L'après-Dadis : Konaté quête-t-il un quitus ?

 

Dans un article précédent, j’avais souligné que nous voulions tous, y compris certains militaires, le retrait de l’armée du pouvoir politique. Ce souhait étant largement partagé, se pose une question fondamentale : comment le faire ?

En Guinée nous avons souvent pris le désirable pour le possible en confondant souhait et réalisme. Le souhait c’est d’instaurer un Etat de droit dans notre pays tandis que le réalisme c’est le constat de la présence de bandes armées qui y sont habituées à des privilèges indus et à l’impunité. C’est aussi le constat de la faible marge de manœuvre des partis politiques à la fois nombreux et divisés (en dehors de 4 ou 5 partis, les autres formations ne sont que des sigles).

Aujourd’hui une autre chance de s’en sortir s’offre à la Guinée : on peut maintenant « faire sans Dadis » même s’il faut encore compter avec ses partisans. En neutralisant Dadis, le Dr Toumba Diakité vient de débloquer, peut-être involontairement, la situation guinéenne. Il apparaît comme le vrai facilitateur, contrairement au partial Compaoré. S’il est toujours en « visite officielle » au Maroc où il semblerait encombré (difficultés respiratoires), Dadis n’est plus encombrant. D’ailleurs, le vacarme étourdissant de Ouaga est interrompu depuis un certain 3 décembre 2009. C’est comme si on avait Dadis d’un côté et tous les autres, de l’autre. Autant dire que Ouaga était spécifiquement un problème de Dadis.

Historiquement, la Guinée a incarné, pendant un certain temps, la dignité africaine. Elle n’était pas crainte mais enviée et respectée. A l’avant-garde de l’unité du continent africain et de l’aide aux différents mouvements de libération, notre pays faisait la fierté de ses ressortissants. Aujourd’hui, il arrive qu’on ait honte d’être identifié comme Guinéen. Il faut que cela change !

Les germes de la dignité sont toujours en Guinée mais sous forme de souches qu’il suffit d’arroser pour la faire pousser. Nous avons toujours servi d’intermédiaires pour aider les autres à régler leurs conflits. Pourquoi ne nous retrouverions-nous pas pour résoudre les nôtres ?

Regardez à quel point nous sommes tombés. Je vous donne un petit détail. Dans un Etat de droit, s’il y a un symbole, c’est bien le ministère de la justice. Voyez le loubard Siba Loholamou à qui ce portefeuille a été confié pour des raisons purement claniques. Il est devenu le « garde des sots ». Comment peut-on tomber si bas ?

Ce qui devrait préoccuper tout Guinéen aujourd’hui, c’est comment sortir son pays du blocage actuel. C’est dans cette optique qu’il faut examiner attentivement le discours du général Konaté du 6 janvier 2010. Nous sommes tous habitués aux belles paroles et aux promesses non tenues.

Au regard de tout ce qui s’est passé rien, pour l’instant, ne permet de douter de la sincérité du successeur de Dadis à la tête de la junte. Surveillons-le de près et prenons-le au mot. Il veut relancer la machine ? J’ose espérer qu’il ne s’agit pas de la machine à tuer. Il parle d’un PM issu de l’opposition, de sécurité de chacun, de date d’élections à fixer par la nouvelle autorité de transition, etc. Comme c’est beau, faisons en sorte que ce soit vrai ! Ne donnons pas à Sékouba le sentiment de prêcher dans le désert. Il a de quoi manger mais avant qu’il ne s’essouffle, donnons-lui à boire (de l’eau, évidemment !).

Une junte sanguinaire est aux commandes du pays. Mais je me demande si les porteurs d’armes ne sont pas prisonniers de leur propre « faits d’armes ».

Je m’explique. C’est, me semble-t-il, un signe de faiblesse  que d’utiliser systématiquement la force. Au moindre mouvement de revendication (politique, syndicale, scolaire, etc.) les militaires tirent à balles réelles sur nos compatriotes désarmés. N’ont-ils pas peur de ce qui pourrait leur arriver s’ils perdaient le pouvoir ? C’est à croire qu’ils seraient dans la situation de celui qui tient la tête d’un boa constrictor dont il redoute l’étreinte mortelle et qui ne sait pas comment s’en débarrasser. Le fait de dire que tous les militaires sont coupables les crispe probablement. Il faut leur faire comprendre que les degrés de responsabilité et, donc, de criminalité sont variables car tous n’ont pas commis des exactions. L’armée en tant qu’institution a failli à sa mission mais tous ceux qui en sont membres ne sont pas des tueurs et des violeurs. Il faut donc laisser entrevoir à certains exécutants une perspective de justice sereine. Il n’y a pas pire individu que celui que rien ne retient.

La plus grosse bêtise serait de suspecter systématiquement quelqu’un. Peut-être que Sékouba Konaté veut se démarquer entièrement de Dadis et déboucher le tunnel pour nous permettre d’en voir le bout. Comment le savoir sans l’éprouver ? Les militaires guinéens sont spécialistes des tirs tendus. Si Sékouba (qui cherche manifestement a dégager sa responsabilité dans ce qui s’est passé le 28 septembre 2009) tend la main, prenons-la même si c’est avec des gants mais prenons-la quand même ! Personne n’est dupe.

Pour tester la bonne volonté de Sékouba, exigeons de lui un certain nombre de garanties :

-         Déclarer sans ambiguïté qu’il ne sera pas candidat aux prochaines élections présidentielles, ni lui ni aucun membre du CNDD et de l’équipe gouvernementale actuelle.

-         Mettre en place très rapidement un gouvernement d’unité nationale pour terminer cette transition qui s’éternise. Une transition qui dure n’en est plus une. La première phase étant celle de Dadis (du 23 décembre 2008 au 3 décembre 2009), la seconde phase ne doit pas s’étendre au-delà du 31 mars 2010. Qu’on arrête de nous raconter du n’importe quoi en disant, par exemple, que ce délai est trop court. La Guinée-Bissau a organisé des élections crédibles dans un délai raisonnable après l’assassinat de Vieira. Pourquoi la Guinée ne pourrait-elle pas faire la même chose en moins de 2 mois ? On peut fabriquer des urnes sur place, ce qui donnerait du travail à nos artisans. Les urnes transparentes sont importées et trop chères et rien ne garantit que certaines ne soient pas stockées pour être bourrées d’avance. Par ailleurs, une urne peut être transparente sans que l’élection correspondante ne le soit. De toutes les façons, tout civil qui viendra vaudra mieux qu’un militaire !

-         Dans ce gouvernement de fin de transition, l’armée pourrait conserver le ministère de la défense et celui de la sécurité mais avec obligation de résultat : nettoyer l’armée des bandes ethniques et des bandits et assurer la sécurité des personnes et des biens. Ils se connaissent mieux entre eux.

-         Sékouba, pour être crédible, ne devra pas porter le titre de président de la république, chef de l’Etat, commandant en chef de ceci ou de cela ou d’Excellence mais sobrement, celui de « Président par intérim » (comble d’ironie, on peut parler à la limite du « Président Moussa Dadis Camara, momentanément absent »). C’est souvent avec la démagogie qu’une dictature commence. N’oublions pas que les véritables « tueurs » de Dadis sont ses propres conseillers. On pourrait même sortir un décret militaro policier interdisant tout comité de soutien à l’action de Sékouba.

En résumé, « donnons à Sékouba notre chance » en évitant toute polémique inutile dans laquelle il n’y a que des perdants. L’occasion nous est donnée de voir si nous avons un tigre pouvant nous sortir du tunnel ou simplement un « Sékou chat ».

Je vous salue.

 

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