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Guinée : des blessures et des maux qui n'en finissent pas (2 octobre 1958 - 2 octobre 2014)

Dore ansoumane 3 3

Il ne s'agit pas seulement de blessures morales, il y en eu des tonnes, mais aussi de blessures physiques, mortelles, accompagnées de maux qui n'ont pas cessé d'être le lot passé et présent de ce pays depuis qu'il est République. Pourquoi ?

Ne vous attendez pas à voir développer ici des envolées ondoyantes d'explications de cet état d'évolution que tout le monde devine ou pense pouvoir faire quelques commentaires là-dessus.

Dans tout pays du monde, quand les choses ne vont pas comme les citoyens l’auraient espéré, on se tourne vers ceux qui sont aux commandes de la machinerie étatique comme pour leur dire: « vous qui avez prétendu savoir assez pour nous conduire à bon port, où est-il ce savoir, pour nous conduire comme vous le faites ? » Ce cri de désespoir rappelle un peu le cri de désespoir d'esclaves africains perdus sur le vaste océan à bord d'un brick négrier à la dérive. C'est ce que raconte dans Tamango, Prosper Mérimée (1803-1870). C'est au XIXe siècle, au temps où des négriers européens écument les côtes d'Afrique pour fournir en travailleurs corvéables et taillables à merci, les plantations des Amériques. Tamango, chef guerrier africain, se livre au commerce de ses congénères avec des esclavagistes européens. Une fois, comme d'habitude, les marchandages se déroulent, accompagnés de force rasades d'eau-de-vie. Tamango, ivre, offre au capitaine du brick nommé L'Espérance, outre les esclaves qu'il a vendus, son épouse préférée, du nom d'Ayché. Dégrisé quelque temps après, il se rend compte de sa méprise et veut récupérer sa femme. Comme le brick doit se déplacer dans des méandres de bras de mer avant de regagner le large, il a le temps de le rattraper et de s'y hisser à bord pour ramener à terre Ayché. Ce que le capitaine négrier lui refuse. La scène se termine par la neutralisation du marchand d'esclaves par des matelots et sa mise sous écrous comme bois d'ébène qui, espère le capitaine, devra rapporter beaucoup d'argent aux Amériques, compte tenu de sa force herculéenne. Loin des côtes de Guinée (une bonne partie de la côte occidentale d'Afrique se nomme depuis des époques lointaines le Golfe de Guinée qui s'étendrait de la Casamance à la Guinée équatoriale), l'ancien guerrier fomente une conjuration des esclaves sur lesquels il a encore beaucoup d'ascendant malgré son état de bois d'ébène comme eux. Il leur promet qu'il est capable, de par les pouvoirs occultes qu'il détient, de les libérer et de les ramener chez eux. Il menace les éventuels récalcitrants de se voir punis par le diable. La révolte est un succès pour eux, tous les oppresseurs blancs du navire sont tués.

Devenu maître du navire, Tamango auquel tout le monde fait confiance ne sait pas lire la boussole que le capitaine utilisait pour se guider sur l'océan. Le navire vogue au gré des courants marins. Une angoisse grandissante, s'installe, entrecoupée de chants plaintifs, de danses de villages, de beuveries, la grande quantité d'eau-de- vie trouvée dans le navire, aidant. L'apparition de l'antique et légendaire Mama Jumbo (Mami Wata), divinité aquatique, hante des esprits. Au plus profond du désespoir dans les promesses non tenues du chef Tamango, les esclaves, se mettent en chœur, à l'accabler de reproches et d'injures : « Perfide! Imposteur! S'écriaient-ils, c'est toi qui as causé tous nos maux, c'est toi qui nous as vendus aux Blancs, c'est toi qui nous as contraints de nous révolter contre eux. Tu nous avais vanté ton savoir (dans les sciences occultes), tu nous avais promis de nous ramener dans notre pays. Nous t'avons cru, insensés que nous étions. » (Prosper Mérimée, Tamango, 1829).

« Ramener dans notre pays ! ». Ce perpétuel cri d'angoisse d'un peuple, ici le peuple que constituaient ces esclaves, ignorants, dans ce bateau négrier voguant sur « La grande-eau-salée ». Ce cri de désespoir, il m'a toujours semblé l'entendre, s'élever dans les airs de Guinée, qui n'ont pas trouvé des hommes ayant conduit les Guinéens dans un pays délivré de la tyrannie de la nature et des hommes. La tyrannie, source de bien de leurs maux: maintenance de l'ignorance, haine de l'autre poison redoutable de la démocratie, ethnocentrisme consubstantielle à la frénétique quête du pouvoir politique, incontournable recherche de titres ronflants et sans signification pour le peuple. ”EXCELLENCE” est un de ces ornements dont raffolent présidents, ministres, ambassadeurs et consorts, sans se poser, le moins du monde la question de savoir : excellent en quoi ? Depuis septembre 1958, aucun responsable guinéen n'a montré en quoi que ce soit de l'excellence dans ses actions de nature à avoir marqué les Guinéens dans le sens de leur épanouissement humain. C'est le contraire qu'ont constaté tous ceux qui ont les yeux ouverts et sont dotés de ce qu'on appelle le bon sens. Flattés par des taupes qui n'ont cherché qu'à profiter de leur proximité du pouvoir en place, les Présidents-roitelets successifs se sont complus dans une médiocrité qui a enveloppé tout le pays. Et des gens s'étonnent que ce pays n'avance pas! Ils semblent oublier que la préoccupation majeure dans leur mainmise sur le pays est de garder coûte que coûte le pouvoir. Un pays comme la Guinée, par exemple, est découpé, en autant de sous-préfectures, qu'i y a ou presque de gros villages. Non pas pour une bonne administration d'ensemble, mais pour un quadrillage du territoire en agents électoraux, car ce qui est demandé aux préfets et aux sous-préfets, c'est d'être des agents aux services exclusifs, et notamment politiques, du parti au pouvoir, actuellement le RPG d'Alpha Condé. Que peut générer une telle conception du pouvoir pour un pays ? Sinon de multiples avaries au navire-Guinée et de multiples blessures et maux pour le peuple de Guinée.

Il a toujours manqué à la Guinée un vrai leader capable d'avoir compris ce que peut être un vrai leader de peuple: c'est-à-dire celui qui s'imprègne de son désir d'avenir et l'élabore en actes politiques ; c'est celui qui fait des promesses et tente de les remplir autant qu'il peut au lieu de profiter matériellement du pouvoir. Ce leader du peuple n'est pas celui qui n'est qu'à la conquête d'un trône et d'un titre illusoire. Au final, les avaries faites à ce pays sont nombreuses depuis cinquante-six ans. Il n'est pas possible de les énumérer à la va-vite ici ; elles couvrent tous les rayons de ce pays. Il suffit, par exemple de voir les infrastructures en tous domaines (agriculture, industries et services, transports, logements et urbanisme, éducation, santé etc.,) pour mesurer le foudroyant recul de la Guinée. Maintenant le Président nous explique, sans rire, que sans l'irruption de l'épidémie Ebola, la Guinée avait commencé à entrer dans l'ère de l'opulence agricole, macro-économique, financière, etc. On se trouve en réalité en face d'un pays dont les dirigeants n'ont pas honte de dire qu'il est riche tout en tendant la main du misérable à d'autres peuples. Où est passée la dignité de septembre 1958 ? Car la dignité n'est pas dans les simagrées de tous ces faux-culs rencontrés lors de nombreux voyages qui fichent royalement de comment peut être dirigée une « République bananière ». Comme ils disent entre eux.

Faut-il citer quelques maux et blessures faits au peuple de Guinée, en partie, par des dirigeants qui se sont cramponnés ou se cramponnent au pouvoir et aux jouissances liées ? Des assassinats massifs ont jalonné le parcours tragique de ce peuple martyr. Tout le monde connaît le calvaire et la mort cruelle de nos nombreux compatriotes sous la damnée Première République et l'attente interminable que justice soit rendue pour leurs familles. Tout le monde connaît les nombreux jeunes aux mains nues fauchés à mort (2006-2007) par les forces de l'ordre sous la Deuxième République pour cause de manifestations qu'autorise pourtant la Constitution. Sans suite judiciaire... Jusqu'ici. Tout le monde sait que cette folie meurtrière s'est poursuivie bien après contre de jeunes manifestants, sous l'éphémère transition du CNDD (2008-2009), dont on retient les massacres ignominieux et les viols de Guinéennes du 29 septembre 2009 à Conakry, toujours sans suite judiciaire. La cohabitation avec la violence étant devenue comme une composante sociétale de notre pays, il semble, qu'au-delà des larmes de crocodile, une inconscience collective de cette évolution monstrueuse s'est durablement installée. Et la violence, politico-mafieuse, prospère toujours : Siguiri, Zowota, Womey. Des cadres sont abattus comme des lapins à Conakry : Mme Boiro, MM. Ghussein, Oury Diallo pour ne citer qu'eux. Devant ce qui aurait, ailleurs qu'en Guinée, mobilisé le potentiel militaire et policier d'un « jeune » Etat, pour réduire la criminalité, on n'entend que le sempiternel refrain : « Les auteurs de ce méfait seront poursuivis et traduits en justice ». Mais j'ai envie de dire « quelle justice ? ». Le ministre Sakho (venu de Montpellier), pour qui j'ai de l'estime, paraît sincère dans ses déclarations. Mais est-il soutenu jusqu'au bout par le président Alpha Condé ? J'en doute, plus occupé qu'est celui-ci par son idée fixe d'être réélu en 2015, car les très nombreux voyages à l'étranger ne doivent pas être séparés de cette préoccupation. Une autre faiblesse ontologique de ce président réside dans sa facilité à être tombé dans l'un des folklores de ses prédécesseurs. Il semble raffoler des fêtes, des divertissements et de ce que les Guinéens ont pris l'habitude d'appeler la mamaya. A ce sujet, je veux parler ici de ce qu'on appelle la commémoration de l'indépendance (même reportée à une date ultérieure pour raison de lutte contre Ebola). Comment s'adonner à des fêtes, même sans présence d'épidémie, dans un pays qui n'a pas cessé de s'enfoncer ? La fête dans toutes les sociétés humaines symbolise une réussite collective et les joies qui l'accompagnent. Une « fête d'indépendance » qu'on aurait consacrée à faire le bilan (sur les deux plateaux de la balance) des 56 années et à en tirer des conclusions serait utile pour tout le monde plus que des dépenses inutiles. Cela aurait même constitué un préliminaire très utile pour cette Conférence nationale dont parle tout le monde. Car, enfin, la recension partielle des faits que j'ai cités aboutit au constat du degré accentué de déconsidération auquel est parvenu l'Etat guinéen aux yeux des citoyens. C'est une explication aussi que l'expression « PUISSANT EST LE BRAS DE L'ETAT » n'est plus une réalité en Guinée. L'exemple des dramatiques événements récents de Womey vient le confirmer. Massacrer aussi cruellement des agents de l'Etat en mission, signifie que les gens se trouvent devant un Etat-Néant. Ils n'ont plus confiance qu'en l'autodéfense. Ils se souviennent des massacres subis par les habitants de Zowota, pas loin de chez eux. L'inaction des pouvoirs publics après ces massacres leur a fait comprendre qu'ils ne peuvent compter que sur eux-mêmes vis-à-vis de ceux qu'ils considèrent comme des intrus. Mais, attention ! Je ne suis pas en train de justifier le tragique sort que des Guinéens ont réservé à des Guinéens en mission de sensibilisation contre Ebola chez eux. C'est un constat de l'absence d'Etat en Guinée, contrairement aux apparences, que je dresse. Encore une fois, en haut lieu de cet Etat-Néant on va se contenter d'attraper quelques lampistes et puis de palabres d'apaisement avant que le rideau tombe sur cette « malheureuse affaire » comme on aime à dire, ici, à propos de drames épouvantables. C'est avec beaucoup de tristesse que j'adresse mes condoléances aux familles de ceux qu'on a cruellement trucidés à Womey.

Pour la santé, la grande question des jours en cours, est la présence de ce fléau de fièvre hémorragique à virus Ebola. Je crois que personne ne peut imputer sa présence dans notre pays à une quelconque responsabilité du pouvoir politique. Mais ce que j’ai entendu comme critiques au pouvoir d'Alpha Condé et que je partage, a été son indécision de départ à prendre la mesure de ce qui se révélera par la suite comme une épidémie redoutable. Le simple fait de n'avoir pas pris au sérieux l'annonce de l'arrivée d'Ebola en Guinée en fin de l'année 2013, est un indice de désinvolture notoire et d’incompétence, non pas médicale, la Guinée n'étant pas gouvernée par un aréopage de médecins, mais d'hommes politiques. On répète assez que gouverner, c'est prévoir. La prévision, la vraie, est assez absente dans la gouvernance du RPG. Face à l'inertie de l'Etat, au tout début de la présence de l'épidémie d'Ebola, il faut rendre hommage à toutes ces organisations (MSF, OMS, CDC/Atlanta, la Croix Rouge, aux gouvernements de France, des Etats-Unis, de Russie, de Chine, de Belgique, de Cuba, sans oublier les services de santé guinéens, qui, tous se sont mobilisés avec les moyens à leurs dispositions pour enrayer l'épidémie Ebola de Guinée et d'Afrique de l'Ouest.

On ne dira jamais assez qu'il faut absolument qu'une fois cette épidémie vaincue, les gouvernants guinéens en viennent à placer l'homme au cœur de leurs actions, pas en intentions volatiles mais en actions concrètes, entre autres, d'éducation sanitaire au sens large. Est-il encore une fois besoin d'insister sur le fait que c'est au gouvernement de la République de Guinée que je pense. Dans un pays largement analphabète, il ne peut pas s'agir de rendre tout le monde responsable de la vacuité de ce qui s'appelle les actions gouvernementales. Or on a pris l'habitude de noyer les responsabilités dans ce pays. C'est le gouvernement du RPG qui est aux commandes de l'Etat et qui est juridiquement, institutionnellement et moralement (de morale publique) responsable de ce qui peut se produire de par l'action et la volonté des hommes. C'est pourquoi, la fausse opinion répandue en Guinée, notamment dans la mouvance présidentielle, de parler de responsabilité de tous, pouvoir et opposition, est une de ces plus grosses malhonnêtetés pour diluer les responsabilités de ceux qui ont la haute main sur tout. Par conséquent, les membres de l'opposition républicaine, notamment ceux des grands partis, UFDG, UFR, PEDN, et leurs alliés ne peuvent pas être perçus comme responsables au même titre que ceux qui régissent le pays depuis 2011. L'opposition républicaine devra renforcer son union, je sais que le contexte ne lui est pas rendu facile. Mais ce qui doit primer, c'est la fin de l'Etat-Spectacle qu'elle a en face et dont l'acteur principal, Alpha Condé, aux idées confuses et brouillées, est atteint par le principe de Peter.

En ce qui concerne cette opposition républicaine, faut-il rappeler à ceux qui sont au pouvoir depuis 2011, combien il est difficile d'être opposants politiques en Guinée ? Ils le savent bien mais ils feraient un pont d'or à qui les aideraient à ne plus y penser.

Ansoumane Doré Dijon - France

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