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Monsieur, vous êtes ingénieur !

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Cette scène s’est déroulée il y a quinze ans dans les locaux du service des cadastres à Boffa une ville de notre chère Guinée.

En 1993, si mes souvenirs sont bons, j’avais décidé en collaboration avec une agence suisse, de faire un circuit touristique en Guinée ; je devais donc aller visiter les villes choisies et ville par ville, repérer les sites touristiques, les hôtels ou la possibilité de logement chez l’habitant et les attractions culturelles.

Le circuit était Conakry, Kindia, Mamou, Dalaba, Pita, Labé, Gaoual, Boké, Boffa, Fria et Conakry ; j’avais sollicité l’aide de la RTG pour avoir un cameraman (à l’époque je ne savais pas filmer). Pendant deux semaines, j’étais avec Souleymane Bangoura de la RTG’ ainsi naquit notre amitié. C’est nous qui avons apporté à l’époque des images de sites inconnus du grand public. Parmi ces images, PZ de dominya, village à quelques kilomètres de Boffa près du bras de mer.

Littéralement, ce fut un coup de foudre ; ainsi, j’avais formulé et obtenu l’autorisation du ministère du tourisme pour y installer un village de vacances. Autre information, c’est là que fut construite la première école en Guinée non loin du port négrier. Un vieux bâtiment y existe encore. J’avais alors commencé la rénovation du vestige avec comme maître des travaux, le chef du village Mr Thierno Soumah.

Le frère de Mr Soumah qui avait besoin d’argent, m’a proposé d’acheter une partie de son terrain donc je me suis retrouvé avec un terrain de l’Etat et un privé pour mon logement. Ironie du sort, en parlant de mon projet à Toulouse (mon lieu de résidence d’alors), je découvre que Tonton Léonard Katty, un de doyens que je respecte beaucoup, est originaire de Domiya et que Mr Thierno Soumah est son meilleur ami d’enfance.

Alors le village m’adopte et l’on parle du projet un peu partout surtout après la visite et le spectacle d’un groupe suisse. Seulement, voilà, les responsables administratifs à Boffa décident de rentrer en jeu et mes ennuis commencent. Je suis convoqué à la préfecture pour me dire d’aller au cadastre car le terrain doit être délimité.

D’accord mes les limites sont déjà connues ; pas du cadastre ; alors le chef de service et quatre collègues s’embarquent avec moi pour délimiter le terrain. Il n’est pas si grand, n’empêche.

Au retour dans le bureau, tous les collaborateurs réunis, le chef de service prend la parole

· Monsieur Théa, vous voyez, ici en Guinée, le fonctionnaire mange derrière son bureau ; nous avons fait le travail comme vous l’avez constaté, un (en s’indexant), deux, trois, trois, quatre et cinq( en indexant les autres), ingénieurs…

En ce moment précis, un collaborateur leva le doigt pour dire

· Chef, je ne suis pas ingénieur…

· Monsieur, vous êtes ingénieur (d’un air autoritaire) ; alors Mr Théa, je disais, cinq ingénieurs ont fait votre travail, cela prouve l’importance que nous accordons à votre projet ; de ce fait, vous allez payer tant de millions pour avoir le plan.

J’ai failli sursauter mais je gardai mon sang froid et calmement :

Messieurs les ingénieurs, je vous remercie ; donnez-moi le temps d’informer mes partenaires qui doivent financer et je vous apporterai la somme.

Vous n’avez même pas une petite avance ?

Non, sinon, je l’aurais fait de suite.

Je percevais la déception et j’allais ainsi informer le préfet de la réunion ; chemin faisant, je trouve le préfet qui ne me faisait dos ; dire à un Monsieur, qu’il n’est pas bâtard ; qu’il était venu pour prendre sa part. C’était évident que ces responsables voulaient me plumer.

Une amie suisse me conseilla alors de laisser pour le moment, le projet de Boffa et finir l’installation de mon centre de formation professionnelle à N’Zérékoré.

Là aussi, avec professeurs français, il faut plumer mais c’est une autre histoire.

En 2000, après dix ans d’activités infructueuses j’avais le choix entre partir ou crever.

Quatre ans sans aller à Boffa avant de quitter la Guinée ; à mon retour onze ans après à Conakry et quinze ans après, mon complice Souleymane Bangoura et moi, décidèrent d’aller à Domiya pour prendre les nouvelles de mon terrain privé.

Quand on sait qu’en Guinée, des terrains sont vendu à multiples acheteurs, je ne me faisais pas grande illusion; surtout depuis le décès de Mr Thierno Soumah, il y a des années.

Nous l’avons pris au compte d’une promenade ; arrivé dans le village qui a quelque peu changé, je m’approche d’un jeune sur une véranda

Bonjour Mr, je cherche la concession de Mr Thierno Soumah.

Il sorti de la véranda, me regarda longuement

C’est Mr Théa

(très étonné), oui

Paul Théa ?

Oui

Je suis le cousin de Pokou, celui qui vous a vendu le terrain.

Je ne pouvais pas mieux tomber ; je ne me souvenais pas de lui mais bon, j’allais rapidement être fixé. Chez Mr Thierno, je reconnais un de ses frères, l’on me présente un de ses fils bref un accueil formidable. Première bonne surprise ; mon terrain est intact.

Mr Soumah a tenu à ce que ce terrain soit jalousement gardé et sa famille a respecté les consignes des années après lui.

Le terrain PZ, est délabré, le bâtiment à l’abandon bref. Tout à refaire.

Je me retrouve avec un groupe de jeunes à faire le tour, les petits ont entendu parler de moi et me voient pour la première fois ; les bons et mauvais souvenirs défilent dans ma tête ; je n’en crois pas du tout. Ainsi, l’on me raconte que chaque fois quelqu’un s’intéressait au coin, on lui parlait de moi ; sauf quand Ousmane Conté, fils du président y débarqua, informé par qui, ils ne le savent pas ; il demanda aux dames de nettoyer le coin pour y construire sa maison. Mais son père mourra en ce temps et plus rien.

Alors un jeune me demanda de refaire mon projet pour leur donner du travail et apporter plus d’animation au village.

Mon Analyse :

Voici une histoire authentique qui se passe dans un village sousou.

Aux ethnocentristes, je dis toujours que je ne suis pas naïf, je sais qu’il y a de l’ethnocentrisme en Guinée mais qu’il est exacerbé par les politiques.

Dans tous mes déplacements dans notre pays, je n’ai jamais été rejeté à cause de mon ethnie ; je trouve toujours que nos cultures sont des richesses à exploiter pour le tourisme.

Quelle amitié ? Quelle fidélité ?

Le lendemain, je suis allé au ministère du tourisme avec les photos de PZ pour exprimer mon intention de reprendre le coin pour y mettre un village de vacance ; ils m’ont conseillé d’écrire au Ministre. C’est fait ; j’attends la suite.

Pour ces jeunes, par amitié, je vais le faire ; adviendra ce qui adviendra.

A N’Z érékoré aussi les profs m’ont dit vouloir reprendre mon centre même sans moi à condition de trouver des ordinateurs ; je le ferai aussi. Ils étaient là quand j’avais besoin d’eux.

Si tout va bien, dans trois mois, de retour en Guinée pour commencer les travaux à Domiya ; village du grand frère Jeannot Williams.

Il ne me reste plus qu’à écrire deux articles avant de disparaître du net pour m’occuper du montage de mon documentaire ; un sur Mr Amidou Bangoura des ballets africains et un sur mon tonton Odilon Théa, grand journaliste devant l’éternel ; aujourd’hui à la retraite et donc plus disponible, il a accepté de travailler avec moi.

Imaginez une émission radio et une TV, animées par Odilon et Paul Théa ; rien qu’à y penser, j’ai la chaire de poule.

Avec le recule, je rigole de mes mésaventures en Guinée.

Je vois encore, comme si c’était hier, ce chef de service, toiser son collègue

« Monsieur, vous êtes ingénieur » ; pas étonnant que quelques années plus tard, je trouve à Conakry tant de docteurs, d’excellences; que sais-je encore.

Oh la Guinée, drôle de pays.

Paul Théa

Paul THEA

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