Lettre à Rabiatou Sérah Diallo
- Par Administrateur ANG
- Le 12/04/2011 à 21:26
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On peut ne pas être cultivé, mais être intelligent. A l'inverse, on peut être cultivé, mais pas intelligent. Le mieux est de combiner les deux qualités de manière positive, sachant que l'inverse, n'offre que peu de perspectives, à moins d'en avoir conscience.
L'objet de cette lettre ouverte est de vous demander, à défaut d'être courageuse, qualité qui s'émousse au fil du temps, au moins de faire preuve d'intelligence.
Le gouvernement actuel n'a pas d'argent, mais il en est au moins responsable partiellement (ne serait-ce que parce que certains membres de ce gouvernement, à commencer par le Ministre de l'Économie et des Finances, Kerfala Yansané n'a pas changé d'attribution).
Il est logique qu'un gouvernement cherche à mobiliser des ressources. Je ne reviendrai pas sur sa manière scandaleuse d'y parvenir, puisque l'objet de ce papier est de commenter sa dernière trouvaille en ce sens, à savoir selon certains sites web (dont Aminata.com), l'émission d'un emprunt obligataire de 500 millions d'euros.
Sur l'opportunité d'autoriser le gouvernement
Le gouvernement a adressé vendredi 8 Avril au CNT un document (pour autorisation ?) dont la finalité est de réaliser un emprunt obligataire en devises de 500 millions d'euros.
Le gouvernement rappelle : « qu'il a élaboré un plan d'action visant, entre autres, la réconciliation et l’unité nationale (on en reste bouche bée), l’édification d’un État de droit (dans ses rêves les plus fous sans doute ?) ainsi que le redressement économique et financier du pays (pour l'instant, on essaie surtout de redresser le passé !!!) ».
Ce gouvernement aurait : « également entrepris des réformes macro-économiques (on se demande bien lesquelles ?) qui vont permettre de ramener le taux d’endettement à moins de 30% du PIB (en empruntant de nouveau ?) ».
« Avec la politique de bonne gouvernance mise en place (croit-il au moins ce qu'il dit - ce qui serait grave -, ou est-ce pour nous faire rire ? jaune ?), le gouvernement vise la consolidation de la relance économique (je n'avais pas vu qu'elle avait même commencé) », est-il indiqué dans ce document.
Apparemment le gouvernement souhaite que le CNT : « autorise le gouvernement à contracter un emprunt obligatoire (Article 1er), fixe le montant maximum de cet emprunt (Article 2), définit la destination du produit de l’emprunt (Article 3) et précise que les conditionnalités juridiques et financières de l’opération sont déterminées par le Ministère de l’Économie et des Finances et la B.C.R.G. La Banque centrale interviendra en qualité d’arrangeur et chef de file de l’opération avec le mandat du Ministère de l'Économie et des finances, pour la structuration et la réalisation de l’emprunt obligataire.
Des raisons internes « subjectives » de refuser
Il existe d'abord des raisons tenant à la forme...
Sur la forme le gouvernement ne sollicite l'autorisation du CNT que pour une caution morale. On a vu que le PRG s'asseyait sur la Constitution quand cela l'arrange, donc nous faire croire aujourd'hui qu'il va s'atteler à la respecter, serait vous prendre pour une imbécile !!!
D'ailleurs, la Constitution prévoit simplement de soumettre l'examen de la loi de finances à l'Assemblée (qu'en est-il sur ce point?), et non une partie de ce que pourrait être son financement. Il n'y a donc pas d'obligation à obtenir l'accord du CNT pour réaliser cet emprunt.
Le gouvernement indique que le CNT doit indiquer le montant maximum, mais a prévu que l'emprunt porterait sur 500 millions (que se passe t-il si le CNT n'autorise que 50 millions ?).
Le gouvernement définit la destination du produit de l’emprunt (qui ira le vérifier ?) mais précise que les conditionnalités juridiques et financières de l’opération sont déterminées par le Ministère de l’Économie et des Finances et la B.C.R.G. (au CNT, circulez il n'y a rien à voir). Comment rembourser, en combien de temps, à quel taux, selon quelles modalités, avec quels frais de dossier et commissions (encore pour le MEF, la BCRG... ou certains de ses membres ?), quelles sont les garanties offertes aux créanciers... (bref tout ce qui compte dans un crédit est hors la vue du CNT... et des Guinéens, comme d'habitude).
On demande donc un chèque en blanc (à hauteur de 500 millions) au CNT.
… mais ensuite, il en existe également sur le fond.
On demande ce chèque en blanc au CNT, à mon avis pour plusieurs raisons :
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les créanciers potentiels exigent vraisemblablement l'accord du pays tout entier (par l'intermédiaire du CNT), en vue de ne pas se voir annuler un contrat (forcément léonin), à la manière d'un Alpha Condé supprimant des baux ou des contrats de concession par décret, par le PRG lui-même (ce qui serait le comble, mais on n'a pas tout vu encore!!!), voire à l'occasion d'une alternance politique ;
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les créanciers doivent déjà exister, et l'autorisation du CNT n'a pour but que de « légitimer » ce genre d'opérations louches, car relevant généralement de banques de stature internationale, avec la présence d'agences d'évaluation internationale1, mais ne sont pas confiées à des techniciens de seconde zone, pour qui les causes de l'inflation relèvent des cambistes, ou qui ont déjà reconnu avoir par le passé, mis le doigt dans le pot de confiture ;
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accessoirement cela permet de continuer à endormir la population, en faisant croire au CNT qu'il intervient dans le processus budgétaire, alors qu'il n'en est rien (voir ci-dessus), et à ce titre il faudrait d'ailleurs que le CNT exige l'établissement d'un budget (si le PRG veut respecter la Constitution...) ;
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pourquoi emprunter, alors que la fonction publique n'est pas restructurée avec des dépenses de fonctionnement toujours aussi importantes, que pendant deux ans, on n'a pas été capable de payer ne serait-ce que les intérêts de la dette passée ? Même si le PRG est différent, on ne fait pas un pays avec une seule personne, l'administration et son système sont restés identiques (parfois avec les mêmes hommes). Puisqu'on ne peut pas reprocher à Alpha Condé de changer les choses en trois mois, cela marche dans les deux sens, et puisque rien n'a changé, pourquoi se précipiter à engloutir 500 millions d'euros, qui vont obérer la dette pour RIEN. La réalité est sans doute plus prosaïque et tient dans le fait que le gouvernement n'a pas les moyens de payer les salaires (la Banque mondiale s'est engagée sur les projets), et le PRG est tellement obsédé par les législatives et l'élimination politique de ses adversaires, qu'il préfère se passer de l'aide de l'UE en les différant, plutôt que d'essayer de rassembler la population autour d'un Projet commun.
Pourtant si Alpha Condé le voulait, il organiserait les élections législatives avant Juillet, et même s'il les perdait, il y a suffisamment de patriotes prêts à défendre l'intérêt national (quand il existe réellement), y compris contre les partis, pour faire avancer le pays.
Les raisons externes « objectives » de refuser
S'il y avait des raisons moins « subjectives » de refuser cette complicité, il faudrait se rappeler qu'en 2009, Dambisa Moyo, une Zambienne, Docteur en Sciences économiques d'Oxford et MBA à Harvard (pas une attestation obtenue après un stage durant les deux mois d'été), et ayant travaillé pour la Banque mondiale, déclarait - in « l'aide fatale », 2009, Éditions Jean-Claude Lattès - que les gouvernements africains devraient suivre l'exemple des marchés asiatiques émergents (nous en sommes loin), c'est-à-dire approcher les marchés internationaux de capitaux en ayant recours à l'émission d'obligations et tirer parti des taux d'intérêts décroissants payés par les États emprunteurs.
Elle indiquait que pour procurer un maximum de biens et de services à sa population, un gouvernement a besoin d'argent, et elle était partisane de la suppression progressive de l'aide systématique (avec la coopération des donateurs), sur une période de cinq à dix ans.
Elle rappelait qu'en Septembre 2007, le Ghana avait émis des obligations à dix ans pour une valeur de 750 millions de dollars sur les marchés internationaux de capitaux. Ces prêts ou reconnaissances de dettes sont remboursables à un taux d'intérêt spécifié2 (plus important que ceux de l'aide), pour un délai plus court (ceux de la Banque mondiale peuvent atteindre 50 ans), et avec des sanctions en cas de non paiement plus strictes (le gouvernement en a t-il parlé ?).
Ces obligations visent à financer des programmes de développement, y compris leurs infrastructures, l'éducation ou les services de santé, mais aussi les dépenses courantes, voire les déséquilibres de la balance commerciale. Et c'est là que le bât blesse, car toutes ces dépenses sont improductives, or il faudra bien rembourser cet emprunt : c'est donc forcément avec des matières premières.
Accéder aux marchés d'obligations ne présente pas de difficultés particulières : il suffit d'obtenir une note fournie par des agences d'évaluation internationale, qui indiquera aux investisseurs les risques encourus (degré de probabilité du remboursement du prêt) et déterminera ce que le pays aura à payer pour emprunter. Ensuite, il faudra séduire et convaincre ces investisseurs potentiels via l'intermédiaire d'une banque. Ici tout est plus simple : il n'y a pas d'agence internationale et la Banque, c'est carrément la BCRG (on peut donc imaginer un contrat de gré à gré, une expression très à la mode en Guinée).
En principe, les investisseurs ne sont plus des investisseurs à court terme dans ce genre d'opérations, et l'existence d'obligations est fait pour rassurer les investisseurs, en conférant une crédibilité accrue au pays demandeur de fonds. Par suite, on peut remplacer les obligations internationales, par des obligations nationales, voire s'adresser à l'épargne et à l'impôt (c'est ce qui devrait être fait, mais personne n'en prend le chemin, puisqu'on décourage même les commerçants, les plus importants détenteurs de capitaux locaux).
Donc sur le plan des principes, l'idée n'est pas mauvaise en soi, sauf que les conditions objectives de succès de cette initiative ne sont pas réunies - loin s'en faut -, et ne servent qu'à maquiller des opérations suspectes.
Selon Dambisa Moyo, sur les 35 pays africains ayant émis des obligations sur les marchés internationaux, tous ont fait défaut. A part le Ghana et le Gabon en 2007, aucun n'est revenu sur ces marchés, mais c'est bien connu, nous, nous sommes meilleurs que les autres (voir notre classement) !!!
Conclusion
L'avantage de la transparence est qu'il permet non seulement à tous les Guinéens d'émettre une opinion ou un avis (et deux avis valent mieux qu'un), mais il constitue l'une des conditions de l'établissement d'un régime démocratique, qui n'hésite pas à montrer ce qu'il fait et comment il le fait. A l'inverse l'opacité permet toutes les compromissions et toutes les suspicions. Tout le monde se demandera d'où viennent ces 500 millions, car personne n'est dupe : Alpha Condé va émettre cet emprunt, avec ou sans l'accord du CNT :
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ont-ils un rapport avec les 500 millions que le groupe Bolloré s'est engagé à fournir sur 25 ans, mais qu'il serait prêt à fournir - au vu de l'urgence - sous conditions ?
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ont-ils un rapport avec les 25 millions de dollars mensuels que la société de Georges Soros s'est engagé à fournir à 5,8% de taux d'intérêt ?
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sont-ce des Chinois en manque de fer ou de bauxite, qui seraient prêts à intervenir ?
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serait-ce le général Konaté ou ses complices qui seraient prêts à recycler leurs détournements en leur donnant une apparence légale ?
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des Russes ou des Colombiens.... ?
Purs fantasmes.... c'est sûr, alors qu'il serait plus simple et plus sain d'être transparent, mais on ne change pas une équipe qui...
En tous cas, une chose est claire, au vu des conditions précités, le CNT (ou certains de ses membres) ne doit pas se rendre complice de ce nouveau scandale à venir, dont j'ai essayé en urgence de dessiner les grands traits. Les Guinéens, notamment la jeunesse, car c'est elle qui devra rembourser, non seulement cet emprunt, mais également ceux passés, n'acceptera pas de payer ces dettes, dont elle ne profite pas, et contractées en dehors d'elle, voire même employées contre elle.
Gandhi, citoyen guinéen
NB : que ceux qui ont la possibilité de contacter Rabiatou Diallo le fassent.
1Standard & Poor, Moody's, et Fitch Ratings sont les trois plus importantes, dont le rôle est d'estimer la capacité (revenus probables) et la détermination de rembourser la dette.
2Pourtant, il n'y a pas photo entre un prêt de la Banque mondiale à 0,75% et une émission d'obligations à 10%.
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