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En Afrique, l'épidémie Ebola couve encore

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On « s'accroche » toujours un peu vite aux bonnes nouvelles... Le 29 janvier, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) annonçait que le nombre des contaminations hebdomadaires par le virus Ebola en Guinée, au Liberia et en Sierra Leone était passé sous le cap des 100, soit le niveau le plus bas depuis juillet 2014.

Elles se comptaient même sur les doigts d'une main pour ce qui concerne le Liberia ! Dès octobre et novembre, les autres pays africains touchés avaient annoncé officiellement la fin de l'épidémie sur leur territoire, la Sierra Leone venait de lever ses restrictions aux déplacement, la Guinée rouvrait progressivement ses écoles, et il devenait même difficile de réaliser des tests du prometteur traitement japonais Favipiravir… faute de patients suffisant. Sensible depuis la fin de l'automne, le freinage de l'expansion d'Ebola se confirmait. Prudente, l'OMS estime alors que l' « épidémie ralentit », « mais n'est pas encore endiguée ». On commençait à imaginer à voix haute son extinction : l'ONU, elle-même, n'hésitait pas à affirmer que le virus pourrait être définitivement vaincu fin 2015… Mais fin de l'illusion ! Les nouvelles statistiques de l'OMS publiées le 4 février ont démontré une reprise des contaminations, en Guinée et Sierra Leone notamment.

Pour ne pas vivre au rythme de statistiques qui risquent d'être durablement contradictoires, il est urgent de se replacer dans la trajectoire d'Ebola, estiment les experts. Car cette catastrophe sanitaire recèle bien des singularités.

Objectivement, il est d'abord vrai que les contaminations baissaient très nettement dans les trois pays depuis la fin 2014. Pour un faisceau de raisons, car « nous n'avons aucune explication solide et suffisante sur le phénomène », estime, comme nombre de ses pairs, le professeur Jean-François Delfraissy, directeur de l'ANRS et coordinateur interministériel de la lutte contre Ebola. Très critiquée car très tardive, la réponse internationale sanitaire sous la bannière de l'OMS à partir d'octobre a finalement produit ses effets : « Ils se sont réveillés et ont fait ce qu'on attendait d'eux », résume une ONG. Création de centres d'accueil avec ouverture de lits, isolement des personnes infectées, mise en place d'équipes d'intervention rapide, traçage des gens en contact avec le virus, surveillance épidémiologique et transmission des informations entre les trois pays « ont fini par payer ». S'y ajoute une formation culturelle intense, qui a permis de sécuriser les funérailles, haut lieu de la transmission du fait des rites de lavage et d'étreinte du mort, et d'imposer progressivement une « no touch policy » dans la vie quotidienne. « La population s'est finalement emparée d'Ebola, qui l'effraie moins », dit Jean-François Delfraissy. « La sensibilisation, associée à la peur de contracter la maladie, a modifié le comportement des gens », confirme Thomas Nierle, président de MSF Suisse, une organisation très présente sur le terrain, et les règles de précaution ont été massivement suivies. « Trois pistes thérapeutiques et la perspective de deux vaccins devraient changer les choses ! Cela rassurerait, et beaucoup plus de gens viendraient enfin se faire soigner ! On s'habitue tout simplement, comme pour le sida », observe, de son côté, Rony Brauman, ancien président de MSF. On est ainsi aujourd'hui mieux armé.

La nature n'a pas été avare de ses coups de pouce. La saison sèche a rendu l'accès aux soins plus facile ; la transmission du virus, qui n'a pas muté, n'est jamais devenue aérienne ; comme d'autres épidémies, il se peut qu'Ebola «  apparaisse, passe par un pic, recule et disparaisse », dit Jean-François Delfraissy ; et puis « on constate une sorte d'immunité communautaire, car le système immunitaire s'adapte. Au contact du virus, une partie de la population génère un taux d'anticorps protecteur sans tomber malade, créant ainsi une réponse comme après une vaccination », et cette population a contribué à contenir la progression de l'épidémie dans certaines localités, avance Thomas Nierle.

On est peut-être aujourd'hui mieux armé face à lui, mais Ebola force à l'humilité. « Rien n'est prévisible », reconnaissent les experts. Il existe des foyers diffus dans les trois pays - surtout en Guinée -, et des régions frontalières reculées et fragiles du Mali, du Sénégal ou de la Côte d'Ivoire ne sont pas à l'abri, souligne-t-on sur le terrain. Les braises d'Ebola couvent et il suffit d'un rien pour qu'une bouffée surgisse brusquement dans ce que le « Washington Post » qualifie de « puzzle épidémique ». Le professeur Delfraissy comparait récemment l'épidémie à un moteur de voiture qui tourne au ralenti et qui pourrait accélérer à tout moment... Sur le fond, surtout, les acteurs reconnaissent tous avoir du mal à comprendre la dynamique de l'épidémie. L'incertitude règne alors que le retour des pluies est prévu pour mars-avril. « On ne connaît pas les aspects cycliques d'Ebola, comme l'effet de la saison des pluies sur les conditions de transmission et sur le comportement des animaux-réservoirs (chauves-souris ? singes ? cochons sauvages ?...) », souligne Rony Brauman.

Sera-t-on donc surpris que, aujourd'hui, « sans vaccin efficace, on doute même de la capacité d'éteindre Ebola dans les trois pays », comme l'affirme Thomas Nierle ? « Rien n'autorise à dire qu'Ebola va prendre fin. En l'état, un foyer endémique peut subsister dans la région », ajoute Rony Brauman. « Il reste une hypothèse non prévue au départ : après un an d'épidémie, à quel moment commence-t-on à parler de maladie chronique ? » s'interroge également Jean-François Delfraissy, l'idée d'éradiquer Ebola est peut-être un leurre. Il y a six mois, je n'aurais jamais évoqué une hypothèse de ce type. » Dans tous les cas, Ebola reste le fort signal d'alarme donné à la communauté internationale face aux attaques virales - encore plus virulentes - auxquelles le monde doit s'attendre, s'accordent les experts.

Par Daniel Bastien Grand reporter

Source: Les Echos

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