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L'imbroglio de la CENI

Les problèmes en suspens

Un article sur le site guineeconakry.info et intitulé « Contestations, contradictions et infantilisme politique » m'a intéressé ces derniers temps, car il résume assez bien la situation compliquée qui se joue actuellement à la CENI, où les enjeux sous-tendus ne sont pas accessibles à tous, alors qu'ils constituent pourtant l'essentiel.

En deux phrases tout est dit « on peut avoir l'impression que la bataille que se livrent les protagonistes autour de la CENI, a de quoi ressembler à un délit d'initiés. En fait, les arguments tournant autour des concepts d'indépendance de l'institution ou de personnalité neutre et consensuelle, ne sont que du vernis pour cacher une autre réalité. Les deux adversaires semblent accréditer tout deux, l'idée que la victoire ne tient pas qu'au vote des citoyens. Cela, ils semblent bien le savoir et en paraissent même convaincus. Pour chacun, l'objet de la guerre est alors de s'allier le cœur de l'institution, pour être sûr que le vol et la tricherie lui soient avantageux. Voilà pourquoi le combat autour de la CENI fait et fera rage. C'est là la véritable élection. Le déplacement des électeurs ne semble être qu'une attitude formelle ».

 

Après avoir rappelé succinctement deux (2) problèmes majeurs qui se posent actuellement sur le processus électoral, nous essaierons de présenter plus clairement l'assertion ci-dessus, sans oublier d'évoquer de nouvelles pistes, qui viennent s'ajouter à d'autres citées dans un précédent papier, en vue de répondre à la question de savoir si les élections du 24 Octobre peuvent avoir lieu.

 

Ces 2 questions – non exhaustives - tournent autour de :

  • la présidence de la CENI,

  • l'article 162 du Code électoral.

 

Je n'évoquerai ni les aspects financiers relatifs à la CENI, n'ayant pas assez d'informations à ce sujet – qui en a d'ailleurs ? la mode des audits étant passée -, ni le blocage des fonds par la BCRG. En Guinée, ils sont pourtant essentiels, et pourraient permettre de donner une lecture un peu biaisée des évènements, mais l'urgence ce sont les élections du week-end prochain ?

 

 

La question de la présidence de la CENI

Parmi les 25 membres nommés en 2007, deux n'en sont plus. Ben Sékou Sylla, décédé et Fodé Abass Bangoura, démissionnaire. Ils ont été remplacés par Amadou Salifou Kébé et peut-être – là encore un sac de nœuds - Mgr Albert Gomez. On songe à remplacer Cheick Fantamady Condé (voire Amadou Oury Baldé ??) de façon à revenir aux 25 membres initiaux.

 

Je ne reviendrai pas sur l'élection illégale de Louncény Camara, dont j'ai abondamment parlé. Je précise par ailleurs que la passation récente de pouvoirs entre Hadja Aminata Mame Camara et Foumba Kourouma n'est pas conforme aux textes (article 15 du règlement intérieur de la CENI), car seul le président de la CENI – et non un président par intérim - peut déléguer ses pouvoirs en cas d'absence. Il aurait été utile de procéder à une élection en bonne et due forme, ce qu'auraient pu faire les 17 à l'époque.

 

Encore une fois, j'ai toujours dit et je réitère le fait que 17 membres sur 25 constituaient les 2/3 d'un quorum à atteindre, pour faire un certain nombre de choses (mais pas l'élection de leur président). Ils avaient une majorité qu'ils ont dilapidée, en brûlant les étapes obligatoires et en violant les textes. Ont-ils eu peur que l'accord entre eux ne perdure – preuve en est aujourd'hui que cette entente a aujourd'hui volé en éclats -, d'où la raison de leur empressement d'alors.

 

Je profite par ailleurs de l'occasion pour démentir ce qui est dit ici ou là, il n'est écrit ni dans la loi organique du 29 Octobre 2007 créant la CENI, ni dans le règlement intérieur de la CENI du 31 Janvier 2008, que seuls les membres choisis par la société civile peuvent présider la CENI. Du reste, il est tout à fait possible pour la société civile de choisir des représentants à la CENI qui soient des militants politiques, tout comme les partis politiques peuvent nommer des membres indépendants.

 

Quant aux tentatives éventuelles de corruption envers les pétitionnaires actuels, elles sont autant crédibles que les rumeurs qui ont couru, lors de l'élection du 21 Septembre dernier.

 

En définitive, ce qu'il faut comprendre est que la légalité est paradoxalement absente de la CENI, et on assiste à une véritable chienlit, l'épisode de l'élection de Lounsény Camara ayant toutefois montré que l'ex-présidente était récusée par l'alliance Arc en ciel, au même titre que Louncény Camara l'est par l'alliance des Bâtisseurs. Or sur le plan politique, il n'y a aucune raison de favoriser un camp ou l'autre.

 

La seule chose sur laquelle les deux camps sont d'accord, c'est de ne pas avoir un président partisan. Dès lors, une première solution s'impose : choisir un président neutre.

 

Comment expliquer alors l'acharnement par l'Arc en ciel à défendre à tout prix l'élection de Louncény Camara ? Seul l'article 162 du Code électoral peut permettre de répondre à cette question.

 

 

L'article 162 du Code électoral

« Au vu de tous les procès-verbaux des Commissions Administratives de Centralisation, la CENI effectue le recensement général des votes. Si au cours du recensement général des votes, il apparaît que l’incohérence des résultats figurant dans les procès-verbaux rend ceux-ci inexploitables ou si les procès-verbaux sont entachés d’un vice substantiel affectant la sincérité de leur rédaction, le Président de la CENI, après vérification des procès-verbaux de vote, en prononce la nullité par décision formelle. Dans ce cas, le nombre d’inscrits sur les procès-verbaux déclarés nuls n’est pas pris en compte dans la récapitulation générale des votes. Au terme de cette récapitulation générale, le Président de la CENI dresse un procès-verbal qu’il transmet sans délai à la Cour Constitutionnelle ».

 

Le contenu de l'article semble au départ banal. Il vise essentiellement à annuler les PV qui sont manifestement non conformes : par exemple 1100 suffrages exprimés dans un Bureau de vote qui ne comprend que 1000 électeurs, voire un PV qui ne serait pas signé par le Président du Bureau de vote désigné par la CENI...

 

Le problème, c'est qu'on s'est rendu compte à l'occasion du premier tour, qu'en dehors de ces cas qui ne méritent pas qu'on s'y attarde, sont apparus d'autres cas de PV non conformes, qui peuvent être mis, soit sur le compte de l'ignorance, de l'analphabétisme, du manque de formation... soit évidemment sur le compte d'une fraude généralisée et/ou organisée. Sur ce dernier point, personne n'a répondu à la question, y compris la Cour Suprême, mais tout le monde fait comme si.

 

Dès lors, les problèmes des doubles ou triples signatures, ou des enveloppes non conformes, sont venus s'ajouter aux cas ci-dessus évoqués, à tel point que pour diverses raisons, on a pu annuler jusqu'à 900 000 bulletins au premier tour.

 

Il est donc facile d'imaginer que les mesures d'amélioration des procédures pour le deuxième tour ont eu des vertus pédagogiques, mais aussi répressives : un bulletin qui ne serait pas conforme au deuxième tour serait irrémédiablement annulé. Il suffit qu'il manque une signature par exemple, et le tour est joué. La Cour Suprême a considéré au premier tour que l'absence de signature n'était pas un motif suffisant d'annulation. En sera t-il de même au second tour ? Le Président de la CENI a ce pouvoir d'appréciation, et il l'a seul. Ses 24 collègues ne font que jouer les utilités, mais n'ont aucun moyen d'intervenir.

 

Puisqu'au premier tour les 24 candidats ont subi des pertes de voix, personne ne s'étonnera au deuxième tour, que des pertes de voix soient également constatées. Elles seront d'autant plus vraisemblables s'ils elles n'atteignaient que 500 000 voix, qu'on pourrait se glorifier d'avoir progressé dans la maîtrise des procédures. Le problème réside dans le fait là encore, que le nombre de voix pourrait ne concerner qu'un seul des deux candidats, ce qui revient à dire que le Président de la CENI est en l'état actuel de la législation et de la pratique, celui qui décide du futur vainqueur. A quoi servent dans ce cas les souhaits de 4 millions d'électeurs, et les milliards de FG dépensés, s'il suffit que le Président de la CENI choisisse son candidat ?

 

Un président neutre accepté par les deux camps et qui se contenterait de n'annuler que les PV réellement contestables, constituerait la solution, compte-tenu de la situation actuelle, mais cela irait à l'encontre de la stratégie de l'Arc en ciel, qui tend malheureusement à crédibiliser par son comportement, l'idée qu'elle a besoin de Louncény Camara pour emporter les élections.

 

Que l'on veuille éviter un président partisan peut se comprendre (des deux points de vue d'ailleurs, pour les raisons ci-dessus évoquées), mais lorsqu'on est sûr de sa victoire dans les urnes, on ne peut craindre un nouveau président neutre. En outre, en s'obstinant à vouloir maintenir un président usurpateur, qui plus est avec des pouvoirs disproportionnés et anti-démocratiques, on ne peut s'empêcher de susciter la suspicion et donc le refus de l'autre camp de participer à une compétition dont les dés sont pipés.

J'entends déjà certains pousser des cris d'orfraie, alors qu'ils oublient le jugement du tribunal de Dixinn condamnant Ben Sékou Sylla et Boubacar Diallo en violation FLAGRANTE du droit. En dehors de jugements de valeur, personne n'a contredit le fait que la citation directe était inappropriée. On préfère se cacher derrière l'indépendance de la justice – c'est tellement plus facile et lâche dans ce cas de figure – pour ne pas avoir à le reconnaitre. De même lors de l'élection de Lounsény Camara à la présidence de la CENI, on préfère ne pas insister sur ce qui pose problème, pour ne retenir que le fait que 17 membres sur 25 constituent une majorité pour élire un président : tout le monde trouve normal qu'une femme qui aime un homme suive celui-ci, mais que se passe t-il si on découvre qu'elle est mariée à un autre et non divorcée ?

Dès lors ces mêmes qui jouent les vierges effarouchées, en cas d'annulation de voix en défaveur d'un candidat, propre à modifier le résultat des élections, diront que l'article 162 du Code électoral le permet, et qu'il suffit de saisir la Cour Suprême. Sans m'étendre sur cette Cour Suprême, ceux qui se sont penchés sur sa décision au soir du premier tour, ont compris qu'elle est à l'image de l'état de la justice en Guinée : des considérations factuelles viennent polluer ce qui ne devrait être que des considérations juridiques !!!

Une solution peut consister en un amendement constitutionnel.

 

 Les moyens de ne pas dénaturer le résultat des élections

 

En dehors d'une recomposition de la CENI, avec de nouveaux membres ou ceux-ci, coiffée par un président neutre, solution déjà évoquée, mais non retenue à ce jour, il est difficile d'imaginer d'autres solutions.

Il est difficile par exemple aujourd'hui, de procéder à une élection pérenne, sachant que les membres de la CENI ne devraient pas survivre aux élections présidentielles (du fait de leur discrédit), et on espère d'ailleurs, quel que soit l'élu. Par ailleurs, il serait particulièrement malvenu de le permettre à ceux qui ont violé la loi.

En fait, comme c'est l'article 162 du Code électoral qui pose problème pour les deux alliances, et afin de respecter la Constitution, le CNT pourrait proposer un amendement à cet article (selon les articles 83 et 86 de la Constitution, le CNT - lui seul d'ailleurs - peut le faire), en instaurant l'unanimité des 25 membres de la CENI par exemple, pour l'annulation de certains PV. Pourquoi l'unanimité et non pas une majorité qualifiée ?

Certains cas de fraude sont tellement évidents que l'unanimité est possible. D'ailleurs on pourrait les énumérer limitativement, par référence à ceux rencontrés au premier tour. D'autres cas litigieux pourraient être discutés préalablement et la CENI dans son ensemble n'aurait qu'à trancher quelques situations.

Avec ce système, les deux alliances se sentiront rassurées que rien ne pourra se faire contre elles, et cela évite la désignation d'un président neutre.

 

 Les élections auront-elles lieu ?

 

En dehors du problème de la CENI, il paraît que les problèmes techniques sont quasiment résolus. Pour en être sûr, il suffirait d'imposer un militant de l'UFDG comme président pour en être persuadé (c'est du deuxième degré je précise !!), puisque l'Arc en ciel semble être prête en fonction du titulaire de la présidence !!!

Le général Konaté n'ayant pas contesté l'élection de Louncény Camara, dans laquelle le gouvernement, via le Matap était impliqué, alors qu'il est pourtant le garant des institutions, le seul problème qui se pose, mais il est de taille, est de savoir qui aura le pouvoir - exorbitant s'il en est, et purement anti-démocratique à mon sens – de faire application d'un article 162 non modifié. Jusqu'à aujourd'hui, on ignore si le général Konaté qui « reconnaît » Louncény Camara, puisque c'est à l'initiative de ce dernier que la date du 24 Octobre a été retenue, le fait par solidarité avec son PM ou avec son candidat. Il est clair que personne ne peut fermer les yeux sur le fait que les nombreuses suggestions d'Alpha Condé ont été prises en compte, retardant ce deuxième tour de près de trois mois, alors que la seule revendication de Cellou Dalein Diallo (la récusation de Louncény Camara) reste pour l'instant lettre morte.

Le message est clair, mais prendre la responsabilité de violer indirectement les textes constitutionnels en entérinant cette présidence, c'est prendre le risque personnel d'une carrière politique future plus délicate (à l'ère de l'information, la mémoire est moins volatile), mais surtout c'est non seulement déclarer une guerre ouverte à la démocratie, mais encore sous-estimer les réactions négatives que cela susciterait.

Le général Konaté ne peut pas prôner la paix, la réconciliation, et même la formation d'un gouvernement d'union et en même temps refuser à l'un, ce qu'il a accepté pour l'autre. De même la coalition qui a lutté pour des élections transparentes, qui réclame et prétend vouloir la paix, mais se refuserait à tout compromis susceptible de la favoriser, montrerait son vrai visage, si tant est qu'elle ne l'ait déjà fait.

Un principe en matière de politique, est de ne pas faire aux autres, ce que l'on n'aimerait pas qu'ils vous fassent. A partir de là, on peut comprendre l'attitude et de l'Arc en ciel et des Bâtisseurs, mais la situation étant bloquée, la seule solution consiste en ces deux possibilités.

Du reste, une solution consistant à confier les pouvoirs de la présidence de la CENI au Président du Comité de suivi et d'évaluation des actes préparatoires du deuxième tour - une coquille vide sans pouvoirs, qui n'est que de la poudre aux yeux -, le Burkinabé Aly Traoré, ne serait pas davantage une bonne mesure, eu égard à son parti pris très subtil, mais néanmoins réel, en faveur de l'Arc en ciel. Il ne s'agit pas de donner le pouvoir à quelqu'un pour nommer un président - n'est-ce pas général Konaté qui êtes également concerné ? -, il s'agit de s'incliner devant le choix de la population, dont 25 membres vérifient la véracité du scrutin.

La nomination temporaire d'un président neutre, ou un amendement à l'article 162, sont deux solutions simples, claires et faciles à mettre en œuvre, qui suggèrent qu'il n'y aura pas d'abus dans l'application de cet article, dont personne ne parle, mais auquel tout le monde pense. Elles sont le sésame à des élections libres et transparentes, qui constituent le seul gage d'une transition apaisée.

N'est-ce pas la seule chose qui compte réellement pour la Guinée ?

 

Gandhi, citoyen guinéen

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