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CENI : Un autre problème guinéen qui reste intact !

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Bienvenue en Guinée, pays où l'exploit de chaque génération consiste à refiler ses carences et problèmes aux suivantes.

Plus de deux ans maintenant que ce conflit autour de la CENI dure et divise les guinéens en repoussant toutes les limites des violations de droits et libertés individuelles, assassinats y compris, sans émouvoir suffisamment la génération « forces vives » ou encore «de la troisième république » qui, faut-il le mentionner, dirige aujourd'hui toutes les instituons : le gouvernement, la présidence, le CNT, la société civile, et l'opposition. Pour rappel : l'essentiel du problème de la CENI sortante était qu'il y avait une inadéquation entre sa composition datant de 2007 et le nouveau paysage politique qui s'est dessiné après le décès de Lansana Conté, la transition militaire et les présidentielles de 2010.

À cela s'ajoutait « l'incompétence et la corruption des commissaires » dont, au premier chef, le président sortant Lounceny Camara. Depuis Septembre dernier, on nous vend les mérites et les victoires (pour l'opposition) d'une « nouvelle loi » organique que l'opposition accepte du jour au lendemain alors qu'elle la dénonçait la veille car rédigée, adoptée et promulguée de façon opaque par le CNT, le gouvernement, le PRG et tous ceux qui naviguent autour. Seul changement, le débat autour de la désignation des commissaires ne se fait plus entre mouvance présidentielle et opposition, comme ce fut le cas ces deux dernières années, mais au sein de cette dernière elle-même. Une première victoire à attribuer au pouvoir.

Il ne s'agit pas ici d'une analyse de la loi, dans son écriture ou son interprétation, mais de se demander si l'outil qu'on nous vend solutionne le problème. Ce qui importe, c'est de savoir si dans l'avenir des guinéens devraient encore s'entretuer pour la CENI. Voyons ce qu'il en est !

Recomposition de la CENI, le problème est-il réglé ?

Pour répondre à la question, reprenons le contexte du conflit lui même. Supposons qu'il survienne un empêchement constitutionnel du PRG (pour x raison dont le décès par exemple comme dans le cas de feu Lansana Conté), et que la Guinée retombe dans une nouvelle transition (présidentielle). On imagine que l'échiquier politique changera nécessairement de physionomie (nouvelles alliances, disparition ou perte de poids politique pour certains partis, etc.) et la CENI-2012 sera la même source de conflit que la précédente. On peut bien évidemment répondre qu'il y'a très peu de chances que le parti qui gagnerait les élections, dans un tel scénario, soit majoritaire dans la nouvelle au point de la contrôler. Spécificité guinéenne oblige : il faut tout de suite se rappeler que, comme toutes les autres institutions, les commissaires jurent fidélité et obéissent d'abord aux coordinations régionales (CR) avant leurs partis politiques respectifs. Étant donné qu'en vertu de l'Article 15, désormais : le « quorum pour valablement siéger est des deux tiers (2/3), ses décisions sont prises à la majorité simple » - en lieu et place du consensus de l'ancienne loi (en son Article 20) - et qu'«en cas d'égalité de voix, celle du Président de séance est prépondérante ». Advenant donc une nouvelle redistribution des cartes politiques, le parti qui aura la faveur d'une ou deux CR (totalisant 17 représentants) sera le champion de la CENI. D'autant plus que « la non désignation de membre(s) par l'une des parties visées par l'article 6 et dans un délai de dix jours francs ne saurait faire obstacle à l'installation et le fonctionnement de la Ceni ». (Article 7). Le ministre du MATAP, Alhassane Condé, doit regretter l'ancienne loi qui disait que « la non désignation dans les délais requis équivaut à une renonciation », mais il a bien raison de dire que « ce n'est pas son rôle de distribuer les postes au sein de la CENI ». C'est

simple, pour bien servir son maître, et la nouvelle image que veut se donner le pouvoir depuis Septembre, il lui suffit d'appliquer et faire respecter la loi (ce qui est son rôle), notamment l'Article 7 ci-haut, et laisser l'opposition s'entredéchirer. Cette dernière (Collectif et ADP) qui ne voulait pas obéir au diktat du gouvernement se retrouverait illégalement soumise aux caprices d'un ministre, auquel elle demande déjà de « ne pas toucher à ses quotas». Quelle drôlerie ! Il n'en a pas besoin.

Dire ce qui précède c'est aussi expliquer le conflit au sein de la société civile (CNOSCG) quant à la désignation de ses trois représentants, seuls aptes à diriger l'institution, en vertu de « la nouvelle loi ». Là aussi il faut penser aux coordinations régionales et leur besoin stratégique de contrôler la présidence de la CENI. On peut déjà parier sur une deuxième victoire du pouvoir.

Est-il vrai que « la CENI est composée de personnalités reconnues pour leur compétence et leur probité » (article 4) ?

Ce point commun entre la nouvelle et l'ancienne loi est aussi l'un des rares qui a fait l'unanimité entre pouvoir et opposition : Alpha Condé a été le premier à remettre en cause cet extrait de la loi, en dénonçant « incompétence et corruption (et même vol de bulletins) » dès l'entre deux tours des élections présidentielles de 2010, et l'opposition a passé les deux dernières années à fustiger la CENI et ses commissaires.

Il est à noter : que la CENI sortante n'a jamais été capable d'organier, sans intervention externe, une quelconque élection depuis sa mise en place en 2007 ; qu'Alpha Condé n'a « renvoyé » Lounceny Camara que lorsque ce dernier a cessé d'être le problème de l'opposition ; que présidence, gouvernement et mouvance ont usé de tous les subterfuges pour retarder la tenue des législatives. Ensuite, du côté de la mouvance et de l'opposition, la tendance est à la reconduite, dans leurs fonctions, des anciens membres de la CENI. Ainsi, les premiers récompensés par la classe politique sont ces « incompétents et corrompus » que l'opposition accusait d'avoir tous rejoint le camp du pouvoir après les présidentielles. Alpha Condé s'en était même délecté dans les médias et proposait récemment une recomposition partielle, histoire de maintenir quelques anciens commissaires. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, les mêmes hommes sont capables de refaire les mêmes bêtises. Troisième victoire donc, pour le pouvoir.

Ceci dit, regardons vers l'avenir et un autre scénario pour mieux cerner la problématique : la « nouvelle loi » dit aussi que « les membres de la CENI sont nommés par décret, pour un mandat de sept (07) ans non renouvelable » (Article 8). Pour simplifier, supposons qu'ils vivent tous jusqu'à la fin de ce mandat en 2019, soit seulement quelques mois avant la présidentielle de 2020 qui logiquement marque la fin du deuxième mandat et règne d'Alpha Condé. Il est à parier que ce dernier, à défaut de tenter une modification de la constitution, ne se gênera pas de faire de la recomposition de la CENI l'inspiration de tous les subterfuges pour prolonger son règne. Comme Laurent Gbagbo l'a fait en Côte d'Ivoire. Dans le meilleur des cas il faudra redésigner de nouveaux commissaires (quand on voit ce qui se passe actuellement, cela risque de durer longtemps), les former, et attendre que la cuvée 2019 soit suffisamment crédible et opérationnelle pour parler de présidentielles. Puis, s'en remettre à la « bonne volonté/foi des uns et des autres » (comme ce vœux pieux qui voulait qu'on aille vite aux élections présidentielles pour finir avec la désormais interminable transition en se fiant à la bonne foi de l'heureux élu qui organiserait les législatives dès son installation), « aux prières et bénédictions » des religieux lors des dialogues exclusivement-inclusifs, et à la légendaire « neutralité » des coordinations régionales. Une ultime victoire du pouvoir (ou de son dauphin éventuel choisi par la CR patronne de la CENI) pointe déjà à l'horizon 2020 !

Conclusion :

Il y a donc de fortes chances que « recomposition, incompétence et manque de probité » de la CENI reviennent nous hanter, d'abord à cause du retour des anciens commissaires, mais aussi à cause d'autres insuffisances de la loi et du manque de responsabilité collective et individuelle. C'est à se demander ce qu'ils appellent « avancée majeure » pour le peuple, « volonté politique» du pouvoir ou « victoires de l'opposition ». À moins qu'on parle de volonté politique de sauver la face d'une opposition à court d'initiatives, de victoires égoïstes et irresponsables du pouvoir et d'avancée majeure des coordinations régionales qui renforcent leur mainmise sur les institutions de la république (la véritable bombe à retardement nationale). Cette Loi n'est en réalité qu'une énième façon de tourner honteusement cette autre page d'histoire qu'on est incapable d'écrire avec fierté. Depuis le décès de Conté, les Forces Vives, en véritable syndicat de leaders politiques, ne semblent trouver de consensus qu'autour des questions qui divisent et tuent les guinéens. Tout le monde chante « démocratie à la guinéenne » mais on se permet de pervertir tous les tournants historiques décisifs en vulgaires occasions de se faire une place au soleil. Or, c'est en établissant nos lois et mettant nos institutions en place qu'on donne une définition à cette théorie. Au lieu d'éradiquer définitivement les sources potentielles de conflit par une véritable remise en cause du chemin emprunté, le leadership ne fait que survoler les problèmes, au gré et rythme des préoccupations individualistes du moment, en chansonnant l'hypocrite unité-nationale dans tous les discours. Le président de la république qui ne se préoccupe pas de l'avenir et de la paix n'en fait qu'à ses caprices et rancunes ; l'opposition, plus préoccupée par son image internationale que celle de la nation, se contente simplement d'exister. Que dire du CNT et de la société civile ? Que d'opportunités manquées ! Depuis ces honteux accords d'Ouagadougou (signés entre copains et représentants de la même partie), dont chacun vantait les mérites sans en connaitre le contenu. Finalement, il y a bien un point commun entre pouvoir et opposition d'aujourd'hui : c'est leur mépris pour le peuple au nom duquel on vote, négocie, fait tuer et saute les pages d'histoires, sans le consulter. Inutile de coucher des propositions ou des recommandations, ceux qui décident et parlent en notre nom s'en moquent. Quel héritage ! Pour la jeunesse (et les générations futures) qui paie déjà le lourd de tribut des divisions mesquines. On est bien loin du rêve d'une commission Indépendante et crédible pour laquelle des jeunes sont morts en Janvier et février 2007, il faudrait encore que d'autres meurent, dans un avenir proche, pour la désormais récurrente affaire de la CENI.

Oui ! On est bien en Guinée, pays ou la formule « payer au suivant » se lit plutôt « faire payer le suivant ». Quelle Honte !

Le 20 Octobre 2012

Boubacar Barros Diallo

« Un Guinéen de l'étranger, qui n'a pas droit de vote, enfant de l'Axe du Mal secteur Bambéto Cosa ».

Boubacar Barros Diallo

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