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En Guinée, « nous avons payé un lourd tribut » à Ebola

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La Guinée a été officiellement déclarée hors épidémie Ebola le 29 décembre 2015, après deux années de combat contre un virus qui aura fait 2 536 morts dans le pays. Au total, près de 11 000 personnes ont péri dans les Etats d’Afrique de l’ouest tels que le Liberia et le Sierra Leone lors de la pandémie. Le docteur Sakoba Keita, responsable de la coordination nationale de lutte contre Ebola en Guinée, l’affirme : « Nous avons payé un lourd tribut, mais nous avons aussi tiré des enseignements ».

La Guinée vient d’être déclarée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) sortie de l’épidémie d’Ebola. Quel est votre sentiment ?

Il y a un grand soulagement. Nous avons fêté la fin de l’épidémie, mercredi soir et dans la nuit, par un grand concert avec les tous les artistes guinéens et de nombreux musiciens de Côte d’Ivoire et du Mali sur l’esplanade du Palais du peuple à Conakry, avec 200 000 jeunes. Un peu plus tôt dans la journée, nous avions organisé une cérémonie de remerciement de tous les acteurs qui ont participé à la riposte ces deux dernières années, en présence du chef de l’Etat. Y ont pris la parole les représentants des organisations des personnes guéries, de l’OMS, l’ambassadeur de France notamment. Nous avons gagné une bataille mais, sur le plan pratique, la lutte doit continuer pour éviter toute nouvelle flambée épidémique, pour qu’Ebola ne revienne jamais.


 

Quelles sont les mesures que vous préconisez pour empêcher une nouvelle épidémie ?

Nous avons élaboré un plan de suivi avec les différents acteurs, à destination en premier lieu des personnes guéries. La vaccination systématique de ceux qui ont été en contact avec les malades va être poursuivie. 6 900 personnes ont déjà été vaccinées et nous allons en traiter encore quelque 5 000. On sait que le virus peut persister 9 à 12 mois dans certains liquides, dont le sperme, chez ceux qui ont été malades. Il faut donc continuer le traitement. J’ai vu aussi avec l’OMS à Genève comment élaborer un programme de suivi sanitaire des personnes guéries, de tous leurs contacts. L’Inserm [Institut national de la santé et de la recherche médicale] va aussi suivre pendant cinq ans les éventuelles complications en matière de santé de cette population touchée.

 

C’est la première fois qu’Ebola tue autant de monde, dans les trois pays, mais aussi qu’il y a autant de survivants. Que faites-vous pour leur réinsertion ?

Nous comptons, en Guinée, 1 268 survivants et 6 230 orphelins. Un programme de suivi pour la réinsertion des anciens malades est en place. Il doit aussi permettre d’identifier et de lutter contre les éventuelles stigmatisations. Pour les nombreux enfants qui ont perdu leurs parents, un programme de l’Unicef [l’agence des Nations unies pour la protection de l’enfance et de la famille], avec de nombreuses organisations non gouvernementales nationales et le ministère de l’action sociale, doit permettre leur suivi, notamment sur le plan scolaire. La FAO [l’organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture] a financé un fonds d’aide pour l’agriculture, durement éprouvée par les conséquences de l’épidémie, à hauteur de 5 millions de dollars (4,6 millions d’euros).
 

Qu’avez-vous appris de ces deux années d’épidémie et de lutte ?

Ce que la Guinée a compris d’abord, c’est que notre système de santé était très faible, que l’on manquait de personnels hautement qualifiés pour faire face à la maladie, que la logistique n’était pas là. Nous avons identifié les faiblesses dans tous les secteurs et nous avons établi une feuille de route pour les corriger. Nous avons dorénavant plus de 2 000 personnels qualifiés pour la détection des maladies épidémiques. Nous disposons aussi de huit laboratoires sur le terrain pour permettre des analyses rapides. Et nous construisons vingt-et-un centres de traitement épidémoliogiques qui doivent là aussi faciliter une riposte rapide. Quatre maladies sont visées par ces réponses d’urgence, les fièvres jaune et Ebola, le choléra, la méningite et la rougeole.

 

Allez-vous garder les moyens que l’aide internationale vous a apportés ?

Les 455 véhicules reçus, en particulier des ambulances, vont rester. Mais les cinq hélicoptères vont sûrement repartir. Nous allons garder aussi les nombreuses tenues de protection, les médicaments. Au niveau informatique, les préfectures et sous-préfectures vont être équipées avec un système de gestion de données. Les 30 600 villages guinéens, comme les 410 centres de santé vont aussi bénéficier de téléphones qui leur permettront d’être alertés au moyen de SMS sur les moindres cas épidémiques. En moins de 48 heures, des équipes d’intervention rapide doivent pouvoir agir.

Le budget consacré à la santé était faible en Guinée. Allez-vous l’augmenter ?

Il représentait un peu plus de 2,5 % du PIB. L’assemblée vient de décider de le porter à 5,6 % en 2016, puis le plus vite possible à 7 % et plus. Il y a unanimité politique sur ce point, d’autant que l’on sait et que l’on a vu que la question de la santé influe directement sur les autres secteurs, économie, agriculture…

Le combat contre Ebola a été long et une partie de la population est restée réticente aux messages des autorités et des organisations internationales. Pensez-vous que cela a évolué ?

Il y a eu deux moments durant ces deux années de lutte. Au début, nous avons constaté les réticences, le déni, voire la résistance des populations face aux discours, aux messages et aux mesures de traitement de l’épidémie. Puis la population a adhéré, parce que nous avons ouvert les oreilles aux plaintes et réclamations. Par exemple, nous avons installé des forages dans des villages où il n’y avait pas d’eau, alors que dans le même temps nous demandions aux habitants d’adopter des mesures d’hygiène importantes. Maintenant, la population est consciente que nous venons les aider.

 

Les conflits observés au début avec les médecins traditionnels, les guérisseurs, ont-ils été réglés ?

J’ai mené aux débuts de l’épidémie une lutte farouche avec la médecine traditionnelle. Après la mort de dix-huit guérisseurs tués par Ebola, alors qu’ils prétendaient pouvoir soigner avec leurs moyens traditionnels, nous avons pu travailler avec eux. On les a tranformés en agent de communication. Nous avons eu la même problématique avec les imams. Une quinzaine sont morts et leur discours de dénégation de la maladie a changé.

On sait que la réponse internationale a été longue à se mettre en place. Mais le chef de l’Etat guinéen a aussi longtemps minoré l’importance de l’épidémie…

Il y a eu, au début, une erreur d’appréciation de part et d’autre, au niveau national et international. Nous avions espéré que l’épidémie serait jugulée avant l’été 2014. Il y avait une baisse mais avec la circulation de malades avec la Sierra Leone et le Liberia, elle a repris de plus belle. Les cris d’alarme de MSF [Médecins sans frontières] puis de l’OMS [l’Organisation mondiale de la santé] ont joué un grand rôle, et les autorités guinéennes, qui voyaient par ailleurs l’économie s’effondrer, ont compris que la situation était très grave. Si nous avions pris au printemps 2014 les mesures adoptées en 2015, la propagation du virus n’aurait pas eu lieu comme cela a été le cas.

La communauté internationale a aussi tiré les leçons de l’épidémie. Il y a une restructuration en cours au niveau de l’OMS, de ses bureaux régionaux et la mise en place de nouveaux mécanismes. La réponse a été beaucoup trop longue à arriver et l’année 2014 a quasiment été perdue. Les moyens logistiques sont arrivés tardivement, les ambulances manquaient. Au début, les malades mourraient pendant le transport, on a même perdu un échantillon de sang avec le virus pendant un transport, en mai 2014, que nous n’avons jamais retrouvé. Tout ceci doit appartenir au passé. Nous avons payé un lourd tribut mais nous avons aussi tiré des enseignements.
 

Propos recueillis par Rémi Barroux

Source: Le Monde

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