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Loin de la capitale, l’État guinéen peine à gérer les violences interethniques

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Depuis lundi, des violences interethniques créent la panique dans plusieurs villes du sud-est de la Guinée Conakry. Tandis que le bilan est déjà d’une cinquantaine de morts et de près d’une centaine de blessés, sur place, les habitants s’interrogent sur l’efficacité des mesures prises pour éviter ces débordements pourtant récurrents dans la région.

À l’origine, c’est une accusation de vol dans une station-service de Koulé, une commune rurale du sud-est de la Guinée, qui a mis le feu aux poudres : des voleurs appartenant à la communauté konianké, sont violentés par des gardiens d’appartenance guerzé, des autochtones vivant principalement dans le sud-est de la Guinée. Deux des Koniankés sont décédés. Très vite, la nouvelle se répand dans plusieurs villes de la région, notamment à N’Zérékoré, la deuxième plus grande ville du pays avec 280 000 habitants, où des affrontements éclatent entre les deux ethnies.

Les violences ont fait, selon le dernier bilan officiel, 54 morts, la plupart tués à la machette ou brûlés vifs, et 80 blessés. Des magasins, des édifices religieux et plusieurs maisons ont été brûlés dans les affrontements.

Contacté par FRANCE 24, le porte-parole du gouvernement, Damatang Albert Camara, explique que les premiers renforts militaires sont arrivés sur place dès lundi en fin d’après midi – avec notamment deux colonels, l’un Guerzé et l’autre Konianké, originaires de la région – et que d’autres les avaient rejoints le lendemain portant à 1000 les éléments des forces de sécurité présentes dans la région. Selon lui, les renforts sur place sont adaptés aux besoins actuels.

Cependant, les habitants contactés dans la région de N’Zérékoré considèrent que ces mesures ont été insuffisantes pour protéger les habitants lors des premières heures des violences. Des affrontements interethniques entre ces deux communautés avaient déjà eu lieu en 2010 et 2012. La région de N’Zérékoré est majoritairement peuplée par des membres des communautés Konianké et Malinké, des allogènes musulmans venus d’autres régions de Guinée, et des Guerzés, autochtones chrétiens. Des violences récurrentes dans la région ont lieu depuis 1990, date à laquelle les tensions ethniques avaient été attisées par les politiciens autour d’élections locales faisant près de 200 morts.

Contributeurs Syndipass, Joe Nzéré

"J’ai cru rêver quand j’ai vu des gendarmes armés de matraques faire face à des individus armés !"

Syndipass (pseudonyme) habite à N’Zérékoré. Il appartient à la communauté guerzé mais n’a pas participé aux violences. N’Zérékoré est une ville morte depuis lundi. Tous les magasins sont fermés, chacun reste cloîtré chez soi. Moi, je suis traumatisé depuis hier, j’ai vu 6 personnes fusillées devant mes yeux par des civils. Pendant toute la journée de lundi, seuls des policiers et des gendarmes étaient présents pour assurer la sécurité dans la ville. Je croyais rêver quand je les ai vus avec des matraques faire face à des individus armés de fusil !

La plupart des habitants de N’Zérékoré trouvent que les renforts ont mis beaucoup de temps à arriver [selon le porte-parole du gouvernement, ces derniers venaient du camp de Kankan situé à 300 km de la ville par une route difficile d’accès rendu quasi impraticable par la pluie], nous sommes restés pratiquement une demi-journée livrés à nous-mêmes.

Depuis lundi soir, des patrouilles de militaires arpentent la ville et un couvre-feu a été mis en place. Mais les affrontements continuent toujours dans certains quartiers du centre-ville. Les forces de l’ordre ne ciblent pas toujours les bonnes personnes : hier, un de mes amis a reçu une grenade lacrymogène qui est passée par sa fenêtre. Il est à l’hôpital et souffre de problèmes respiratoires. Ces violences sont soudaines, mais on pouvait les prévoir. À N’Zérékoré, cela fait plusieurs années que la situation est tendue entre Koniankés et Guerzés : il y a des quartiers biens définis du centre-ville habités exclusivement par des Koniankés, qui ont racheté ces propriétés à des Guerzés. Il n’y a quasiment plus de Guerzés en centre-ville, on les trouve plutôt dans des quartiers en périphérie. On vit côte à côte sans se mélanger [des violences communautaires ont eu lieu récemment à Conakry mais ont été encadrées par les forces guinéennes ]

Syndipass "Ce conflit montre la faiblesse de l’autorité politique à gérer une région à 1000 km de Conakry"

Joe (pseudonyme) habite à N’zérékoré depuis vingt ans.

Les rancunes sont solides entre Koniakés et Guerzés mais à chaque fois, tout part d’une histoire banale qui ravive les tensions. Il faut dire que les différences culturelles et religieuses sont souvent une base d’incompréhension. En 2011, après de nouveaux affrontements à Galopaï opposant Koniakés et Guerzés, une délégation d’Alpha Condé [président guinéen] était venue pour tenter d’apaiser les tensions. Mais en fait, rien n’a été réglé et aujourd’hui, on redécouvre, une fois de plus, que la situation n’est pas sous contrôle.

Ce nouvel accès de violences montre la faiblesse de l’autorité politique et la lenteur des décisions dans cette région située à environ 1000 km de la capitale Conakry. J’ai assisté à plusieurs conférences des gouverneurs et des préfets locaux qui alertent régulièrement les autorités sur les tensions entre ethnies. Pourtant, rien n’est concrètement fait.

Avec les élections législatives prévues en septembre, j’espère que ce sera l’occasion de réfléchir sur la manière de gérer l’Etat, et pourquoi pas de poser la question d'un État fédéral, afin que les décisions soient prises plus rapidement.

Source: france24

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