu’elle t’a fait. N’as-tu pas honte? » Puis s’adressant à la femme d’une voie douce : « Et toi femme, écoute et respecte ton mari. Donne-lui le temps de te procurer ce que tu veux. » Enfin, s’adressant aux deux, il les congédia du geste en disant : « Allez et réconciliez-vous! » Les deux sourds s’en vont. Ils ne se comprennent pas mieux. Chacun ayant compris du chef de village ce qu’il voulait». Il va sans dire que la dispute va reprendre et, certainement s’envenimer.

Les Conséquences du choix d’un Premier ministre sans garantie légale -

Alors que les Forces vives réclament le retour des militaires en caserne, ces derniers proposent un partage du pouvoir à leur avantage. Qui va présider la transition si l’opposition offre, pieds et poings liés, un Premier ministre? Cette affaire de Premier ministre choisi par l’opposition n’est qu’un pan de la proposition du médiateur de la Cedeao. Celui-ci a les yeux rivés sur le port maritime de Conakry pour le désenclavement partiel de son pays. Bien que la situation guinéenne soit similaire sur le fond à celle des trois sourds, elle se distingue de par les acteurs en scène.

Ce qui est curieux en ce qui concerne la dernière proposition du Cndd, ce sont les réactions favorables qui se dessinent. Bien qu’elle ignore en bloc les revendications qui, au demeurant, invoquent le retour à la légalité. Encore une fois la Guinée est en passe – comme en avril 1984 et en décembre 2008 – d’accepter une situation ambigüe. Elle risque, conséquemment, de se transformer en une confiscation de pouvoir qui annihile le fonctionnement des partis politiques et les accule à une portion congrue de l’espace politique. C’est aussi la restriction de l’espace de Démocratie pour tous.

Quelques soient les personnalités qui y voient une preuve de bonne volonté de la part du Cndd, cette proposition ne mettra pas fin aux crises sociopolitiques en Guinée. Elle ne favorisera pas le retour du pays à une vie démocratique normale. Il y aura une accalmie éphémère avant les confrontations entre les exigences démocratiques de gouvernance et les exigences militaires s’agissant des priorités nationales du pays. Résumée d’histoire politique : La destitution du Premier ministre Lansana Kouyaté par le défunt président de la République, en 2007, sans consultation des centrales syndicales et de la société civile n’est pas un exemple lointain.

Le fait patent est que, par rapport à l’armée guinéenne, les institutions nationales ne peuvent plus continuer à jouer un rôle d’appoint dans la gestion du pays. Le résultat est connu d’avance. Entre autres méfaits – peut-être même contre le gré de militaires patriotes - l’aboutissement est la mise en place d’une bourgeoisie militaire fondée sur un jeu d’influence et de pouvoir qui va régénérer la corruption administrative au détriment de la gestion transparente.

C’est peu dire de la sarabande de changement de ministres, qu’il faudra utiliser comme boucs émissaires, pour couvrir les ponctions financières responsables de l’échec des projets de développement. Au final, cela n’arrange pas l’armée non plus. Elle va se retrouver avec ses contradictions entre la base et les hauts gradés qui profiteront mieux de la situation. On reviendra au cas de figure du Comité militaire de redressement national (Cmrn) qui a entretenu la gestation du Cndd pendant 24 ans. Il y a un risque de reproduction élargie avec sa ritournelle de coups d’État en perspective (sans effusion de sang!). Quand va-t-on en sortir ?Qu’exige la situation en présence?-

Il faut reconnaitre que dans les annales politiques, les revendications militaires inassouvies parce que inconsidérées couvent, toujours, le péril de la prise anticonstitutionnelle du pouvoir. D’abord, il faut que de l’intérieur et de l’extérieur la menace de prise du pouvoir par la force soit considérée inacceptable afin qu’elle s’évapore. Le processus est déclenché. Cependant, il y a également des prérequis qui interpellent; notamment la participation de l’armée à tous les niveaux de la vie nationale directement ou indirectement.

Dans le cas d’espèce qui est celle de la Guinée, il convient de partir du principe de base qu’il n’y a pas de président de la République légal. (Quelque soit la malheureuse habitude qui consiste à l’utiliser pour désigner les conquérants du pouvoir exécutif en régime de République).

En réalité, il y a une junte militaire, l’arme aux poings, qui se targue de pouvoir impulser le développement et la démocratie. Les débuts ne sont pas convaincants. Le fait est que cette armée fait – implicitement - état de ses frustrations accumulées. C’est pourquoi les Coups d’État en Guinée, celui d’avril 1984 et celui de décembre 2008, n’ont associé aucune entité civile ou institutionnelle. Ce qui aurait, pourtant, accrédité les déclamations pour le redressement économique ou pour l’instauration de la Démocratie en faveur du développement.

Conséquemment, en face de cette armée, se dresse une réaction nationale – de caractère populaire et institutionnelle - pour la sauvegarde des institutions nationales et de la Démocratie. Conclusion, on est en présence d’un bicéphalisme non achevé du fait qu’une seule partie use de la force des armes pour ordonner et confisquer le pouvoir exécutif.

La transition peut alors se faire sur la base d’un bicéphalisme plus accompli qui profile le retour des militaires en casernes dès après les élections nationales légales : la gestion de la transition par le Cndd et le Cnt avec un mandat égal en durée et une dissolution parallèle.La réhabilitation des institutions nationales et la création du Conseil national transitoire -

Le préalable est de mettre fin à la suspension des institutions nationales, en particulier la Cour suprême et la Haute cour de sureté, le Conseil économique et social. Ils auront, exceptionnellement, la charge d’élaborer un acte constitutif légal du Comité national transitoire mis en place par les Forces vives de la nation et de collaborer avec la communauté internationale pour sanctionner les crimes contre l’humanité. Cette sanction doit être un précédent pour le futur.

Le président du Cnt

doit être choisi parmi les leaders des centrales syndicales et de la société civile. Pourquoi ? En mettant en avant les revendications des travailleurs, le mouvement syndical, ne peut, et n’a pas besoin d’user de l’ethnostratégie pour la mobilisation des travailleurs et des populations autour de ses idéaux et principes dont ceux de la Démocratie. Ce mouvement est, aussi, le seul capable de calmer les revendications des travailleurs pour accorder la priorité au processus de transition démocratique.

Du point de vue historique, les syndicats ont montré avec l’assistance de la société civile leur attachement au bienêtre des travailleurs et de la nation en luttant pour la restauration d’une gestion transparente de l’administration nationale et pour la bonne gouvernance. Les centrales syndicales et la société civile feraient un bon choix en désignant au poste de président du Cnt Mme Rabiatou Serah Diallo. Parmi d’autres deux raisons militent et suffisent pour ce faire : elle a fait montre de capacités de négociation et de consensus quasi innées. Par ailleurs une dame telle qu’elle peut mieux contribuer à soigner les plaies de l’amer souvenir des viols perpétrés le 28 septembre 2009.

Le rôle des partis politiques

- Quant aux partis politiques, seules parties prenantes aux élections nationales, ils seront représentés au sein du Cnt en proportion convenable. Mais leurs leaders et les militants devront se consacrer à la vie politique dans la perspective des élections nationales.

Les attributions de Cnt, du Cndd et du Premier ministre -

Les mandats respectifs du Cnt, du Cndd, et du Premier chef du gouvernement couvrent la période transitoire. Leurs membres devront renoncer aux prétentions électorales après la transition en cours.

Le chef de la junte et du Cndd

, auront à charge la restructuration de l’armée, dont la réorganisation des régions militaires, la mise en place d’une administration militaire républicaine, l’élaboration et l’exécution d’une stratégie de démilitarisation, de sécurité du pays et de toutes les mesures de sécurité relatives au maintien de l’ordre et de la paix, en collaboration avec le président du Cnt. Exceptionnellement, il nomme les chefs d’État-major et les ministres en charge de la défense nationale, de la sécurité intérieure et extérieure, de la police, de la gendarmerie, le cabinet chargé des affaires extérieures militaires et les principaux responsables des administrations qui en découlent Ses ordonnances sont aussi soumises à l’examen et la cosignature avec le Cnt.

Le président du Cnt

aura à charge la conduite des affaires publiques avec le Premier ministre, chef du gouvernement, la révision constitutionnelle avec les textes de lois afférents, et la préparation des élections nationales. Le Cnt nomme, en consultation avec le Cndd et les partis politiques, le Premier ministre. Ce dernier nomme sous l’autorité du Cnt les membres du gouvernement. Cependant, tous les décrets de nomination sont cosignés par le président du Cnt et du Cndd y compris ceux nommant les ministres et hautes personnalités civiles et administratives. Ainsi le Cndd pourra récuser toute nomination jugée incompatible avec la collaboration des deux organismes de transition.

Le Premier ministre

- Sous l’autorité du Cnt et du Cndd, le premier ministre gère le gouvernement et l’administration nationale dans tous ses aspects. Il siège aux réunions du Cnt et du Cndd directement ou par représentation afin de contribuer à la coordination des actions avec les deux présidents des organismes de la transition. Il les assiste directement ou par représentation.

Le Budget -

Ainsi, le budget de la transition en Guinée devra comporter trois volets spécifiques :

1. Le budget autonome spécial consacré à la réorganisation, la formation, et la restructuration de l’armée, exclusivement géré par le Cndd sous condition d’un droit de regard du Cnt durant la transition. La durée du budget spécial de l’armée couvre les 25 années à venir au cours desquelles l’armée guinéenne s’occuperait à générer ses propres revenus en plus de ce que lui octroi le Budget national de développement, annuellement. C’est dire que cette armée peut inclure dans le cadre du développement national, ses propres investissements et en tirer des profits conséquents sous l’autorité de l’État et selon les régulations nationales pendant et après la transition.

2. Le budget des élections – il est destiné à la préparation et à l’organisation des élections sous la responsabilité du Cnt avec droit de regard du Cndd sur la gestion.

3. Le Budget national de développement (dont dépendent en partie les deux premiers budgets) est géré par l’administration du Premier ministre avec le contrôle du président du Cnt et du Cndd pendant la durée de la transition.

Les dépenses, devront être financées par les apports du budget national de Développement et les apports de la communauté internationale. Les prérogatives de réorganisation du Cndd seront transmises au ministère de la défense nationale à la fin de la transition en ce qui concerne la poursuite de la modernisation de l’armée guinéenne.Après la période transitoire -

L’après transition consiste, pour le parti au pouvoir, à garantir à l’armée ses droits et à élargir ses devoirs républicains à la participation au développement national.

Il s’agit, entre autres, de la compensation des déperditions créées par le régime défunt en ce qui concerne la prise en charge des revendications militaires, dont les pensions et indemnités dues, suite à la participation des militaires guinéens aux guerres civiles du Libéria et de la Sierra Leone.

En parallèle, les membres du Cndd et du Cnt devront être inclus dans le protocole de la République avec le titre de «Commandeurs de l’Ordre de la République». Ils constitueront l’observatoire de la Démocratie en Guinée. Ils bénéficieront, à cet effet, d’une indemnité annuelle spéciale. La durée de vie de cette institution est égale à celle de ses membres historiques.

L’inadmissibilité des membres du Cnt et du Cndd aux candidatures politiques ne concerne que le mandat des élections que prépare la période transitoire en cours.

En fonction de leur compétence, les anciens membres du Cndd et du Cnt pourront occuper toutes les fonctions administratives dans le pays.

En plus, ils pourront assurer des œuvres d’ambassade, de négociation, et de représentation, au sein des organisations sous régionales, régionales et internationales, où la Guinée se doit d’être représentées.

Outre les postes administratifs et de gestion qui leur revient par compétence, une quotepart de participation à hauteur de 10 pour cent est accordée aux forces armées dans tous les gouvernements du pays et dans l’administration nationale, suivant leur compétence, et indépendamment de leur conviction ou tendance politique.

Les membres de l’armée pourront bénéficier du droit constitutionnel de participer directement à la vie politique par voie de suspension des activités et fonctions militaires qu’ils exercent par : la mise à la retraite anticipée sans perte de privilège du grade déjà acquis, la démission temporaire pour au moins dix ans ou définitive sans perte de privilège du grade déjà acquis.

Au regard de la participation des forces armées guinéennes à la démocratie et à la paix en Guinée, l’État et le gouvernement issu des élections œuvreront avec la communauté internationale à lui assurer une participation de plus en plus importante dans la gestion du pays. Que cela soit écrit et accompli.

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